BRÈVES
N°208 février 2021
Qui a dit que le voyage dans le temps est une chimère ? Les préhistoriens, ces spéléologues temporels, nous font revivre nos origines avec une précision sans cesse plus stupéfiante. On ne prendra sans doute jamais une néandertalienne dans ses bras, mais on peut rêver devant son effigie plus vraie que nature. Notre passé s'éclaire à mesure que notre avenir s'assombrit. Notre mort approche et notre enfance ressuscite.
Jean-Paul Savignac, lui, explore un passé plus familier. Traducteur d'Eschyle, de Sophocle et même de Pindare (toutes les odes ! quel titan !), il est par-dessus tout un fervent admirateur des Gaulois. Ils lui ont inspiré une demi-douzaine d'études parues à la Différence, dont un Dictionnaire français-gaulois et «Merde à César», Les Gaulois, leurs écrits retrouvés, plus deux romans.
Le bonheur d'être Gaulois, sous-titré Mœurs, coutumes et croyances (éditions Imago), synthèse de longues recherches, fait revivre environ dix siècles de Gaule, du IVe avant au Ve après. Une reconstitution à la Cuvier, partant d'indices ténus (textes grecs, latins, irlandais, gallois, inscriptions, objets, noms de lieux), d'où émerge une image flambante de vie. Les Gaulois de Savignac sont exubérants, passionnés, gros mangeurs et surtout buveurs, aimant les femmes, les chevaux, la guerre. L'auteur décèle, dans ce qui reste de leur art graphique,
une santé éclatante, une jubilation d'être, un enchantement expansif.
Quant à leurs druides :
Voilà un clergé druidique, réputé pythagoricien (on prétendait même que Pythagore serait allé à leur école), qui usait d'une langue capable de démonstrations mathématiques, de raisonnements rigoureux, une langue de chercheurs, de mystiques et d'intellectuels, riche de capacités d'invention et de création ! (...) Une langue apte à formuler toutes les nuances de la pensée en acte, comme le grec, voilà ce qu'était le gaulois.
Les druides apprenaient par cœur des milliers de vers, ils refusaient l'écriture, condamnant du même coup leur culture à se perdre — avant qu'un savant lettré, vingt siècles plus tard, nous ressuscite vite fait tout ce petit monde avec une fougue et une dévotion contagieuses. C'est à croire qu'il y était ! Qu'il a entendu leur langue dans «son exubérance et son éclat», qu'il a vu
leurs vêtements celtiques bariolés, enflammés, sanglants.
Car ils adoraient le rouge, qui
intensifiait la passion de vivre, riait à la mort, bouillonnait d'immortalité.
Ils l'ont enfin, après vingt siècles.
Village gaulois. |
Le présent se rapproche avec Soixante ans de journalisme littéraire de Maurice Nadeau et son tome 2, que nous épluchons et savourons de mois en mois tel un fruit nourrissant.
1957, riche année. Aragon publie les poèmes du Roman inachevé, commenté non sans réserves — on sent comme un froid entre le stalinien et le trotskiste. Côté Céline, voici D'un château l'autre, guère plus apprécié. Nadeau, pourtant, aime Le voyage au bout de la nuit, il est ému par son héros, par son humanité. Mais le Céline d'après-guerre, dit-il, n'est plus le même :
Nous n'avons plus qu'un récit littéraire, une relation de souvenirs, un reportage de grand journaliste. L'âme de ce qui fait les grandes œuvres s'est envolée. Le délire qui emportait l'auteur du Voyage au-delà de lui-même (...) s'est transformé en rage mesquine, en haines ridicules dont l'exagération fait sourire, en volonté abjecte de se faire plaindre. (...) Ayant perdu tout ressort, on le voit soucieux d'exécuter encore, pantin disloqué, quelques clowneries qui feront rire le parterre.
Cette année-là, Michaux publie L'infini turbulent et Bataille Le bleu du ciel. Nadeau analyse longuement les deux livres avec une vive admiration. Bataille est pour lui
un poète qui à partir du sordide et de l'obscène, atteint sans effort au sublime.
