Celui qui part
IL EST PARTI personne alors pour combler le vide/ puis- d'autres sont partis/ et d'autres plus nombreux/ il n'est resté personne pour combler les VIDES/ un vide correspondait à chacun/ énorme V I D E / et on n'était encore qu'à mi-journée-
si chacun en partant avait pris avec lui son vide/ il n'y aurait eu aucun problème/ oui mais tous sont partis sans leur vide/ alors les vides restent là/ le monde entier plein de vides/ vides qui multiplient des vides
lacunes
trous
béances
vacuums
vides
plusieurs sur les murs/ certains dans la musique/ beaucoup dans les mots/ plus encore dans les relations/ le silence-/ et celui qui part / traverse toujours des vides
Il est parti et...
un oiseau vole dans le vide/ en face d'un ciel vide/soudain par les trous
des notes bleues jaillissent/ d'une paisible musique/ comme la garantie d'une récompense
on dirait le Son
bleu d'un Jazz_
jazz du vide
Jazz rack / poème bilingue en quatre dimensions ou (↑←→↓)
Il y avait un ciel bleu
With a blue moon
Visage peint en bleu
And a blue suit
Il jouait d'une guitare sombre
And he spoke words
Avec des reflets bleus
The piano face man was white
Les touches dans une angoisse noire
His fingers begun to bleed a bit
Le sang était blanc
Made blue notes
Avec une flûte en or
A silver bird flew
Tout au long du ciel vert
And music was the talk
D'un lent, torturant Jazz-
Or something like that
[...] And I know so little
of what happened there
at that night of blue
All of my heroes completely
destroyed
But the piano man still
holds the tune
Le cadre
ou
vol ascendant de flamant à quatre temps (4/4) sur une octave et un demi-ton
À quoi fait allusion le Do ?
l'aile d'un flamant sauvage
Quelle bonne nouvelle annonce le Ré ?
l'enfance
À quoi fait allusion le Mi ?
l'Aurore Boréale- ou l'envol imminent
Quelle bonne nouvelle annonce le Fa ?
la Terre se balance d'un côté ou de l'autre
À quoi fait allusion le Sol ?
la Clé- oiseau/ le bec raye l'œuf
Quelle bonne nouvelle annonce le La ?
le Big Bang / la Terre se casse- l'oiseau hors de l'œuf
À quoi fait allusion le Si ?
l'oiseau apprend à/ les ailes bloquées dans leur ultime tentative
(retour au début)- post-scriptums d'envol)
À quoi fait allusion le fa# ?
aile en slow motion mouvement qui tombe / il touche le côté droit de la terre
Quelle bonne nouvelle annonce le Sol ?
la scène est immortalisée/ le cadre- ciel/ la terre perd de la hauteur/ l'oiseau monte sans cesse/ il s'élève jusqu'à une position qu'il allait conserver pour toujours_
[jamais auparavant/ aucun oiseau/ aucune Terre/ ne va/n'a conservé/la position-cadre 4X4 à jamais]
Allusion au Jazz- flamenco sketches
bonne nouvelle en silence-
[Vide]
(La version jazz)
[Barbelés]
Holocauste de toute une zone
de l'histoire
l'exil intérieur, les galeries, les blessures
qui sont tombés dans tes mots
qui tombent encore
qu'on a écrits
comme s'ils ne l'avaient jamais été
qu'on écrit
encore et encore
frontière la langue
tu dis que ta première demeure
les barbelés
s'impriment
des rencontres encore
aux lèvres grand ouvertes
les voix
qui sont tombées dans tes mots
qui tombent encore
viennent
en morceaux en poussière, bientôt
apparaîtront dans l'entremêlement
autre façon d'habiter
elles viennent, mais tu ne les verras pas
Car ce qu'on a perdu, nous le perdons encore.
