BRÈVES

N°213 juillet 2021



La maison est grande et pourtant les livres débordent. Si l'on veut en accueillir d'autres, il va falloir faire le ménage. Tous ces bouquins, héritage de mes parents, services de presse, achats impulsifs, je n'aurai jamais le temps de les lire tous, et pourtant j'y vais à reculons. Courage, mon vieux. Il est temps. Résigne-toi et appelle Recyclivre.

Ils viennent à domicile en camionnette. Ils ne prennent pas les livres sans ISBN (tous ceux publiés avant 1980) et certaines autres catégories non plus, mais j'ai tout de même rempli pour eux dix cartons. Ils rachètent éventuellement, mais il vaut mieux tout leur offrir : ils en font bon usage, disent-ils. Les livres ne sont pas détruits, mais revendus, et une partie du prix de vente est reversé, nous informe leur site, «à des associations ayant des actions concrètes en faveur de l'écologie».

Pas de regrets donc. D'autant qu'il m'en reste largement assez, sur les rayons, pour lire jusqu'à la fin de mes jours, même si je n'achetais plus rien de neuf.


Une orgie de chapitres.
Une petite partie du stock...

*


Ne plus rien acheter ! Ça va pas la tête !

Je ne pouvais tout de même pas ne pas me payer Jeunesse de Pierre Nora (Gallimard) fraîchement paru.

«Éditeur, historien, enseignant, écrivain», cheville ouvrière des remarquables et remarqués Lieux de mémoire, Nora est un notable du petit monde de la culture, et pourtant je ne savais rien de lui. Ce qui m'a amené à ce récit de ses jeunes années ? J'ai su qu'il était passé par la khâgne de Louis-le-Grand lui aussi, en même temps qu'André Tubeuf, accueilli dans ces Brèves le mois dernier. On retrouve chez Nora les mêmes personnages : Jackie Derrida, premier en philo ; Michel Deguy «déjà poète et joueur de tennis au service implacable» ; et celui qui «régnait en seigneur sur cette petite bande», «charmeur à la beauté féline», (Tubeuf en était amoureux), Gérard Granel, qui n'allait pas confirmer ses brillantissimes débuts. J'apprécie au passage le coup de griffe à certains profs, «rhéteurs à formules, capables de pécufier sur n'importe quel sujet».

Mais l'essentiel du livre est ailleurs. D'abord, dans le récit d'une enfance et d'une adolescence pleines d'épisodes extraordinaires et de scènes poignantes, avec notamment l'exode en 40 et l'Occupation. Celle-ci met en scène son père :


Au premier jour du port obligatoire de l'étoile jaune, quand il est sorti de l'immeuble pour se rendre à pied à l'hôpital, la gardienne s'est exclamée : «Oh, vous, un monsieur si bien !» Quelques pas plus loin, (...) il croise une belle inconnue à l'étoile jaune, bouleversée. Leurs regards se rencontrèrent. Trente mètres plus loin, tous deux se retournent et, après un instant d'hésitation, courent l'un vers l'autre, pour s'étreindre un long moment. Puis chacun repartit de son côté, sans avoir échangé un mot.


Non moins passionnante, une sacrée galerie de portraits. Une famille juive de la haute bourgeoisie, parfaitement intégrée, uniquement composée de surdoués aux caractères affirmés, qui malgré tout s'entendent plutôt bien et inspirent la sympathie. Des amis chers salués avec chaleur : André Fermigier, Jean-François Revel, René Char, ce dernier dans une page d'un comique inattendu. Autre personnage marquant, inoubliable, cette Marthe qui déniaisa l'auteur, bien plus âgée que lui et d'une excentricité folle. Claude Lanzmann, lui, «Himalaya d'égolâtrie», est plus sèchement expédié.

On pardonnera à Nora son chagrin de n'avoir pas intégré Normale Sup (la belle affaire !), son choix d'entrer à l'Académie française pour compenser, et sa tendance marquée au name-dropping. Ce snobisme est compensé par «l'inquiétude et le doute sur soi», «l'inconfiance qui m'a accompagné toute ma vie». Pierre Nora, en fin de compte, laisse de lui un portrait attachant, et puis cet académicien n'écrit pas de façon académique.


Pierre en bas à gauche.
La famille Nora en1942.

