BRÈVES

N°219 janvier 2022



Il y a comme ça des livres qu'on se croit le seul à ne pas avoir lus. Le miasme et la jonquille, par exemple, sur la relation de l'être humain aux odeurs à travers les âges, fit naguère un tabac, pourquoi n'y ai-je pas mis le nez ? Il est temps de faire connaissance avec son auteur, Alain Corbin, historien d'un genre peu commun. Les titres de ses récents ouvrages font rêver :

L'harmonie des plaisirs. Les manières de jouir du siècle des Lumières à l'avènement de la sexologie ;

Les filles de rêve ;

La douceur de l'ombre. L'arbre source d'émotions, de l'Antiquité à nos jours ;

La fraîcheur de l'herbe ;

Histoire du silence. De la Renaissance à nos jours.

Tout cela en dix ans, malgré son grand âge, et voilà qu'il récidive cette année avec La rafale et le zéphyr. Histoire des manières d'éprouver et de rêver le vent, chez Fayard.

Un livre sur le vent ! On pense à Bachelard, mais attention : l'auteur de L'air et les songes était à la fois scientifique, philosophe et poète ; à côté des cinq volumes de son étude sur l'imaginaire des éléments, somme si puissante et si fine, le petit livre corbinien paraît moins complet, moins pénétrant, plus léger. Ne boudons pas pour autant cette agréable promenade sur des chemins souvent inattendus.

L'auteur évoque d'abord les efforts des scientifiques pour comprendre le vent, aux XVIIIe et XIXe siècles, efforts où science et poésie copulent savoureusement. Humboldt, en 1845 :


La seconde enveloppe de notre planète, l'enveloppe extérieure, universelle, est l'océan aérien dont nous habitons les bas-fonds.


Pour Léon Brault, à la fin du même siècle, les cyclones et les bourrasques sont «des maladies de l'atmosphère».

Mais ce sont les écrivains surtout que Corbin fréquente. Voici l'estimable et oublié Maurice de Guérin, pour qui les vents, «ces haleines formidables d'une bouche inconnue», sont «les voix de la nature». Puis défilent, un peu disparatement, comme au gré de vents capricieux, la Franciade de notre Ronsard et sa belle tempête ; les Lusiades du portugais Camoens, épopée chrétienne où les dieux antiques se baladent comme chez eux, les vents étant de méchants païens ; Maupassant, qui monté en ballon et poussé par les vents, s'abandonne à un «bien-être profond, inconnu», «repos infini, d'oubli, d'indifférence à tout» ; Giono, dans le Regain duquel, le temps d'une page carrément érotique, le vent fait l'amour à une femme ; Hugo, surtout — quel souffle ! — pour qui, dans Les travailleurs de la mer, les vents sont des enfants qui jouent, avec une «joie colossale», une «extravagance», une «instabilité implacable» ; le vent «rend palpable l'invisible» tout en restant une énigme, un «radotage du gouffre»...

L'excellent Joseph Joubert, lui prétend être influencé par les conditions météorologiques, et surtout par le vent, jusque dans son écriture «dont le principe est le décousu, le discontinu, l'intermittence». Une écriture venteuse, beau thème en perspective... Corbin ne poussera pas plus loin, il manque un peu de souffle.


Une belle envolée...
Femme légère.

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Des vents aux oiseaux, aux autres animaux, à la nature entière, la transition va de soi. Vols au crépuscule, de l'anglaise Helen Macdonald, est lui aussi une promenade : une suite d'essais, de chapitres autonomes quoique solidement reliés par un thème commun : la rencontre avec le monde naturel — même si l'on y trouve aussi un texte superbe sur les migraines et les règles de l'auteure !

Le projet ? Nous étonner, nous émerveiller devant les richesses du monde naturel. Et du même coup


Se réjouir de la complexité des choses. (...) Tenter de voir par des yeux qui ne sont pas les nôtres. Comprendre que notre vision du monde n'est pas la seule possible. (...) Trouver comment reconnaître et aimer la différence.


