'Elli Papayeoryìou
COMME UNE INSULTE
Le temps entre et sort et les portes claquent.
Moi un compas m'a encerclée après le pur hasard
d'exister ici après la noyade.
Ce que je veux dire
d'objet, de matière, pas un seul alentour.
Rien que des os
aux aguets de leur sagesse.
Les os ont tellement honte qu'ils nous soutiennent.
Une racine rouge
vient d'être photographiée.
SANS TITRE
Le rythme lent de la voix de son estomac.
Elle connaissait mal la valeur des jours.
Je veux dire que c'était midi
pour mon bureau invivable.
Le meuble dans sa main.
Elle n'a pu distinguer qui des deux regardait l'autre.
MOTS DANS LA FOUDRE
Réveil furieux par les cheveux l'assaut du vent je ne peux fermer l'œil avec sa rage dans mon corps,troublant des pensées sans couleur—je veux dormir mais c'est comme interdit par une inquiétude gardienne,profondément,dans les racines de mon esprit qu'agite follement le vent.Formes dures incolores livrées à son bruit,je crois sentir au centre et vers le bas le souffle tenir tout mon corps dans l'angoisse comme la foudre dans mon ventre.
{la description n'est jamais vraie}
VERS LE SEUL
Écrire à moi-même.Comme cela me manque.Dans la musique où j'ignore.Si je suis heureuse ou malheureuse.Rivière qui s'en allait dans la pensée qui s'en ira.Eaux nouvelles au présent avec mon amour.Écrire à moi-même.Comme cela me manque.Éclairé vers le néant ou entre oubli et rêve d'éclair.Dans mon sommeil.Seule.Même si cela plaît.Note et pulsation.Dans la musique où j'ignore.Si je suis.Ou pas.Dans le piano je marchais.À l'enfant je disais.Que seul.Les bras ballants.Je parle vers le couchant.Il a déjà commencé.Beauté tranchante qui a souri.Étincelle sous le pied l'amitié de l'ombre pour le bleu.Après.Tout de suite.Avant.Quand était-ce ?Dans une couleur qui élève la vie et n'a pas d'image.La forme et le secret du corps livré aux sens.La langue et la main sur l'autel sauvage à ton réveil.Mensonge et charme.Trou et prise de terre.Inspiration intacte.Obscurité dévoilée,découverte.Vers les ailes de l'oiseau encore à naître avalant son premier dégoût.Pourquoi ?Répétition couvrant le bourdonnement du baiser divin chaque jour et chaque nuit.Jour et nuit.Dans la prison le bruit de la belle.En chuchotant sa détonation avant le jour.Pour étouffer la pause et pas de repos.Quand les haleines sont aspirées vers l'intérieur elle met un faux sein et perd la raison de le faire.Elle la perd dans ton verre tordu.Qui donc me fait du bien pour que je scrute ma jeunesse sur l'oreiller,que j'endorme un effleurement vague,plante complexe et tendre.Qui donc dit la vérité dans la maille qui lui échappe sur les cheveux de la mère rassasiée qui meurt sans occuper son corps sinon par la mort.Montant et descendant la solitude sur le pouce,mémoire à plis.Je ne tombe pas,ce que j'oublie est métallique et le socle m'engourdit.Silence aux yeux ouverts une indifférence a blessé la bouche du ciel au plus haut de sa mère on assassine une bête.En plein jour,sacrifice intégral,vers tes lèvres patience et rire.
MÉLANCOLIE
Solitude importunité
clé dans la saison — les feuilles
quel naturel ?
celui qui n'ajoute rien au monde.
Remâchée toujours mais fraîche
la brise au cœur noir.
Ne décris rien
je proviens de ce que je sens ce soir...
mes yeux ont pris forme
et mon cœur entretient
le rythme de son sang.
Par lui.Dans la musique
et la caverne qui cloue la pensée
et me plonge le visage.
Peut-être es-tu absent et ne le remarques pas.
Me dit-il.
Dans la musique tournoiement
pierre et je reste immobile
regard net
je sens mon regroupement dans les lèvres closes.
Mon nom s'impatiente...
Sous la poitrine la vie montre
la peur à l'enfant pâle
(le caillou à la main)
Ombre montant dans la musique
du même isolement et toujours.
Ici, maintenant, toujours la pluie et la lumière,
dans la nuit et l'ami noir dilué.