*


Autre famille juive aisée, celle que décrit Irène Némirovsky en 1930 dans Le bal, très bref roman réédité chez Grasset. Mais là, changement de décor : ces gens-là sont des nouveaux riches incultes et antipathiques. Ils s'apprêtent à réaliser leur rêve : organiser chez eux un grand bal, mais leur fille adolescente, maltraitée par sa mère...

Ne spoilons pas. Disons simplement que l'attitude de la mère à l'égard de sa fille fait de Mme Lepic et Folcoche des anges de mansuétude et que la vengeance de la petite est d'une violence terrible. «Petit livre étincelant», dit la quatrième de couv ; oui, sans doute, c'est sec, tranchant, on peut aimer ça, mais quant à moi la caricature poussée à ce point me glace.

Fêtée dans les années 30, morte à Auschwitz et oubliée, puis redécouverte brusquement bien plus tard, pourquoi Némirovsky a-t-elle eu cette postérité chaotique ? Envie de la lire encore, pour y voir plus clair.


Morte à trente-neuf ans.
Irène Némirovsky.

*


Il n'y a pas eu de résurrection pour Geneviève Serreau. En fait, elle n'a jamais quitté la pénombre. Comédienne, dramaturge, collaboratrice de Nadeau, elle est l'auteure de trois romans, dont Le fondateur (1959), publié par lui chez. Un de ces livres oubliés qu'il est bon d'aller, en bon chiffonnier, tirer des poubelles de l'histoire dans l'espoir fou de leur donner une seconde chance et deux ou trois lecteurs.

Une ville de province, dans les années 50 : la ville est pleine de travailleurs immigrés algériens, qui travaillent dans des conditions indignes. Ils font grève.


Nombreux comme les sauterelles d'Égypte, et tous pareils, interchangeables, avec ce même regard qui ne s'arrête sur rien, qui vous passe au travers du corps pour rejoindre très loin, par-delà les villes et les âges, on ne sait quel spectacle désolé, irrémédiable, et fixe.


L'un d'eux s'écrie :


Ils nous ont affamés sur notre terre à nous pour nous amener comme un troupeau de moutons sur la leur afin que notre corps nourrisse leurs machines...


Une femme passe une journée à quêter pour eux de maison en maison, sans succès, tout en se rappelant les frustrations et les souffrances de sa vie antérieure.

Ce Fondateur est l'un de ces livres qui vous laissent mal à l'aise, tiraillé entre adhésion et rejet. On aimerait les aimer, mais quelque part ça coince ; les hauts et les bas successifs vous donnent le mal de mer.

On ne peut qu'aimer la générosité du regard, le portrait plein d'empathie de ces travailleurs cruellement exploités, méprisés de tous. On ne peut qu'apprécier la description féroce des bourgeois de la ville et les nombreux bonheurs d'écriture, ce «soleil pâle et poisseux comme un bonbon à demi sucé», ce chien endormi dans la rue, «écrasé flasque comme une serpillière jetée d'une fenêtre», ou ceci :


Son visage soudain parut s'entrouvrir, craquant comme un fruit mûr sous la poussée d'une curiosité qu'elle ne cherchait plus à contenir.


On peut aussi être gêné par une certaine grandiloquence :


Ils étaient un troupeau énorme et muet, piétinant dans l'humus noir des colères tues, et Mohali labourait le silence...

Sitôt dans la rue vous cinglait la pluie brûlante du soleil...

Et Mouloud avait bu toute l'eau de la nuit et l'eau chantait dans sa gorge (ses bras au carrefour me déchireront comme les pales d'une hélice).


Le personnage du Fondateur (il fonde en imagination une ville) manque lui aussi de naturel. Mais ce qui peut gêner le plus, c'est la construction d'ensemble, éclatée entre présent et passé, trop peu balisée, toutes ces obscurités inutiles, artificielles, comme si en pleine éclosion du Nouveau Roman on se devait de faire compliqué pour décrocher son brevet d'intello.

N'empêche, Le fondateur est de ces livres qui vous tirent par la manche, malgré leurs défauts, et peut-être en partie à cause d'eux.


Bidonville de Nanterre.
1954.

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Dominique Fabre a fait ses débuts d'écrivain chez Nadeau en 1995, un an après moi, nous avons tous deux enseigné l'anglais, sommes tous deux banlieusards (lui du côté d'Asnières, moi à Chèvres, plus au sud), et un même penchant autobiographoïde nous ramène souvent sur nos terres suburbaines, littérairement sous-fréquentées. Tout cela crée des liens.