Mission accomplie. Naturaliste de profession, débordant de passion pour son sujet, Ms Macdonald est scientifique et poète à parts égales. La science, la poésie : deux façons de voir plus profond, moins éloignées qu'on pourrait le croire. Non contente d'observer les animaux, les oiseaux surtout, elle communique avec eux, au point de parler à un poussin encore dans l'œuf. Elle se penche, extasiée, sur les activités des champignons, à vrai dire fascinantes. Et si le propre de tout grand livre est de nous faire voir le monde autrement, alors celui-ci est assurément de belle taille.

Les gratte-ciel par exemple :


Je commence à voir dans ces immeubles démesurés des machines fonctionnant comme les sous-marins des grandes profondeurs : ils nous emmènent dans des royaumes inaccessibles que, sans eux, nous ne pourrions explorer.

Les hautes tours, symboles de notre domination sur la nature, peuvent opérer comme des ponts vers une compréhension plus complète du monde naturel, des points de suture entre le ciel et le sol, la nature et la ville.

Les immeubles deviennent des falaises, les rues des canyons.


Paradoxe : alors qu'il ne cache rien des désastres infligés par l'homme à la faune et la flore, ce livre est lumineux d'un bout à l'autre, par son incroyable empathie, son insatiable curiosité. Témoin ce matin où l'auteure entend, dehors, un bruit étrange, qui s'avère être le roucoulement d'une nuée de pigeons.


Enveloppée par le grondement de centaines d'autres consciences que la mienne, j'ai été submergée de joie. J'aurai beau vieillir, me suis-je dit, je ferai toujours des découvertes.


Ce livre à la gloire des animaux, qui déborde d'humanité, nous charme également par son écriture : l'auteur manie la plume avec autant d'agilité que le font ses oiseaux. L'éditeur est ce bon monsieur Gallimard, la traductrice, Sarah Gurcel, a fait du beau boulot, la fête est complète.


Photo Gregory Smith
L'albatros à sourcils noirs.

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Les chants d'oiseaux, quelle splendeur... Du temps que je gazouillais au master 2 de traduction littéraire de Paris 7, je proposais à mes oisillons d'en traduire quelques-uns. (J'ai dû passer pour un sadique, ou un simple fada.) Je ne me lasse pas d'écouter les merles, même si les sifflotis pleins de solécismes que j'adresse à ceux de mon jardin me valent des réponses indéchiffrables, moqueuses probablement.

Pas d'oiseaux dans Présences du traducteur, actes d'un colloque tenu en 2017 à la fac de Nanterre (Classiques Garnier, 2021), même si certains traducteurs et traductologues y déploient joliment leurs ailes. L'ensemble est nourrissant, parfois même savoureux.

Les discours sur la traduction, à mes débuts il y a quarante ans, étaient de maigres oasis dans le désert ; aujourd'hui, on étouffe dans la jungle. Ceux que le sujet intéresse et qui ne sont pas encore saturés n'auront qu'à se procurer l'ouvrage. Pour ma part, l'ayant dûment recensé dans la précieuse revue TransLittérature (eh oui, j'avoue, Sacha Marounian c'est moi), je me garderai bien de me répéter ici.

Quelques mots seulement pour saluer l'étincelante étude de Patrick Hersant sur l'acclimatation de vers, voire de poèmes étrangers dans l'œuvre de certains poètes (Du Bellay, Lowell et tant d'autres jadis, Roubaud, Bonnefoy, Guillén, Mahon, Heaney, Yourcenar aujourd'hui). Cette solidarité internationale, ce recyclage de textes, me réjouit. Et l'érudition de ce Hersant-là m'épate.

Celle de Françoise Wuilmart n'est pas en reste. M'a frappé, dans son intervention, une page sur l'influence de la langue sur la pensée, où se faisant l'écho de Nietzsche, elle affirme :


On ne peut pas traduire Machiavel en allemand, son tempo, son allegrissimo, on ne peut pas non plus traduire Pétrone, maître du presto. Il est donc impossible aux Allemands de comprendre ces auteurs parce qu'ils n'entendent pas Machiavel, ni non plus l'air qu'a respiré Machiavel, «l'air sec et subtil de Florence».


