Intro
—Accelerando—
Heure des vendanges
Heure des anges portant couronne
Le bourg s'éclaire de projecteurs
qui fouillent la nuit cherchant des traces
mouvement du flanc ou procession de l'icône miraculeuse
de la protectrice dans le lin
comme l'eau dormante en pleine tempête
un navire aux quarante rameurs
Sur le drap du dessus elle battait des ailes
chandelles tremblantes et s'écrie
...Màrtha ?... la marche militaire en houppes blondes
Étuve qui stérilisait les consonnes
et les voyelles jamais prononcées
comme une ligne brisée unissant les parias
comme ses petites mains au carrefour du vent
à savoir qu'un brouillard l'avait amené là
Il cherche dans le lierre les ex-voto
et dans de vieux journaux des talismans
dans un holocauste de repentir endormi
Tandis que son frère siamois le réveille
cigarette pour exorciser le pardon
...Màrtha ?... veillant sur le tranchant de l'aphonie
Ainsi dans le refuge de la virginité
où chrysanthèmes et incendies fleurissent
autrement dit scribe embrasé par les remords
il est sorti pour la chercher lanterne en main
là où il fut nommé citoyen d'honneur
et sur les marches titubant afin de se repentir
les copeaux et la brume de la démence
les clochettes qui toujours sonnent la fin à cinq heures
à chaque fois tandis que le concélébrant
dans la rumeur s'éloigne proie des loups-garous
...Màrtha ?... dans les nuages danseuse et petite pluie
La conductrice mène l'agneau
coiffée du diadème de perles
Couronne de fiancée fleuve de sanglots
office du geste jamais pardonné
Devant l'église pas de neige pour qu'elle suive à la trace
les gouttes laissées par le passage des larmes
Silencio ou icône de marche et de tulle
Ce qui cachait le visage contre lumière et croix
don du sang parmi les randonneurs et elle saluait
sur son passage griffant le mur avec un clou
...Màrtha ?... prêtant serment devant l'incrédule elle s'agenouille
Rameau de planète ayant acquis l'autonomie
Elle hisse l'étendard hisse la grande voile
cela qu'elle n'ose proférer
Salutation smyrniote sur la pente
quand elle détournait le regard pour se prendre
dans les pièges tendus aux chevreuils
Les pétales qui tombent autour d'elle
errance des yeux en comparaison
leçon pour proches parents dans leur deuil profond
pour qu'elle brille à présent comme argenterie dans la bourrasque
...Màrtha ?... les pêchers bruissent et les draps sont sanglants
À présent point d'écho pour tenir compagnie
à neuf cohortes de prétendants à l'ombre
Hymne qui monte le long de ses cuisses
longue lecture et appel des soldats défunts
Sans baguette pour faire passer l'ondulation
les eaux à l'heure du naufrage et les parfums
hétaïre de l'après-midi tandis qu'elle s'abat
ou au lieu d'elle sa sœur jumelle
qui noue le bandage assiste les cyclistes
la nuit parfois quand il pleut...
...Màrtha ?... traitée de superstition tournant le dos s'est éloignée...
Depuis le matin donc dans une arrogance de miroir
souffle qui subjugue les jeunes filles
et le vent qui refuse de s'apaiser
tandis qu'elle cherche son regard dans le couloir aux cristaux
l'abysse de l'ogresse l'engloutit
perdrix circonflexe en posture d'annuaire
pièce tombée à l'eau disparue
le vœu tremblant dans son haleine
à savoir puits vide et broderie llorando
quand son jardin croule sous les coquelicots
Sur la branche immobile soudain bat des ailes
Une icône palatine schismatique
pour descendre ouvrir ses ailes
en pleine course ou suivant le nouvel époux
Malgré le malaise des assistants
qui la regardent et se lamentent
larmes de sucre et de cendres
la fièvre blême remorqueur
de la lune plus blanc que la mort
pour sortir ouvre la fenêtre
Qu'elle bénisse le berceau de la mort apparente
de ce qu'un message fut envoyé par gestes
à l'heure où la nuit refuse de descendre
à l'heure où comme de coutume elle voulait être empoisonnée
Goutte à goutte comme un esprit des airs
l'hyménée conclu avec le loup
les douze louveteaux qui cherchent dans leur poison
c'est une mer de cheveux roux qu'elle a vue
la chaînette au pied de la dormeuse dans les ténèbres
et son ventre lors du naufrage
Son couronnement bien vite fut cause de remous
Une sainte amante de son suivant ressemble
à un vertige de magie noire et le psautier caresse