Nadeau salue en outre chaleureusement les jeunes auteurs que sont alors Barthes, qui publie Mythologies, et Claude Simon, dont paraît le premier grand livre, Le vent.
1957 marque aussi l'apogée du Nouveau Roman. Le critique est moins emballé par Robbe-Grillet et sa Jalousie (il le compare perfidement à Balzac !) que par L'emploi du temps de Butor et la réédition des Tropismes de Sarraute. Et l'on est fort surpris de voir associé aux trois stars, dans le même article, un inconnu qui le restera : Jean Lagrolet, pour Les vainqueurs du jaloux, élogieusement commenté.
Autre inconnu que Nadeau nous donne fort envie de lire : le Serbe Miroslaw Krleža, pour son recueil de nouvelles Enterrement à Theresienbourg. On s'en occupera prochainement.
Mais l'un des moments forts de cette année 1957, c'est, dans la recension d'un ouvrage de Jean Guéhenno, un passage autobiographique, chose rare, où Nadeau évoque son apprentissage à l'école normale d'instituteurs :
D'où vient que nos camarades du lycée ou de la Faculté nous paraissaient appartenir à un autre monde, où ils évoluaient avec aisance et sans soucis ? Pourquoi ce sentiment qu'on nous cachait quelque chose, un secret dont la possession nous aurait rendus semblables à eux ? (...) Nous sentions obscurément que ce domaine de la culture où on nous faisait timidement entrer, nous ne pourrions jamais le fouler à notre aise, comme il demande de l'être, avec une suffisante liberté d'allures et un parfait désintéressement. On nous en donnait les moyens et on nous les retirait en même temps.
Nadeau, bien plus tard. |
Le dernier roman d'un autre habitué de ces Brèves, Patrick Modiano — Encre sympathique, chez Gallimard —, j'ai attendu un an avant de l'ouvrir, comme on se plaît à retarder un moment qu'on devine délicieux. Je m'y suis plongé enfin il y a juste un mois et j'ai tout oublié de l'histoire. Comme par magie. Je me rappelle seulement l'émotion pendant la lecture, cet état d'hypnose heureuse.
Je relis mes notes griffonnées. La recherche d'une personne disparue, l'errance dans un passé obscur, plein de fantômes. Leurs noms extraordinaires. Mourade... Brainos... Behaviour... Mollichi... Steur... Paupelix... Le Phat Vinh... Guy Pilotaz... Yerta Royez... Othon de Bogaerde... Sancho Lefebvre... Pimpin Lavorel...
Si les visages n'étaient plus reconnaissables pour la plupart, les noms étaient restés intacts.
Des noms qui brillent comme des étoiles dans la nuit, pour le lecteur et pour le narrateur. Modiano, comme Echenoz, a le génie des noms. Il a aussi, comme lui, l'art étrange de décrire les choses avec une fidélité minutieuse et en même temps de les transfigurer. Le Paris qu'il arpente pour la nième fois prend plus d'une fois des allures de campagne secrète. Modiano magicien, là aussi.
Noté des phrases, comme toujours.
...cette phrase décisive, «Je crois qu'elle est morte, ne correspondait pas au flou et à l'incertitude qui entouraient pour moi Noëlle Lefebvre. (...) Vous avez beau scruter à la loupe les détails de ce qu'a été une vie, il y demeurera toujours des secrets et des lignes de fuite pour toujours. Et cela me semblait le contraire de la mort.
J'ai peur qu'une fois que vous avez toutes les réponses votre vie se referme sur vous comme un piège (...). Ne serait-il pas préférable de laisser autour de soi des terrains vagues où l'on puisse s'échapper ?
Je n'ai jamais respecté l'ordre chronologique. Il n'a jamais existé pour moi. Le présent et le passé se mêlent l'un à l'autre dans une sorte de transparence, et chaque instant que j'ai vécu dans ma jeunesse m'apparaît, détaché de tout, dans un présent éternel.