Nietzsche lui-même :


L'allemand sonne d'une façon brutale et rauque qui évoque l'homme des bois, les chambres enfumées et les contrées aux mœurs discourtoises.

L'habitude de certaines résonances pénètre profondément le caractère : on a bientôt les mots et les tournures et finalement les pensées propres à ce genre de résonance !


Voilà qui résonne fort en moi, qui me sens différent selon la langue que je parle, et dont la tâche est de faire entendre les couleurs vives et contrastées du grec dans mon français tout en demi-teintes...

Ces remarques auraient plutôt leur place dans le Carnet du traducteur, sans doute, mais les parois séparant les diverses rubriques du présent site ne sont-elles pas souvent minces comme du papier ?


Trente ans d'existence.
La revue écrite par les traducteurs pour les traducteurs.

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D'une livraison mensuelle des Brèves à l'autre, de même, il y a des portes, des passages, avec certaines lectures par épisodes. Actuellement, plaisir de passer quelques mois au théâtre en compagnie de Musset.

Avais-je déjà lu le très célèbre Il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée ? (Ce titre m'amuse, moi qui vois dans la vie une série sans fin de portes entrebâillées.)

C'est un proverbe, dit Musset. Une toute petite chose, deux personnages, une seule scène. Un parfait dépouillement. Un comte rend visite à une marquise, il fait froid, on allume un feu, on s'envoie des piques ou des douceurs, le comte est plusieurs fois sur le point d'ouvrir la porte et de s'en aller, puis il demande la marquise en mariage enfin. Toute la pièce est une porte battante entre froid et chaud, dissimulation et sincérité, artifice et naturel. Chacun joue son rôle avec une grâce d'un autre âge, d'un autre monde. Le comte :


Si l'amour est une comédie, cette comédie, vieille comme le monde, sifflée ou non, est, au bout du compte, ce qu'on a encore trouvé de moins mauvais. Les rôles sont rebattus, j'y consens ; mais, si la pièce ne valait rien, tout l'univers ne la saurait pas par cœur ; et je me trompe en disant qu'elle est vieille. Est-ce être vieux que d'être immortel ?


Il n'y a pas de petits sujets, et ce marivaudage apparemment ténu est un délice. Oui, Marivaux n'est pas loin — quel compliment !


Photo Lot
Xavier Lemaire, Isabelle Andréani, 2007.

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Encore un habitué : Emmanuel Venet, ce psy qui depuis un an fournit ces Brèves en récits minuscules, à la fois hilarants et terribles, issus de ses relations avec ses patients les plus atteints. Exemple :


Après avoir passé une dizaine d'années en prison pour diverses bricoles, Sylvain Y. s'est mis en couple avec une vieille richarde dont il profite et abuse de son mieux. Quand sa compagne crèvera, Sylvain Y. réalisera son rêve : devenir prêtre.


Depuis qu'elle n'a plus de reflet dans son miroir, Pétronille X. ne sort plus de chez elle de peur que les commerçants ne la reconnaissent pas. Elle préfère attendre que la situation s'arrange, elle ne manque pas de provisions.


Désespéré par la méchanceté de ses parents, Gérard Y. s'est tiré une balle de fusil dans le cœur, et il est mort sur le coup. Maintenant, il aimerait que son psychiatre l'aide à tuer ses assassins quand il les aura retrouvés. C'est logique, non ?


Ainsi prend fin la dernière séance. Au revoir et merci, professeur. On aimerait que votre livre, Observations en trois lignes (La fosse aux ours) ait un succès fou.


On n'en fait plus des comme ça...
Foi ardente.

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Tiens, un nouveau sur volkovitch.com !

Frédéric Ciriez, né en 1971, a publié plusieurs fictions chez Verticales : on attend donc de lui une écriture moderne, aventureuse, et l'on n'est pas déçu. Récits B, paru cette année, regroupe treize nouvelles écrites séparément mais dotées d'un air de famille évident et d'une vigueur indéniable.