tâtonne entre ses seins
signe que n'efface point la neige
L'apparence proie du fauve la dormition brûlot
Rumeur qui forme des carrés
Rivalisant avec une tristesse d'arc en ciel
la mâchoire en plein délire
dignité de pain bénit et poussière
Avec aussi de la sciure pour le sang
mare gelée sur le sol
traces de pas telle une apothéose qui s'effacent
Chez la mariée dans un bourg désert avec des sacristains
dès l'aube ils allument pour elle
tant qu'elle refuse de se montrer sur le palier
de libérer ses cheveux et la panthère
de ne pas faire de miracles sans équilibre
de funambule entre les estivants
des nœuds de voix et des cristaux qui se brisent
Le diaphane restera diaphane comme une nymphe
l'azur imploration ou bien catatonie
rêve localement anesthésié dans l'éclipse d'une planète
avec la restriction requise observant
d'anciennes photographies de mariages
le premier bataillon d'insurgés dans la chambre mortuaire
et un rescapé qui a pris le maquis
Comme elle brûlait d'un désir indicible
La Sibylle soie de Brousse
Qui va donc la bercer de son petit miroir
Vers minuit dans une citerne se lavant
avec des parents et des belles-de-nuit
gouffre où l'errant fut pris au piège
À cinq heures avec le couteau de table emprunté
vers six heures elle présente ses seins
cris de l'aspirant sentinelle
Le collier éparpillé dans le sable
enjambées entre des veilleuses
enjambées en elle autrement dit
Doigts qui cherchent la soie et la défont
Le lendemain elle est au loin provisoirement partie
Recherche dans la mousson en quête
d'un lieu de villégiature de dissidents
école de lamentation pour filles
le réveil du matin bicorne de python
et ses petites mains sûrement sur le bastingage
Le chant oriental qui n'en finit pas
influence de rumeurs infondées disant
qu'elle marche sur les eaux couverte
du voile de la femme du chasseur
C'est ainsi à peu près le matin à la neuvième heure
pendant la mise au monde ou la tempête
à savoir débris entre les stands des revendeurs
Les choses parties avec le vent qui volent
au-dessus des toits d'une banlieue
au-dessus des randonneurs qui l'observent
Ascension en pleine autoroute
un accident circulation coupée et elle minaude
sur ce mot brisé qu'à présent préservent comme
la prunelle de leurs yeux les gardiens du port
Demi-souriante ainsi dans l'antichambre avec un petit drapeau
ou dans un club de donneurs de sang s'essayant
au léchage insistant d'un fruit vert
Écheveau qui se déroule au ciel
route céleste indicatrice de gaieté
on dirait une mer dans une brume douce
la construction marine qui la traverse
du bout des doigts jusqu'au cou clapotis
La sainte nitouche bercée au temps de Dardanos
amour à base d'effilochures sans doute et de vernis rouge
Elle galope à l'aurore dans la verdure
le çeçen kizi en italique s'écroule
entre des lépidoptères l'écoulement
et le lac virtuel poste de tir
Est-ce donc là le lieu où elle a séjourné
L'horizon artificiel de la pièce et le gouffre
lieu où s'aiguisent les rêves
literie dans le vent plein d'aiguilles de pin
Cobalt luminescent dans la pénombre qui rôde
en choisissant des nappes et un couteau tranchant
Yòrgos Hèlis, né en 1961, a deux amours : la poésie et la musique, celle-ci ayant été longtemps son gagne-pain. Il a publié trois recueils de poèmes et en prépare un quatrième. Le miroir d'Hildegarde, publié en 2008, dont on peut lire ici les premières pages, est inspiré par la figure d'Hildegarde de Bingen, religieuse du XIIe siècle, poète, philosophe, compositrice et peintre, surnommée la Sibylle du Rhin. L'ouvrage est sous-titré «roman», mais on s'aperçoit tout de suite que ce poème de 80 pages d'une seule coulée n'a rien de franchement narratif. Cette longue procession de mots sibylline est même carrément obscure, bien qu'en même temps illuminée par un perpétuel miroitement d'images.
Le poète consulté sur le sens de son poème répond que «la poésie est l'art de dissimuler», et consent à donner deux clés : Sayat-Nova, le film de Paradjanov, et L'après-midi d'un faune de Mallarmé. On peut également penser, tandis que se déroule ce chatoyant tapis de mots, à La route de la soie de Màximos Osỳros, autre voyage énigmatique et envoûtant à travers des terres inconnues.
Yòrgos Hèlis |