Le narrateur est écrivain, c'est ce qui donne à ce roman, qui quant au reste est frère des précédents, une dimension supplémentaire : celle d'un art poétique. À travers son personnage, l'auteur décrit sa propre démarche, à sa manière feutrée, enveloppante — sans rompre le charme.
Une dernière petite phrase notée :
Jamais Paris ne m'avait semblé aussi doux et aussi amical, jamais je n'étais allé aussi loin dans le cœur de l'été.
Les histoires de Modiano baignent souvent dans la mélancolie, mais on y trouve aussi, pas si rarement, certains moments parmi les plus lumineux et apaisés qu'on puisse lire. Modiano, écrivain du bonheur ?
Il n'a pas l'air malheureux, en effet... |
Pierre Bayard, c'est différent : je tarde à le lire (et ne lis pas tout de lui), sachant qu'ici ou là mes dents vont grincer. Comment parler des faits qui ne se sont pas produits ? (Minuit), après Comment parler des livres qu'on n'a pas lus ? et Comment parler des lieux où l'on n'a pas été ?, est le nouveau chapitre d'une série qui a fait sa gloire. Il y dégaine derechef son arme favorite : le paradoxe.
Les informations fausses, une calamité ? Pas du tout ! Et l'auteur d'énumérer leurs vertus et bienfaits, faisant défiler une ribambelle de bidouilleurs, Steinbeck, Chateaubriand, Freud, Anaïs Nin, avec en tête de cortège le poète Saint John Perse, prince des imposteurs. La façon dont il trafiqua sa bio le couvre de ridicule, certes, et le chapitre sur De la Chine de Maria-Antonietta Macciocchi, qui nous fit croire en 1971 à l'instauration par Mao du paradis terrestre loin là-bas, nous fait hurler de rire, mais le professeur Bayard ne les accable pas totalement : les informations fausses (je cite la quatrième de couv)
sont source de bien-être psychologique, elles stimulent la curiosité et l'imagination.
Cet éloge du mentir vrai, qui ne manque pas de pertinence dans certains cas, n'est pas non plus de la toute première fraîcheur, et l'essayiste, emporté par sa verve et sa finesse indéniables, verse parfois dans le systématique, le spécieux, le contorsionné.
Il met en scène, pour s'en moquer, le personnage du chicaneur :
Si son champ de nuisance est vaste et concerne l'ensemble de la vie quotidienne qu'il n'a de cesse de perturber, le chicaneur s'épanouit pleinement dans le domaine littéraire et artistique. Prenant un soin maladif à vérifier tout ce que racontent les faiseurs de fable, il éprouve un malin plaisir, alors que personne ne lui demande rien, à gâcher la joie de l'écrivain comme de ses lecteurs.
Bayard aurait pu aussi bien camper le personnage du paradoxeur, dont le malin plaisir est de prendre à contrepied mécaniquement les idées qui tombent sous le sens, bonnes ou mauvaises. Il en serait l'incarnation parfaite.
Le chicaneur, ce triste sire, conclut-il, «illustre à la perfection la théorie freudienne de la pulsion de mort». Diable ! Il est vrai que la vérité blesse et que la vérité subjective qu'il défend, assez proche de la post-vérité qui fait florès en ce moment, peut paraître plus confortable. Nos maoïstes d'autrefois vivraient aujourd'hui dans un confort moral douillet si nous avions tous fait l'effort de croire contre toute raison à l'Éden chinois. Doux opium du mensonge... L'idéal de Bayard est un prozac de la pensée.
Bref, lire cet éloge du fake en ces temps trumpiens n'est pas le meilleur moment. N'empêche, il se pourrait que je retourne un jour à Bayard : il agace, mais il amuse. Ses exemples sont marrants, et ses acrobaties aussi. Faut-il vraiment le prendre au sérieux ?
Le chevalier Bayard... |
Après l'avocat du diable, voici sa majesté en personne ! Il est le héros d'un Que sais-je sobrement intitulé Le diable, d'une érudition, d'une clarté et d'une santé d'esprit épatantes. Georges Minois, l'auteur, soit loué !