[Guerre / Nuremberg]
Cette guerre a eu lieu
dans les ténèbres de ton cerveau
Une vieille histoire allemande,
chaque histoire, comme les petits soldats
dont nous jouions enfants
À présent, ma pensée court de l'Elbe
à l'Èvros, aux mille arbres de son delta
les amis ont cessé de m'aimer
quand je leur ai dit que je ne joue plus
Je m'allonge dans l'herbe et je compte les jeux
les guerres, les amis les ennemis,
je compte les tendresses
Le soleil éclaire le soldat de plomb
de ces années-là — le rouge-gorge à côté,
le pique du bec et gazouille faux
Les années ont passé je ne distingue pas lequel
de nous deux est tombé au combat — lequel vit
[Guerre / Athènes]
Cette guerre a eu lieu
dans les ténèbres du frigo
le manque d'aliments s'accroissait
dépassant ses besoins il a gelé
tu ne te possédais pas
je ne possédais pas mon absence
seule au fond, abandonnée
à demi pourrie une tomate et ses langes
étalés au bord de l'obscur
donnait l'idée de l'issue du combat
une pluie rouge la nuit comme une cravache
[Guerre / Pest à Buda]
Cette guerre a eu lieu
au bord d'une carte
les commandements
sans cesse plus confus
sans cesse plus menteurs
les embuscades en foule de la nuit
guettaient ta chute
les visages des dirigeants
s'étaient tous étrangement mélangés
jusqu'au soir où laissant la carte ouverte
avec les marques et les dessins gravés
ils ont disparu à jamais
(il y a toujours moyen de fuir)
reportant sine die la bataille
[Guerre / Duktus]
Cette guerre a eu lieu
dans la nuit d'un tiroir
châteaux et royaumes sanglants
ils ont fait de la fausse monnaie
J'ai changé de villes de pays
de visages de personnes
je change toi et moi
j'ai fait de la fausse monnaie
Moitié revolver, moitié main
il a jailli de mon cou
eau noire nommée Loudìas
il a fait de la fausse monnaie
La température du tiroir
est la température de ton ventre
tant de guerres, tant d'amours, un tel abattement
une telle adoration
Je t'ai mis de côté un bébé dans le tiroir
à la fin, quand ils t'auront tout pris, sur le fond
restera un peu de sang dans une lumière bleue
Pardon de ce que tu te retrouves
dans ce qui est mon corps
[Guerre / Quatuor]
Cette guerre
a eu lieu entre les notes, entre les demi-tons
d'un adagio pour cordes
et c'était jusqu'alors
une idée inconcevable pour tous
puisqu'on dit que dans les eaux profondes
de la musique le temps est neutre
mais cette guerre aussi
est une idée, comme la musique
inconcevables toutes deux pour le bon sens
si tu les touches un tant soit peu, ne subsiste
que la brise d'une faible grandeur
cette impression, que quelqu'un se fait tuer
à des milliers de milles — sur les ondes courtes
de la radio
[La prison de Serkadji]
À présent c'est la guerre
la clandestinité
je ne sais où elle te trouve
mais je ferais tout
pour que nous retournions à une
poésie rude parmi les tournesols
au centre-ville
le pantalon baissé
pour tous les amours probables
que tu as ignorés quand ils t'appartenaient
je ne sais jusqu'à quand ça va durer
mais j'en ai assez de rimailler
avec Mahmoud Amine el Alem
entre les murs d'une prison d'Algérie
le destin du poète c'est l'ombre
demain peut-être tout s'écrira sans nous
[Troie / dans les mêmes eaux profondes que toi]
Ce frère céleste flotte
là-haut dans la tempête
avec les Danaens, avec les Myrmidons
— Ils vont le lapider ?
sur la terre de Troie, des Troyens
chômeurs demeurent encore
au milieu des malheurs dont ils souffrent
sans combattre
La seule terre ferme qu'ils commandent c'est les pierres
que leurs doigts touchent
avec les Danaens, avec les Myrmidons
— On a besoin d'armes, on a besoin de cendres
2000 ans après — il galope encore
dans les vallons et refuse de pourrir
Il change de lieu, il change de proie
son crâne change de place (dans le sommeil)
du côté de la blessure,
apparaît l'âge du bronze
[Dans la petite longue-vue de l'Histoire]
On dirait des hommes qui transportent une corde Endurcis dans les égouts de l'Histoire Piétinant les 2015 roses-perles salies Sur le collier nœud coulant de la Comtesse Europa telle qu'elle se dresse marmoréenne et ravagée sur fond de ciel attique Les suicidés de l'obturateur Autour de ses pieds des feuilles obscures Leur terre la liberté amputée de tout ce qui est bon Cendres cheminées fraction obscure Automne dans la civilisation mais souvenir de printemps il semble nous mener vers le ciel
[Sept lieues sous la rime du temps — ensevelis
là où fleurit une Alexandrie mentale
— et tous les morts s'inclinent]
[Refrain]
Sous ma chair
obscurs — inconnus
ils signent ma solitude
ils travaillent comme faille intérieure
au delà de la loi de la vie
et de leur silence électrique
Chacun embrasse de l'autre le doute
si fort, si fort que s'avère vrai l'oracle
que j'entendis en Bohème dans les bars à absinthe
«D'Occident messieurs sommes revenus de nouveau affamés»
Et d'autre part,
ce soir pas un seul sonnet d'amour
pour signer
notre éternité
(Aire de jeux)
Né à Kavàla (Grèce du Nord) en 1975, il a étudié la sociologie avant de devenir éditeur et libraire à Thessalonique. Traducteur de Bukowski, Morrisson et divers poètes anglais, il a publié huit recueils de poèmes.
C'est sa poésie la plus récente qu'il nous propose ici. Une poésie ouverte à l'immense rumeur du monde et à ses drames. Le titre du dernier recueil, Aire de jeux (2015), est d'une ironie noire : nous sommes plutôt sur des champs de bataille, la guerre faisant rage à l'extérieur de l'individu tout comme à l'intérieur de lui. Nous traversons plus d'un champ de ruines, mais ces poèmes qui disent le vide et la perte sont en même temps très pleins, débordants d'énergie, à la fois ramassés et éclatés, tendus par leur effort pour embrasser toute la réalité possible, et en même temps — témoins les poèmes syncopés, brûlants de La version jazz (inédit) — portés, hantés par la musique.
Duktus. Allusion à un poème de Paul Celan.
Loudìas. Fleuve du nord de la Grèce.
Serkadji. Prison d'Alger.
Yòrgos Alisànoglou |