Nìkos VIOLÀRIS




CE QUI A EXISTÉ


Ce qui a existé

à l'horizontale

avant le jour

adoptant les étranges

habitudes reptiliennes

sous la pierre

vivant l'hiver

dans les arbres

icônes de la petite vie

confirmant la floraison verrouillée

confirmant la sensation fissurée

ce qui a existé avant

le vertige vertical.






PROMENADE


Je marche au-dessus du jour

je marche au-dessous du jour

à l'intérieur du jour

je laisse

mon corps


Et je m'en amuse






AUCUNE LUMIÈRE


Aucune lumière

en dehors de la lumière

aucune lumière dedans

tandis

qu'étrangement s'étend

la même rose

sans être en effet

un prolongement qui bien sûr

n'est pas

mais dure

comme l'heure

les heures en fait

enveloppant le jour.






DEMI-JOUR


Mais le demi-jour imprévu

incertain

immobile

armistice au milieu d'une

guerre civile déchirante

et pas un sourire

pas une larme

rien qu'un

vide ridicule

sans douleur ni

rêves

ridicule

apeuré

ce demi-jour

de convention.






LA LUNE PARAÎT SÛREMENT LOINTAINE


La lune paraît sûrement lointaine.

Bien sûr on ne sait pas

comment elle vit dans le miroir

comment elle puise la lumière

dans des yeux pleins de désespoir

comment elle jouit empruntant sa lumière

de se nourrir de leur terreur

et que

— surtout —

elle sait comment

te fissurer.






LE BÛCHERON


Le mauvais bûcheron

entre dans le sommeil

coupe dans le rêve

les trois arbres

puis s'en va

vers une autre forêt


Le bon bûcheron

entre dans le sommeil

coupe dans le rêve

les trois arbres

puis en pleurant

plante

dans la terre

son corps.






ICI EXACTEMENT


Ici exactement.

Dans l'éternelle

obscure seconde.

Tandis que les escaliers donnent

sur d'autres escaliers

de même qu'allaité par la nuit

je suis à l'affût de la secrète

palpitation de la lumière

de même

que dans cet arbre-là

les battements d'ailes furieux

de l'automne

de même encore

dans le sommeil attendant

désormais plein d'allégresse

ma mort ultime.






ROSES DANS LA MER


Roses dans la mer.

Là encore c'est une image

cachant de plus

la dangereuse éventualité

du passage à l'acte.


Si tu nages mettons

et que soudain les roses t'adorent

et t'entourent

ou si de ton plein gré encore tu plonges nu

les serrant dans ton poing

vous aurez gagné

toi une douleur nouvelle

et la mer

le sang obligé.






PARFAITEMENT POINTUES


Parfaitement pointues sont les choses.

Ce sont les mots

qui tombent malades.


(Au-delà du jour)






PÂLEUR


Quand la nuit ne tombait pas

quelque part dans les rochers

fragile

la pâleur naissait.


Sans douleur c'est vrai

mais en chantant

et revêtant toutes choses

d'une jolie lumière malade.


Quand le jour se levait

mes rayons s'effaçant

la pâleur alors

déverrouillait un monde

où des phares bousculaient

la mort de la mer

toujours

consolateurs

au milieu des heures

brisées.






POÈME D'AMOUR


à Viryinìa G.


Je perdrai tes lèvres

je perdrai tes yeux

mon soleil bien sûr

sera comme une mort

seulement un peu

plus lumineux.


Je perdrai tes yeux

tes lèvres superbes

— une matière noire façonnera

un crépuscule bizarre —

et tu seras le couchant

la nature sauvage

des choses fleurissantes

sous la lampe de la nuit.






ARCHÉOLOGIE SOUS-MARINE


Voilà que nous descendons dans le nombril de la mer.

Les roses envient notre présence.

Les coquillages mugissent — comme de coutume.

Voilà que nous descendons

que nous descendons

avec une chandelle banale insensée

dans des escaliers tournants

cherchant

à nouveau notre reflet muet.

Non plus sur des surfaces vierges ennuyeuses

— sur elles nous avons l'air d'anges —

mais au cœur des violents et antiques naufrages.






LE SOIR


Le soir

ne descend pas

ne vient pas


Le soir en moi

lentement se casse.


Car je suis un lac

sans visage toujours

et je suis la boue

dans les rêves

des astres cachés.