On y admire un grand écart acrobatique entre une veine documentaire (il décrit avec précision son coin de Bretagne autour de Paimpol, on visite Alger, on se faufile dans certains coins de Paris, pas les plus reluisants) et un goût marqué pour le fantastique, les deux se combinant dans certaines pages très fortes où l'on pense un peu à Philippe Vasset (bel éloge).

Tantôt on penche vers le docu, comme dans «Rond-point à l'anglaise» :


J'aime les ronds-points, l'idée glacée que les images du hasard et du destin, «quatre vents» ou «quatre chemins», aient été remplacées à coups de bulldozer par celles de distribution fonctionnelle et de ventilation automobile. (...)

J'aime les ronds-points à l'anglaise dans leur prolifération inexorable, leur totalitarisme soft, panoptique, la vision à 360 degrés qu'ils offrent de la grande narration marchande du monde. (...)

J'aime le rond-point de Lanvollon qui ce soir, alors que l'on m'attend à cent trente kilomètres d'ici, ne m'a jamais paru aussi splendide, évident, magnétique.


L'urbanisme flirte ici avec la philosophie, mais en même temps le fantastique n'est pas loin.

À l'autre bout de la chaîne, il y a «Le virage éternel», l'un des textes érotiques les plus déjantés qui soient, où très vite on dérape dans l'imaginaire.

Points communs entre ces histoires, outre l'œil aigu et l'imagination fertile : un humour sarcastique, un ricanement frôlant le malaise (la nouvelle futuriste où Saint-Brieuc devient «capitale européenne de la valorisation du déchet»), des dialogues pêchus, une écriture inventive, exemple ce pont qui s'écroule :


...et je vois la masse de béton s'effondrer, s'ouvrir, aspirer les véhicules comme une corne d'abondance négative...


Et partout un côté allumé, speedé, un peu trash, un peu branchouille, mais c'est l'époque qui veut ça, quand elle montre comme ici (cf. l'allusion du titre aux films de série B) autre chose que son visage glamour et lisse des dimanches.


Il y en a de plus étranges encore...
Fouesnant (Finistère).

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Bienvenue aussi à un auteur plus ancien, aujourd'hui disparu : Bruno Gay-Lussac. L'autre versant, paru en 1983 chez Balland, est un bien étrange roman. Un vieux professeur de philosophie solitaire hante un musée où le fascine un certain tableau. Il achète une maison dans une campagne perdue où il ne se passe rien. Il rencontre un adolescent étrange, il rêve devant une maison mystérieuse, il médite, il attend il ne sait trop quoi et nous encore moins. La découverte d'un «autre côté», dit-il. L'«autre versant» du titre. En tâtonnant,


Comme s'il était écrit que je devais aller vers ma fin par un chemin caché que mon intelligence elle-même ne décèlerait jamais. (...)

Et les propos que nous tenons sont, avec des mots nouveaux, ce que nous avons déjà dit et ce que nous dirons demain. En vérité, nous ne parlons que d'une seule question sans jamais la nommer de peur de nous tromper sur son vrai nom.


Livre court, chapitres courts, paragraphes courts séparés par des blancs, c'est lent, contemplatif, presque mutique. Il est sans doute facile d'être rebuté par cette ascèse, de se sentir exclu. Moi-même, il y a longtemps, un autre roman gay-lussaquien m'avait laissé perplexe et froid. J'ai bien fait d'insister : sans tarder, cette fois, j'ai été embarqué dans cette quête, envoûté par ses énigmes, malgré les passages opaques, voire macaroniques, et l'intrigue improbable (cet ado poète et philosophe !) — à moins que tout cela ne fasse partie du jeu, ne soit une étape nécessaire du voyage. Et trois semaines après la lecture, alors même que j'oublie déjà comme toujours les détails de l'intrigue, L'autre versant garde sur moi une emprise vague mais tenace.

Bruno Gay-Lussac, qui fut l'ami de Klossowski et Blanchot, est aujourd'hui tombé dans l'oubli. Trop différent. Trop ésotérique. Mais quant à moi, cette fois, je n'attendrai pas vingt ans pour repartir sur ses pas et tenter de découvrir après lui... Découvrir quoi ?