Fabre a fait récemment une incursion sur mon territoire avec Les soirées chez Mathilde (L'olivier), dont j'ai dit beaucoup de bien dans ces Brèves, mais je ne compte pas lui rendre la pareille : en terminant Aujourd'hui, son petit dernier paru chez Fayard, on a le sentiment qu'il a tout dit, que dans ces pages Bécon-les-Bruyères est là tout entier.

Fiction ? Souvenirs ? Un peu des deux sans doute et peu importe. Un homme revient longtemps après sur les lieux de sa jeunesse à la recherche d'un ami perdu. On va et vient entre le présent vu et le passé souvenu, un peu comme chez Serreau, oui, à cela près qu'ici nous ne sommes pas dans une ville anonyme et archétypale, mais dans une localité précise, décrite en détail. Ce roman est en même temps une chronique, un documentaire. Il nous montre les lieux et leur évolution, mais aussi les gens d'hier et d'aujourd'hui.

L'auteur n'est pas un exalté. Pas de grands mots chez lui, de grands cris, d'excès de nostalgie, mais un goût pour la demi-teinte, les nuances grises, l'ironie feutrée, le désenchantement doux. Et un art de la narration aussi sûr que discret : chez lui, le continuel changement d'époque, au fil de la rêverie, est parfaitement justifié par le sujet et ajoute encore au charme de ces pages au sourire un peu triste.

Tiens, je n'ai noté aucune phrase à citer. Je me souviens d'ailleurs à peine des ramifications de l'intrigue. Dans ce cas précis, n'est-ce pas plutôt un compliment ?


Entre Asnières et Courbevoie.
Bécon-les-Bruyères.

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J'ai voulu rester encore un peu avec Ivan Tourguéniev et sa longue nouvelle de 1854, Les eaux tranquilles. Une belle histoire, au titre volontairement, ironiquement trompeur : les eaux tranquilles en question, c'est la vie paisible de ces hobereaux dans leurs campagnes lointaines, qui n'ont pas grand-chose à faire sinon se rendre mutuellement visite, seulement voilà, sur la fin ça se gâte : la jeune femme que le héros courtise aime un mauvais sujet qui la pousse au suicide, une autre femme qui aimait le héros est dédaignée par lui, lequel se marie avec une troisième, sans amour et sans joie.

Merci à Wikipedia qui me remet en mémoire ces péripéties pourtant dignes d'intérêt : j'avais déjà tout oublié. Alors même que ces pages d'une simplicité, d'une ampleur, d'une chaleur si douces m'ont offert un pur bonheur de lecture ! L'action effacée, reste l'ambiance, la nature immense, la beauté d'un matin en forêt, comme une musique dont on aurait oublié les paroles.


Le Moscove, comme l'appelait son pote Flaubert.
Devenu vieux.

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Nadeau, décidément, se promène dans ces pages. Le voici cette fois en dédicataire («À Maurice Nadeau, Grand Découvreur») d'un ouvrage de Lucette Finas, Mallarmé, le col, la coupe, dans la collection L'extrême contemporain de chez Belin.

Je l'ai longtemps gardé et regardé sur mes rayons, celui-là, hésitant sans doute devant une lecture ardue. Mais comment résister toujours à la fascination de Mallarmé, ce génie vertigineux ?

L'ouvrage n'est pas long. Deux poèmes seulement : le sonnet du cygne («Le vierge, le vivace et le bel aujourd'hui...» et le «Cantique de saint Jean» («Le soleil que sa halte / Surnaturelle exalte...»). Ils sont analysés vers par vers, mot par mot, et presque phonème par phonème. Il est vrai que ces deux sommets d'une effrayante beauté le méritent, et que leur obscurité invite au déchiffrement. L'auteure annonce qu'elle évitera toute paraphrase, et si elle ne tient pas tout à fait parole, heureusement (le lecteur a besoin d'éclaircissements), elle se consacre essentiellement à montrer l'interaction entre le sens et les sonorités. Ce qu'elle fait avec une acuité admirable.

Côté sonorités :


Le v de vols et l'f de fui, la fricative sourde et la fricative sonore, le v de vierge, vivace et va-t-il, semblent mimer ce frottement de l'air sur place, à quoi se réduira le vol.


Et quant aux rythmes :


Il s'immobilise au songe froid de mépris

(5-4-3)

La scansion du vers en façonne à mesure le sens. L'immobilité énoncée s'effectue en trois séquences, de plus en plus brèves. Il s'immobilise (5) au songe froid (4) de mépris (3). Du mouvement au figement.