Le soir donc

ne descend plus

ne vient plus

le soir s'éclipse

tel un bon

visiteur.






CENDRE INSTANT


Je brûlerai

eh bien brûlons

résumant toutes les lueurs

dans une cendre instant.






HORIZON DÉFINITIF


Rien de plus définitif

que ce passant

qui traverse la nuit.

Rien de plus définitif

puisque dans un instant

il s'effacera du paysage

et les oiseaux

auront oublié

son ombre.






FENÊTRE-PARENTHÈSE


...et comme le vent soulevait sans cesse des feuilles mortes

nous avons fermé la fenêtre et commencé à pleurer.

Pierre Bettencourt


Je ne me souviens pas de cette fenêtre.

Elle s'est ouverte ?

Pour quelle raison ?

Qu'est-ce qui entrait si c'est entré ?


Il faut que je la ferme

bientôt sinon tout de suite.

J'ai vu assez de feuilles mortes

me recouvrir

et d'autres choses ineptes

de façon tout à fait obscure

me changer.


Fermez-la fermez-la

cette fenêtre

fermez-la

sous d'autres formes encore

pour m'empêcher de succomber.


Il suffisait

d'une parenthèse

dans le chaos de mes jardins.






NUIT FRONTIÈRE


Moitié sommeil moitié mort.

Les mains dans le printemps

le cœur dans la boue.


Ainsi je me transmue.

Entre printemps et son absence

là où l'arbre est profond

et les vagues s'enracinent.


Ainsi je me transmue.

Moitié Nìkos

moitié mort.


(Rayons somnambules)






LE GARDE


Moi je fabrique des forêts

uniquement pour les cerfs monsieur

et peut-être pour un clair de lune...

Impossible de vous laisser passer

Et pourtant, lui ai-je dit, moi je fabrique des cerfs

et en plus

quand je marche dans la forêt

le clair de lune me baigne

car il adore et baigne toujours

les plus affligés.

— Dans ce cas c'est différent.

Il se peut qu'on travaille ensemble, a-t-il dit

me tendant cordialement

sa main tendre, rugueuse.






LA SÉCHERESSE DES CHAMBRES


Elle m'étouffait, la sécheresse des chambres. J'ai donc décidé de monter, après des années encore, sur ce bateau. Il était absolument muet comme ses gens toujours, ses choses. Étais-je ravi, je ne le dirais pas, car tout ce qui m'entourait pouvait facilement disparaître, sombrer même si en fait la douloureuse éventualité d'une tempête n'existait pas. Il fallait cependant que je reste très prudent de peur de modifier mon environnement de papier après quoi qui sait... Je marchais donc la nuit seulement dans les couloirs, veillant hors des cabines à pas discrets comiques une petite lanterne à la main. Des mouettes volaient autour de moi, mortes, que nul autre ne pouvait voir. Elles me demandaient sans cesse comment s'échapper — du bateau ou de leur mort, je ne sais — mais moi je les traitais de folles. Oui elles étaient folles ces mouettes qui m'escortaient pendant tout ce voyage extravagant et elles planent encore autour de moi surtout quand je souffre

chassées des rochers coupées

de l'océan.






LE MÊME POINT


C'est le même point

où toujours

toujours il neigeait

depuis ce point

vers ce point

sur ce point

il neigeait

on ne distinguait pas pour cette neige

de direction nette

ce n'était pas encore l'hiver

mais il neigeait

en vain, sans arrêt

depuis ce point

vers ce point

sur ce point.


(Inédits)


*


Nìkos Violàris, né en 1985, a fait des études d'histoire et publié deux recueils de poèmes : Au-delà du jour et Rayons noctambules. «Un grand nombre de mes poèmes, écrit-il, tournent autour d'un axe commun.» Sa poésie, tel un mobile de Calder, fait apparaître les mêmes thèmes, les mêmes images, patiemment repris et variés, sous des angles différents. Cette poésie réduite à l'essentiel, creusée jusqu'à l'os, mais qui reste toujours proche du concret, des sensations, affirme avec insistance la fragilité, la précarité, l'incertitude, la dualité, l'ambivalence de tout ; si elle peut sembler obscure, elle n'en est pas moins, à sa façon, d'une clarté aveuglante.



Nìkos Violàris.
Nìkos Violàris.

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