On ne sait rien de sa vie.
Bruno Gay-Lussac (1918-1995)

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Côté poésie, retour à Supervielle. Je m'étais déjà baladé dans ses poèmes il y a trois mois, et j'y reviens — je m'ennuyais de lui —, m'étant offert entretemps ses Œuvres poétiques complètes en Pléiade. Très riche préface du maître d'œuvre Michel Collot, une foule de notes précieuses et de variantes comme d'hab, et des recueils que je ne connaissais pas, dont un majeur : Oublieuse mémoire, digne des précédents.

Il y a quelques années, lu quelque part que Paul Celan traduisant Supervielle l'avait amélioré ! Celan, évidemment, c'est le Poète majuscule, la référence absolue, que tout connaisseur doit encenser ! J'avoue pour ma part que Celan me dépasse, que Supervielle me parle bien davantage, et ce précisément par ce qui lui vaut le dédain de certains : son humilité naturelle, le petit air naïf de certains poèmes aux vers courts et chantants, ses rimes et ses rythmes vaguement bancals parfois, exprès, ce tremblé, cette ombre de bégaiement.

Son amour fraternel pour les arbres me touche des feuilles aux racines. Parmi ses plus beaux poèmes, celui-ci :


Avec un peu de feuillage et de tronc

Tu dis si bien ce que je ne sais dire

Qu'à tout jamais je cesserais d'écrire

S'il me restait tant soit peu de raison.


(Je retrouve enfin, dans Les amis inconnus, le premier poème de lui que j'aie lu, dans l'adolescence, «La demeure entourée», celui où les arbres parlent, «Notre monde branchu, notre monde feuillu...»)

Autre obsession chez lui, le corps — ce corps fragile, son cœur parfois au bord de s'arrêter. Dans l'un des plus forts poèmes d'Oublieuse mémoire, le poète s'adresse à ses nerfs :


Vous qui rendez la chair pensante

Et raisonneuse sous la peau

Et sur votre route vivante

Allumez de petits cerveaux, (...)

Nerfs, à moitié métaphysiques,

Mais plus nous-mêmes, véridiques,

Que le sang sorti de nos cœurs

Vous, nos grands froids et nos chaleurs,

Ô vous qui maniez la foudre

Comme Jupiter olympien... (...)

Merci de m'avoir fait poète,

De m'avoir brûlé jour et nuit

De vos feux pour mûrir mes fruits,

De m'assassiner de vos lances,

De donner des chevaux qui pensent

À mes grands galops souterrains,

De me laisser suivre leur train.

Puissé-je sans perdre le souffle

Vous monter jusqu'au dernier gouffre,

Étalons de dessous la peau,

Pégases hantés par le haut,

Dans notre corps qui ne révèle

Ni vos sabots ni vos coups d'aile !


Lire Celan, c'et entrer dans un panthéon, ou si l'on préfère, crapahuter sur des cimes rocheuses ou d'obscurs souterrains ; mais savourer Supervielle, c'est me retrouver chez moi. Un chez-moi aux fenêtres ouvertes cependant :


Comment fait-on pour se mettre en un vers

Lorsque bourdonne en nous tout l'univers,

Pour isoler une rose entre toutes

Lorsque notre âme est sur toutes les routes...


Né sous Louis XV.
Chêne à Tombeboeuf (Lot-et-Garonne)

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Je m'astreins à ne lire qu'une BD par mois. C'est dur. Une pile d'albums attend impatiemment, presque tous épais. Du bruit dans le ciel, de David Prudhomme, chez Futuropolis : 200 pages. Nos Tintin et nos Spirou jadis ne dépassaient pas les 62 planches...