Ce genre d'analyse, c'est mon pain quotidien de traducteur, et mon régal. Et si je ne rejoins pas toujours Lucette Finas dans certains accès de frénésie interprétative, si je ne vois pas comme elle, par exemple, dans «opiniâtre» («s'opiniâtre à suivre»), une pine cachée qui dépasse, je suis plus amusé que choqué par ce genre de délire. On a bien, récemment, dans une très sérieuse étude, traité Shakespeare d'obsédé sexuel...


Pourquoi ne le montre-t-on jamais jeune, comme ici ?
Stéphane Mallarmé.

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Mallarmé, c'est la haute montagne ; pour souffler un peu passons à Verlaine, ses collines et ses coteaux, plus humains, plus à ma taille.

Parmi mes grands souvenirs de lecture, il y a trois analyses de poèmes phonologiquement plus fouillées encore que celle-ci : la première décortique «Demain dès l'aube...» de Victor Hugo, merveille sonore (oublié le nom du décortiqueur, hélas) ; la deuxième, c'est le sonnet des Chats de Baudelaire passé aux rayons X par MM. Lévi-Strauss et Jakobson ; la troisième, je ne sais plus quels poèmes des Fêtes galantes de Verlaine, scintillants bijoux éclairés par un autre virtuose dont le nom m'échappe (Leclerc ?).

Je crois les connaître par cœur, ces fêtes-là. Votre âme est un paysage choisi... Les hauts talons luttaient avec les longues jupes... Scaramouche et Pulcinella... Les donneurs de sérénades... Calmes dans le demi-jour... Ces poèmes-là me sont familiers par ce qu'en ont fait Fauré ou Debussy, et je crois connaître par cœur tout le reste, eh bien non, à chaque fois je redécouvre quelque chose.


Le ciel si pâle et les arbres si grêles

Semblent sourire à nos costumes clairs

Qui vont flottant légers avec des airs

De nonchalance et des mouvements d'ailes.


On peut trouver supérieur encore le Verlaine de la Bonne chanson, de Sagesse ou des Romances sans paroles, mais on ne retrouvera nulle part chez lui, je crois, musique aussi exquise, alliance plus subtile d'insouciance légère et d'amertume.

Et puis j'aime aussi — puisqu'on va bientôt causer syntaxe — sa désinvolture grammaticale par moments, audacieuse, élégante :


Amour perça-t-il pas de flèches aiguisées

Mon cœur, dès que votre œil m'eut lui ?


Moins moche que plus tard.
Paul Verlaine jeune.

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Et la poésie grecque ? Elle va bien, merci, et le Miel des anges n'a pas fini de la servir. La récolte de printemps, qui vient d'arriver avec retard, juste au début de l'été, honore à la fois les poètes de ma génération en la personne de Dìmitra Christodoùlou (Vingt-quatre battements et silence), et l'extraordinaire Dion?sios Solomos, fondateur de la poésie grecque moderne il y a deux-cents ans. Traduire Solomos est pour moi (Poèmes et proses) un vieux rêve enfin réalisé.

Les accompagnent deux prosateurs : avec La mort de la vipère, Dimìtris Kanellòpoulos qui explore la Grèce rurale d'aujourd'hui ou d'hier, tout comme d'autres nouvellistes (Ilìas Papamòskhos, Dimosthènis Papamàrkos, Sotìris Dimitrìou et (en partie) Yànnis Palavos), tandis que les Petits crimes de la vie ordinaire, de Sevasti Christìdou, nous emmènent dans l'Istanbul des années 40.


Couverture aussi noire que son œuvre.
L'immense Solomos.

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Bien que nos éditions du Miel des anges s'occupent exclusivement des Grecs, il arrive parfois qu'un auteur distrait nous envoie son enfant chéri, enveloppé dans une page de présentation. Le papa ou la maman a mis dans celle-ci tout son talent. Exemple, reçu le mois dernier :


Je me permets de vous envoyer ce manuscrit en espérant qu'il saura correspondre à vos attentes et ainsi être en mesure de le faire publier.

Ce livre a pour vocation à se concentrer sur les petits détails, ces informations dont nous passons à côté.

...une époque (...) dans laquelle l'accès à l'information est instantané, puis consommée et oubliée en quelques minutes...


