CE QUI A EXISTÉ
Ce qui a existé
à l'horizontale
avant le jour
adoptant les étranges
habitudes reptiliennes
sous la pierre
vivant l'hiver
dans les arbres
icônes de la petite vie
confirmant la floraison verrouillée
confirmant la sensation fissurée
ce qui a existé avant
le vertige vertical.
PROMENADE
Je marche au-dessus du jour
je marche au-dessous du jour
à l'intérieur du jour
je laisse
mon corps
Et je m'en amuse
AUCUNE LUMIÈRE
Aucune lumière
en dehors de la lumière
aucune lumière dedans
tandis
qu'étrangement s'étend
la même rose
sans être en effet
un prolongement qui bien sûr
n'est pas
mais dure
comme l'heure
les heures en fait
enveloppant le jour.
DEMI-JOUR
Mais le demi-jour imprévu
incertain
immobile
armistice au milieu d'une
guerre civile déchirante
et pas un sourire
pas une larme
rien qu'un
vide ridicule
sans douleur ni
rêves
ridicule
apeuré
ce demi-jour
de convention.
LA LUNE PARAÎT SÛREMENT LOINTAINE
La lune paraît sûrement lointaine.
Bien sûr on ne sait pas
comment elle vit dans le miroir
comment elle puise la lumière
dans des yeux pleins de désespoir
comment elle jouit empruntant sa lumière
de se nourrir de leur terreur
et que
— surtout —
elle sait comment
te fissurer.
LE BÛCHERON
Le mauvais bûcheron
entre dans le sommeil
coupe dans le rêve
les trois arbres
puis s'en va
vers une autre forêt
Le bon bûcheron
entre dans le sommeil
coupe dans le rêve
les trois arbres
puis en pleurant
plante
dans la terre
son corps.
ICI EXACTEMENT
Ici exactement.
Dans l'éternelle
obscure seconde.
Tandis que les escaliers donnent
sur d'autres escaliers
de même qu'allaité par la nuit
je suis à l'affût de la secrète
palpitation de la lumière
de même
que dans cet arbre-là
les battements d'ailes furieux
de l'automne
de même encore
dans le sommeil attendant
désormais plein d'allégresse
ma mort ultime.
ROSES DANS LA MER
Roses dans la mer.
Là encore c'est une image
cachant de plus
la dangereuse éventualité
du passage à l'acte.
Si tu nages mettons
et que soudain les roses t'adorent
et t'entourent
ou si de ton plein gré encore tu plonges nu
les serrant dans ton poing
vous aurez gagné
toi une douleur nouvelle
et la mer
le sang obligé.
PARFAITEMENT POINTUES
Parfaitement pointues sont les choses.
Ce sont les mots
qui tombent malades.
(Au-delà du jour)
PÂLEUR
Quand la nuit ne tombait pas
quelque part dans les rochers
fragile
la pâleur naissait.
Sans douleur c'est vrai
mais en chantant
et revêtant toutes choses
d'une jolie lumière malade.
Quand le jour se levait
mes rayons s'effaçant
la pâleur alors
déverrouillait un monde
où des phares bousculaient
la mort de la mer
toujours
consolateurs
au milieu des heures
brisées.
POÈME D'AMOUR
à Viryinìa G.
Je perdrai tes lèvres
je perdrai tes yeux
mon soleil bien sûr
sera comme une mort
seulement un peu
plus lumineux.
Je perdrai tes yeux
tes lèvres superbes
— une matière noire façonnera
un crépuscule bizarre —
et tu seras le couchant
la nature sauvage
des choses fleurissantes
sous la lampe de la nuit.
ARCHÉOLOGIE SOUS-MARINE
Voilà que nous descendons dans le nombril de la mer. Les roses envient notre présence. Les coquillages mugissent — comme de coutume. Voilà que nous descendons que nous descendons avec une chandelle banale insensée dans des escaliers tournants cherchant à nouveau notre reflet muet. Non plus sur des surfaces vierges ennuyeuses — sur elles nous avons l'air d'anges — mais au cœur des violents et antiques naufrages. |
LE SOIR
Le soir
ne descend pas
ne vient pas
Le soir en moi
lentement se casse.
Car je suis un lac
sans visage toujours
et je suis la boue
dans les rêves
des astres cachés.