David Prudhomme ? Un grand. Son Rébétiko, son Vive la marée sont déjà des classiques. Étant de ceux qui changent de formule à chaque fois, il se lance à présent dans l'autobiographie, chose peu fréquente en BD. Il est encore gamin quand ses parents font construire une maison non loin de Châteauroux, à la campagne. Au calme ? Pas vraiment. Il y a tout près une ancienne base US qui sert encore d'aérodrome à de gros avions — d'où le titre. Et puis, tout autour, ça se construit inexorablement. Prudhomme fait défiler ainsi quarante ans de vie provinciale, avec une précision géographico-sociologique impeccable, mais sans oublier d'entrelacer à l'histoire collective son histoire intime à lui, avec tendresse, humour et une touche de mélancolie. On admire, comme toujours chez lui, la tranquille maîtrise des cadrages, du dessin, de la couleur, la palette se réduisant ici au gris et au jaune, apportant une douceur bienvenue. Une fois de plus, on se régale.


C'est l'auteur qui conduit.
Grangeroux, avant et après.

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Mon lecteur de CD a rendu l'âme. Si je tarde à le remplacer, c'est qu'on trouve désormais tout, presque tout, sur dailytube. Ce mois-ci, écouté avec plaisir les pétaradants concertos pour piano de Saint-Saëns et même son opéra Samson et Dalila, moins pompier que je ne le craignais, carrément jouissif par moments. J'ai eu tort d'ostraciser Saint-Saëns à cause de ses jugements imbéciles sur Debussy.

Mais le grand moment musical du mois, ce fut le Troisième de Prokofiev par Martha Argerich, musique de feu, interprétation flamboyante.


Il brûle les planches et casse la baraque !
Samson et Dalila

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Le critique musical Jacques Drillon est mort. Il avait du talent et une conscience aiguë de celui-ci. Pour moi il restera surtout l'auteur d'un ouvrage essentiel aux écrivains et aux lecteurs : son imposant Traité de la ponctuation française (Tel Gallimard), qui lui survivra.


L'élève, dit le professeur... ou L'élève dit : le professeur... ?
Autre exemple bien connu : L'élève dit le professeur est un âne.

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«Accident de chasse : après la mort d'un randonneur, plusieurs maires interdisent les promenades en forêt.»

Féqueniouze parue sur un site réjouissamment déconatoire, ScienceInfo.fr, juste après «Un enfant de huit ans dévoré par un blob». Les canulars dudit site n'ont pas tous le même degré d'invraisemblance : le second paraît difficile à gober, alors que bon nombre d'internautes ont avalé goulument le premier. Faut-il se moquer d'eux, quand on connaît la tendresse de notre martial président à l'égard des chasseurs ? On le sait prêt à tout pour chouchouter les shooteurs, quitte à emmerder l'immense majorité des citoyens désarmés.

Ces derniers temps des voix s'élèvent sans cesse plus nombreuses pour réclamer l'interdiction de la chasse. Et si l'on réfléchissait un peu ? Ce million et demi de chasseurs que compte notre pays, 2,5% de la population, chiffre en baisse, ne sont-ils pas une espèce en danger, à protéger ? Ne faut-il pas voir en ces fiers nemrods les héritiers de nos ancêtres médiévaux et même préhistoriques ? les derniers à brandir le flambeau allumé au fond des âges ?

On objectera que Neandertal et Cro-Magnon chassaient pour manger, pour survivre, alors qu'aujourd'hui on tue pour le bonheur de tuer. Certes, mais le moindre coup de fusil d'aujourd'hui n'est-il pas en même temps un hommage ému aux massues et aux flèches d'hier ? une commémoration ? la célébration d'un rituel vénérable ? Gloire à toi, ô race humaine !

Et puis si tirer leurs coups peut les aider à bander, les pauvres...


...s'il en existait encore.
Ce que diraient les lièvres...

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J'oubliais : bonne année à tous les sans-fusil.


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Programme de février : Musset encore, Martin, Maillart, Camus, Giraud, Théocrite. Pour tous les goûts une fois de plus.





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SITATIONS

Savez-vous de qui sont ces phrases ?

(réponse sur le numéro de la citation...)


1


Deux dangers menacent le monde : l'ordre et le désordre.



2


Toutes choses sont dites déjà, mais comme personne n'écoute il faut recommencer.








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