Il nous apprend que le Malin, comme on dit, est une invention récente. Absent dans l'Ancien testament, il apparaît ensuite en catimini, à la fois poussé et freiné par l'Église qu'il dérange et arrange à la fois. On se demande comment Dieu peut tolérer ce rival, mais en même temps ce dernier aide à résoudre le problème du mal. Un problème qui
est pour les théologiens la quadrature du cercle, sous la forme du vieux dilemme : soit Dieu a permis le mal, et alors il n'est pas infiniment bon ; soit il ne l'a pas permis, et alors il n'est pas infiniment puissant.
L'existence du diable dédouane en partie l'homme de ses péchés, qu'il travaille à lui faire commettre — c'est le bouc émissaire, en somme.
Il a bon dos : pendant des siècles, tous les troubles psychiques lui sont attribués, la plupart des malades mentaux sont considérés comme possédés. L'apogée de sa gloire, c'est le XVIe siècle, où l'on brûle et torture les sorcières à tour de bras. Aux cas de folie individuelle répond la démence collective des foules — laquelle qui ne saurait nous surprendre, nous qui venons de voir un bon tiers de la population américaine se révéler folle à lier.
Pour combien d'entre nous, dans nos pays civilisés, existe-t-il encore ? Et pourtant, pour nous tous, même pour ceux qui comme moi croient en lui comme au Père Noël, ni plus ni moins, quel éclatant personnage ! Il fait rêver. Quelle présence, quelle aura ! On le croirait fait pour se pavaner à l'opéra sur des musiques de MM. Berlioz ou Gounod !
Il peut prendre toutes les formes dont souhaite le revêtir l'imaginaire. Plus que jamais, il est le maître de l'illusion, de l'apparence, du mensonge, c'est-à-dire du virtuel, qui par les écrans, de cinéma, de télévision et d'ordinateurs, s'apprête à contrôler l'humanité entière.
Une chose est sûre : l'enfer n'est pas ce à quoi on Satan.
Lithographie d'Eugène Delacroix. |
On vient d'évoquer la folie. Emmanuel Venet les connaît, les fous, même s'il n'emploie pas le terme. Il s'occupe d'eux depuis bientôt quarante ans. Les dix livres qu'il a publiés, à en juger par leurs titres, puisent dans cette expérience, et le tout dernier, Observations en trois lignes (La fosse aux ours), en est tout entier issu.
367 textes brefs, trois lignes pile — soit le même dispositif exactement que les fameuses Nouvelles en trois lignes de Félix Fénéon —, chacun résumant un cas soigné naguère par l'auteur. C'est tantôt poignant, tantôt poilant, souvent les deux ensemble. Voici trois échantillons. Et chaque mois de cette année, jusqu'en décembre, on pourra en lire trois autres. Cet étrange petit livre, d'une extrême richesse humaine, mérite qu'on s'y attarde.
Armelle X tue des animaux, dissèque leurs cadavres pour découvrir le siège de l'âme, puis essaye de les ressusciter par des formules magiques. Jusqu'à présent ça a toujours raté, mais elle ne perd pas espoir.
Patricia X. en veut à son père d'avoir contrecarré son projet de devenir sage-femme et de l'avoir empêchée d'épouser l'homme qu'elle aimait. Il m'a toujours mis des bâtons dans les trous, dit-elle, avant de légèrement rosir.
Si Olivia X. se jette d'un étage impair et meurt sur le trottoir, elle renaîtra sur une plage, déesse promise à une éternité de bonheur. Elle saute du troisième et tombe sur la bâche d'un commerce : pas une égratignure, elle reste une mortelle.
On s'y croirait. |
Un peu d'allemand ?
Ich weiß nicht was soll es bedeuten,
Daß ich si Traurig bin ;
Ein Märchen aus alten Zeiten,
Das kommt mir nicht aus dem Sinn.
C'est le début d'un poème de Henri Heine, «La Loreley», si célèbre qu'il a été traduit une quarantaine de fois en français. Rassembler toutes ces versions, ce serait passionnant, se dit-on... Eh bien Pascale Roux l'a fait, pour les éditions La pionnière.