On croira que je me moque à peu de frais de cette syntaxe aventureuse. Eh bien non, ou si peu. Je trouve dans cette dérive, cette incohérence un naturel, une économie de moyens, une pureté classique fascinants, admirables. J'aurais beau essayer (je le sais pour l'avoir fait il y a peu dans un texte), je ne saurais égaler ce chef-d'œuvre d'un genre à part entière : la grammaire expérimentale. Ces phrases ont quelque chose de cubiste. Et l'espèce de griserie de vitesse où l'on croit que les mots la pensée court plus vite.


Auteurs en herbe, envoyez vos perles au Miel des anges !
Pas mal non plus...

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Courrier (suite). Le secrétariat de volkovitch.com ne croule pas sous les messages, mais chaque livraison mensuelle apporte son lot de réactions, bienveillantes le plus souvent. J'apprends ainsi que nous sommes lus par Tororo ! M'en voudra-t-il si je dévoile son nom ? Rolland Barthélémy. Oui, le talentueux dessinateur. Du coup je découvre son blog, a nice slice of tororo shiru, bourré d'idées de lecture et de textes savoureux. J'aurais dû m'en aviser plus tôt. Cet homme a des goûts aussi variés qu'excellents. Parmi ses films préférés, Moonfleet de Lang, The ghost and Mrs Muir de Mankiewicz et Mullholland drive de Lynch. C'est tout dire !


On se laisserait volontiers emprisonner...
Un échantillon de son talent.

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Et les fous du bon docteur Venet, je les oublie ? Que non ! Voici la suite de notre grand feuilleton mensuel, tirée d'Observations en trois lignes, aux éditions de la Fosse aux ours.


Ugo Y. tient de longues conversations télépathiques avec une actrice célèbre. Manifestement, elle est dingue de lui. Mais, un peu allumeuse ou trop surveillée par son régulier, elle lui fixe des rendez-vous auxquels elle ne vient pas.


À l'adolescence, Zinédine Y. a commencé à entendre des voix qui lui promettaient le pire et l'inquiétaient beaucoup. Avec les années, il s'y est habitué, et, depuis quelques années, les voix disent simplement Zinedine est guéri : tout va bien.


Fille de Jacques Brel et de Dalida, Nathalie X. a été opérée par Guy Béart qui a essayé de la violer pendant l'anesthésie, comme plusieurs chansons l'attestent. Ses parents sont encore en vie, mais elle ne révèlera pas où ils se cachent.


Le Moyen-Âge, plus riche en fous que notre époque ?
Fou médiéval.

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Et moi j'ai passé le mois avec Wagner — en tout bien tout honneur. N'ayant pas réécouté Tristan depuis des lustres, je suis frappé plus que jamais par la modernité géniale de cette musique, l'incandescence, la passion permanentes. Après quoi, les Maîtres chanteurs écrits juste après, inexplicablement balourds et boursouflés, me tombent des oreilles. Vite, vite, lavons-les dans l'immense fleuve de la Tétralogie, tout ruisselant de merveilleux reflets. Pas d'amour ici, mais une intensité extrême là aussi, à coups de grandes flambées héroïques. Cela n'en finit pas, mais comme je ne comprends pas ce qu'ils se racontent, je ne m'ennuie pas un instant.


Opéra de Monte-Carlo, 2013.
Les Filles du Rhin, dans L'or du Rhin.

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Le cinéma ? Mois désastreux question quantité, mais question qualité, délicieux !

Une nouveauté d'abord : Petite maman, de Céline Sciamma. Une fillette retrouve la maison de sa grand-mère qui vient de mourir. Dans les bois voisins, elle rencontre une fille de son âge, qui lui ressemble et n'est autre que sa mère. Genre dangereux que le fantastique ; Pascale Ferran s'était plantée, à mon avis, dans Bird people ; ici, la jeune cinéaste, à force de petites touches délicates (belle direction d'acteurs, jeux de couleurs subtils), rend naturelle son étrange histoire et l'enrichit de résonnances profondes.

Et revoilà le dernier Resnais : sombrement drôle, tranquillement amer, porté par un sextuor de comédiens donnant le meilleur d'eux-mêmes (Sabine Azéma, Hippolyte Girardot, Caroline Silhol, Michel Vuillermoz, Sandrine Kiberlain, André Dussollier), Aimer, boire et chanter se révèle plus étincelant encore qu'il y a huit ans à sa sortie, plus pétillant.


La cabane, ce nid de rêves...
Les deux petites, jumelles dans le civil.