Le soir donc
ne descend plus
ne vient plus
le soir s'éclipse
tel un bon
visiteur.
CENDRE INSTANT
Je brûlerai
eh bien brûlons
résumant toutes les lueurs
dans une cendre instant.
HORIZON DÉFINITIF
Rien de plus définitif
que ce passant
qui traverse la nuit.
Rien de plus définitif
puisque dans un instant
il s'effacera du paysage
et les oiseaux
auront oublié
son ombre.
FENÊTRE-PARENTHÈSE
...et comme le vent soulevait sans cesse des feuilles mortes
nous avons fermé la fenêtre et commencé à pleurer.
Pierre Bettencourt
Je ne me souviens pas de cette fenêtre.
Elle s'est ouverte ?
Pour quelle raison ?
Qu'est-ce qui entrait si c'est entré ?
Il faut que je la ferme
bientôt sinon tout de suite.
J'ai vu assez de feuilles mortes
me recouvrir
et d'autres choses ineptes
de façon tout à fait obscure
me changer.
Fermez-la fermez-la
cette fenêtre
fermez-la
sous d'autres formes encore
pour m'empêcher de succomber.
Il suffisait
d'une parenthèse
dans le chaos de mes jardins.
NUIT FRONTIÈRE
Moitié sommeil moitié mort.
Les mains dans le printemps
le cœur dans la boue.
Ainsi je me transmue.
Entre printemps et son absence
là où l'arbre est profond
et les vagues s'enracinent.
Ainsi je me transmue.
Moitié Nìkos
moitié mort.
(Rayons somnambules)
LE GARDE
Moi je fabrique des forêts
uniquement pour les cerfs monsieur
et peut-être pour un clair de lune...
Impossible de vous laisser passer
Et pourtant, lui ai-je dit, moi je fabrique des cerfs
et en plus
quand je marche dans la forêt
le clair de lune me baigne
car il adore et baigne toujours
les plus affligés.
— Dans ce cas c'est différent.
Il se peut qu'on travaille ensemble, a-t-il dit
me tendant cordialement
sa main tendre, rugueuse.
LA SÉCHERESSE DES CHAMBRES
Elle m'étouffait, la sécheresse des chambres. J'ai donc décidé de monter, après des années encore, sur ce bateau. Il était absolument muet comme ses gens toujours, ses choses. Étais-je ravi, je ne le dirais pas, car tout ce qui m'entourait pouvait facilement disparaître, sombrer même si en fait la douloureuse éventualité d'une tempête n'existait pas. Il fallait cependant que je reste très prudent de peur de modifier mon environnement de papier après quoi qui sait... Je marchais donc la nuit seulement dans les couloirs, veillant hors des cabines à pas discrets comiques une petite lanterne à la main. Des mouettes volaient autour de moi, mortes, que nul autre ne pouvait voir. Elles me demandaient sans cesse comment s'échapper — du bateau ou de leur mort, je ne sais — mais moi je les traitais de folles. Oui elles étaient folles ces mouettes qui m'escortaient pendant tout ce voyage extravagant et elles planent encore autour de moi surtout quand je souffre
chassées des rochers coupées
de l'océan.
LE MÊME POINT
C'est le même point
où toujours
toujours il neigeait
depuis ce point
vers ce point
sur ce point
il neigeait
on ne distinguait pas pour cette neige
de direction nette
ce n'était pas encore l'hiver
mais il neigeait
en vain, sans arrêt
depuis ce point
vers ce point
sur ce point.
(Inédits)
Nìkos Violàris, né en 1985, a fait des études d'histoire et publié deux recueils de poèmes : Au-delà du jour et Rayons noctambules. «Un grand nombre de mes poèmes, écrit-il, tournent autour d'un axe commun.» Sa poésie, tel un mobile de Calder, fait apparaître les mêmes thèmes, les mêmes images, patiemment repris et variés, sous des angles différents. Cette poésie réduite à l'essentiel, creusée jusqu'à l'os, mais qui reste toujours proche du concret, des sensations, affirme avec insistance la fragilité, la précarité, l'incertitude, la dualité, l'ambivalence de tout ; si elle peut sembler obscure, elle n'en est pas moins, à sa façon, d'une clarté aveuglante.
Nìkos Violàris. |