Ce genre de confrontation, aubaine pour les traducteurs et pas seulement pour eux, est en train de devenir un genre à part entière. Cette Loreley est le troisième titre d'une collection inaugurée avec L'infini de Leopardi, et l'on peut lire, chez d'autres éditeurs, l'excellent L'égal des dieux, cent versions d'un poème de Sappho (Allia), et 19 manières de regarder Wang Wei, d'Eliot Weinberger, traduit par Lise Thiollier (Ypsilon), dont on causera bientôt ici même.
Les traductions de la Loreley s'échelonnent de 1854 à 2020. Elles sont d'une extrême diversité dans la forme (prose, vers rythmés ou non, rimés ou non) et dans la qualité bien sûr. Les étudier en détail demanderait des pages, mais quelques remarques s'imposent toutes seules.
D'abord, il est parfaitement possible de conserver la forme du poème : alternance 8/6 syllabes, rimes croisées abab, comme le prouvent quelques belles traductions anciennes, celles de Henri-Frédéric Amiel (1876) :
Mon cœur, pourquoi ces noirs présages ?
Je suis triste à mourir.
Une histoire des anciens âges
Hante mon souvenir...
Ou celle de François Vallon (1887) :
Je ne sais pourquoi la tristesse
À ce point m'assombrit.
Un conte des vieux jours sans cesse
Me revient à l'esprit.
On peut reprocher à Vallon d'avoir rebaptisé la belle en Lurline pour rimer avec «j'imagine», et chipoter sans fin sur les libertés prises par nos vaillants versificateurs ; pour moi, c'est avec eux, avec l'envoûtant balancement qu'ils préservent, que j'entends la voix de Heine et que son poème me touche.
À mesure qu'on se rapproche d'aujourd'hui, les traductions en vers se font plus rares, hélas. Et plus libres. L'art du vers n'est plus à la mode. On peut prendre plaisir, tout de même, à certaines versions. Guillevic (1991) fait du Guillevic, en comprimant au maximum : rien que des hexamètres !
Je ne sais pas pourquoi
Je peux être si triste,
Un conte d'autrefois
M'obsède et me résiste.
Le poème acquiert là une densité minérale un peu étouffante.
Jean-Pierre Lefebvre (1993), lui, lâche un peu de lest sur les rythmes, mais conserve l'alternance long/bref et les rimes, si bien que l'ensemble fonctionne :
Je ne sais pas d'où vient cette grande tristesse
En moi, ni ce qu'elle veut dire ;
Un conte d'autrefois que je ne cesse
D'entendre dans mon souvenir.
Mélodieuse et pourtant rigoureuse, la Loreley octosyllabique d'Ambroise-Luc (2004) :
Je ne saurais dire pourquoi
Mon âme est emplie de tristesse ;
Une légende d'autrefois,
Obsédante, y revient sans cesse.
Mais le clou du recueil, c'est la prestation de Michel Deguy (2020) :
Je ne sais pas ce que veut dire
Que je sois tellement triste
Un conte des temps anciens
Qui ne me quitte pas la tête (...)
Ça lui fait un mal sauvage (...)
Il ne fait que regarder là-haut le haut (...)
Et c'est de son chanter
Que Lorelei a fait tout ça
Un désastre. La pire version de toutes. Incompréhensible, venant d'un poète reconnu. (Mais c'est peut-être un canular ?)
Deguy ajoute un post-scriptum à son pensum :
«Après l'abandon de la rime (XXe siècle), torturer le poème pour que 'ça rime' est un anachronisme».
Morte, la rime ? Elle lui survivra.