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Des images encore, mais dans des livres.

Qui n'a jamais rêvé de vivre dans les arbres, comme le baron de Calvino ? Alain Laurens nous permet de réaliser ce rêve, en imagination du moins. Il a construit en vingt ans plus de cinq cents cabanes perchées en France et dans le monde entier (sans planter le moindre clou dans les arbres, sans les abîmer, jure-t-il), et nous en fait visiter une cinquantaine parmi les plus belles. Les fines aquarelles de Daniel Dufour nous montrent l'extérieur et l'intérieur de ces cabanes, un texte du constructeur donne quelques détails et l'écrivain-voyageur Sylvain Tesson préface avec talent cet ouvrage des éditions du Pacifique, Des cabanes dans les arbres.

Certaines sont aménagées comme une vraie maison, avec lit ou canapé, électricité, eau courante parfois, mais le confort est-il l'essentiel ? Grimper là-haut, c'est s'isoler des agressions d'en-bas, ce n'est pas forcément être seul : en nous nous éloignant de nos congénères, nous nous rapprochons du même coup des arbres, ces compagnons discrets. Il paraît que nos ancêtres voyaient en eux des dieux ; comme quoi, sur certains points, ils étaient plus sages et clairvoyants que nous.


On ne nous dit pas combien ça coûte...
L'une des plus inventives.

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Les très riches heures du duc de Berry. Douze enluminures, une par mois de l'année, datant du XVe siècle, commandées par Jean de Berry, fils et frère de roi, personnage puissant, immensément riche et ami des arts. Ces images, nous les avons tous rencontrées, reproduites ici ou là, mais je ne les avais jamais encore vraiment vues ; il a fallu ce livre de la Bibliothèque de l'image qui les donne en grand format, avec moult agrandissements spectaculaires.

On pourrait passer des heures à les scruter, ces planches somptueuses, d'une précision extrême, d'un raffinement inouï, aux couleurs fraîches comme il y a six-cents ans. Des gentes dames et de brillants seigneurs s'y ébattent, des paysans y travaillent, avec, à l'arrière-plan, des châteaux fabuleux.

Au point qu'on les croit imaginaires, mais non. Les notices explicatives de Jean Dufournet les situent : l'un d'eux est celui de Vincennes que j'ai longtemps côtoyé — ce qu'il en reste. Et ce qui ajoute à la magie de ces images, c'est toutes les entorses à la perspective classique, et toute l'expressivité, la poésie qui s'en dégagent. L'histoire de l'art nous enseigne que la découverte de la perspective fut un progrès ; vraiment ?


Au fond, le château de Lusignan en Poitou.
Le mois de Mars.

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Et voilà déjà juillet qui se pointe. Ce qui fut jadis un grand moment n'a plus guère d'importance pour moi, maintenant que vacances et travail sont mélangés toute l'année.

Sans compter que ce début d'été manque un peu de soleil, à tous égards.

Le vilain virus recule donc et certains s'imaginent qu'il est vaincu. J'envie leur foi. D'autres, ou les mêmes, croient qu'ils ont gagné les récentes élections, alors que nous les avons tous perdues. Ce putain de scrutin, la honte. Deux citoyens sur trois qui ne veulent pas se remuer jusqu'au bureau de vote, c'est une débâcle nationale. Les peuples trop fatigués pour voter sont prêts pour ce qu'ils méritent : la dictature.

Mais non, Michel, réjouis-toi !

Tu délires, Volkovitch ?

Réfléchis. Peu de votants, ça veut dire qu'ils sont peut-être moins nombreux que prévu, les obsédés de la sécurité, ces blaireaux qui votent pour ceux dont les prurits sécuritaires les menacent le plus salement — les RN, LR, LRM, bigbrotherement unis...



...le surfage universel.
Les jours d'élection, plein de gens vont faire du surf. C'est ce que le Chat de Geluck appelle...

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Heureusement il y a les livres. Au programme d'août, en principe : Cortázar, Simenon, Mauriac, Bazot, Gourmont, Markson, Tota... Il y en aura pour tous les goûts.













SITATIONS

Savez-vous de qui sont ces phrases ?

(réponse sur le numéro de la citation...)


1


Malheur à celle qui veut que son ami soit en tout et partout un homme merveilleux.



2


C'est débordant d'une admiration sincère, rempli d'un respect non feint, que j'ai été contraint d'interrompre maintes lectures qui décidément m'ennuyaient trop.








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