La Loreley |
Nuit des temps, paysages oniriques, monstres, gnomes, dragons, belles cruelles, héros vaillants, magie, épreuves, combats, cataclysmes, tout ce bric-à-brac de l'heroic fantasy m'assomme et je n'aurais jamais lu Le grand pouvoir du Chninkel, chez Casterman, un classique déjà, si on ne me l'avait pas offert. Quel dommage c'eût été. Reprenant habilement les clichés du genre, les retournant à l'occasion — le héros n'est pas un connard barbant à gros biscotos, mais un être faible dépourvu de pouvoirs magiques, et la fin n'est pas bêtement triomphale, loin de là — Le scénario de Van Hamme, version décalée du Nouveau Testament, est d'une force et d'une intelligence irrésistibles. Quant au dessin de Rosinski, d'une étourdissante virtuosité, grandiose, épique en même temps que subtil, capable d'émotion et de tendresse, il porte ces pages à l'incandescence. Le pouvoir magique ? C'est sur ces deux-là qu'il est tombé...
Et en plus il y a... |
Au cinéma ?
J'aimerais aimer Sautet. Un mauvais fils (1980), très bien fait, belle histoire, Patrick Dewaere assure, on passe un bon moment. Mais le lendemain, que reste-t-il ?
Rêves de femmes, un Bergman première époque (1954), jamais vu jadis. Là aussi, scénario subtil, excellents acteurs, mais cette fois on reste marqué. À quoi tient la différence ? Ce film intimiste, discret, resté du même coup dans l'ombre de la Nuit des forains et des Sourires d'une nuit d'été, ne leur est guère inférieur.
La splendeur des Amberson, d'Orson Welles, tourné juste après Citizen Kane, en 1942, lui tient tête. Ce film sinistré, mutilé d'une heure, charcuté, porte malgré tout la marque du génie.
Quant aux séries, ces envahisseuses, elles déferlent jusque chez nous. La petite merveille anglaise, Inside number nine, épatante jusqu'au bout, fait place au français Ovni(s), digne du battage qui l'accueille. Il y a dans cette histoire abracadabrante un grain de folie, un humour égaré, un sens de la dérision tendre qui lui donnent un charme fou.
Daphné Patakia voit la vie en rose. |
Le dessinateur Xavier Gorce a quitté Le Monde après que l'un de ses dessins a fait le beuse, indignant à la fois les ennemis de l'inceste et les amis des transgenres, ce qui fait du monde. Un dessin pas drôle, comme tout ce que pond Gorce, et d'un goût douteux, mais qui, selon moi, méritait au plus un silence glacial. Après tout, on n'y voit pas la moindre apologie de l'inceste, la moindre moquerie anti LGBT. Ce qui a choqué, peut-être, c'est d'avoir accolé ces deux sujets qui n'ont rien à voir, le message subliminal étant quelque chose comme : l'inceste, les transgenres, vous n'arrêtez pas d'en parler, j'en ai rien à cirer, foutez-moi la paix !
Gorce est parti, bon débarras (j'avais une sacrée canine contre lui depuis certain dessin anti-grec), mais qu'on me pardonne si j'éprouve une vague gêne malgré tout : on peut partager pleinement la réprobation dominante vis-à-vis de l'inceste, ne rien avoir contre le changement de sexe et s'inquiéter tout de même un peu chaque fois que rire d'un sujet sensible déclenche des réactions hystér... euh, passionnées. La chasse aux sorcières est un sport éternel...
Pfffut... |
Pour oublier Gorce et le méchant virus, un peu de zizique.
Je n'avais pas écouté Brahms depuis quelques lurettes. Retrouvant ses deux sextuors, que je croyais bien connaître, ils m'apparaissent plus que jamais chauds, tendres, caressants. Les premiers mouvements surtout, ardents, somptueux, irrésistibles. Les finales sont plus retenus, plus extérieurs, comme si l'on se rhabillait pour passer de la chambre au salon. Mais je ne suis pas moins touché, en fait, par un mouvement moins entraînant, le troisième du second sextuor, Poco adagio, où la musique affirme moins, cherche, hésite, comme si elle était en train de se faire au lieu de nous être livrée sur un plateau.
Arrtiste rrusse |
En mars ? Gracq ! Chappaz ! Kerangal ! Le Tellier ! Winckler ! Gruber ! Sureau ! Fabcaro ! Nadeau !
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(réponse sur le numéro de la citation...)
Un Dieu que je comprendrais ne m'intéresse pas.
Rares sont ceux qui méritent qu'on les contredise.