Parole obscure tenue
par un fil à un cœur uni.
L'ARBRE
Je suis installée dans l'attente indéfinie
sous l'arbre. Sous la langue — la langue de la voix —
mon amour de l'arbre.
les yeux qui envoient la lumière à ce que nous sommes.
Tels étaient mes lointains discours
l'arbre de l'imaginaire.
Si j'étais installée sous l'arbre
déposant mon poids sur le sol,
il ne s'élèverait pas tant pour parler
et la suite traverserait le jour à travers moi sous l'arbre.
et le jour traverserait la suite
à travers l'arbre au-dessus de moi.
Aucune ombre ne serait suivie par le verbe.
AVEC THÉ
▪ Pour maison une ligne nue
espace éclatant pour placer des attentes
chacune a la nostalgie d'elle-même.
Armoires qui maintiennent l'homme au-dessus de la maison
pour qu'il la hume, la sente
qu'il éprouve la nostalgie tournant
sur le moment
▪ Environnement muet de scarabée
Ailes séchées dans la pierre
sous l'orange
dort une jaune pâle.
▪ Plus beau le silence
sur l'aile du cygne
aile indescriptible
la nuit du cygne résiste
dans mes yeux.
▪ Si les autres ne se rappellent rien
je disparais
et ils cherchent mon ombre au mur.
INSTRUMENT À VENT SEULEMENT
Obscure douceur.
Il fait jour.
Un espace entre nuit et nuit.
Suivant le plongeon dans les ronces des abysses.
«Écrire, c'est prévoir».
Sourire dans l'ombre inaperçu.
Mains libres.
Odeur de chaleur.
Sur la pointe des pieds
je pleure.
Le silence-toit.
FIN
Premier jour en automne.
Goût particulier de deux points du passé
dans le passé cette lumière apparaît-apporte
la profondeur à un visage
qui dans le rêve ne révèle que son bras.
Le premier enfant de la foudre et son bonheur.
ils sentent dans la pluie imminente.
Étonnée car de loin.
Elle poursuivait ce qu'elle avait perdu.
Aujourd'hui elle ressent une vie toute en débuts —
elle est sentie plus qu'elle ne voit.
Libre dans ce silence et elle veut courir.
Rendue muette par une pensée.
L'arrêt artificiel coud un cadeau dans son naturel.
ravaudage superflu mais petite joie bien sûr.
Elle choisit déjà la nouvelle à travers l'angoisse
abandonnant la pensée qui a coupé l'automne.
Brisée-plus près elle attend sous elle en bas
la terreur.
TOUTE L'ÎLE
Si elle est un peu noire, bleu d'azur mais sombre
(les ténèbres d'hier ironisent sur le bruit insomniaque du cœur)
Un espace critique d'écoulement plus fort dans le spasme hypnotique
«la différence entre le désir et le spasme»
est posé sur l'île qui doit te terrifier toi qui dois lui plaire
elle est imaginaire
PÉRIPHÉRIE À L'ÉPICENTRE
Limite qui soutient,qui fonde mais se trouve au-dessus de l'étendue.Dans la relation réelle indestructible avec les faits il y a un nombre impair.Le trois.Au milieu,du noir qu'on ne compte pas,sans doute ce qui pousse la musique elle-même à exister là-dedans.Un enfant qui ne joue pas avec toute sa légèreté.Et si tout était imaginé par un arbre dans la plus ancienne cellule de son tissu et si l'avait rêvé le regard partagé par toi d'une voix lente, précautionneuse qui développait d'un coup quelque chose ?La coupure dans le cercle abstrait m'a terrifiée,mais j'ai cru qu'elle exprimait une tragique incertitude qui consume toute sensation de jeu.Tu l'as jetée en prenant dans tes mains la force de la responsabilité.J'avais dit, un malheur est arrivé, je lie ensemble les fils épars de tous les points du temps,distraitement—sans la valeur—j'ai vu la difficulté—destination aveugle inconnue.
POINT DU JOUR
Les cyclamens des profondeurs ne sont pas venus avec les pluies.
Nous avons ouvert un puits dans l'eau pour la trouver la boire.
Toute pensée a dans des phénomènes son avenir.
La persistance de la pensée est un écart
hors du chemin du miroir.
AU MAGNÉTOPHONE
regardant et disant moi je choisis à quoi m'identifier avec quoi me coiffer quoi faire pour que mes yeux se sentent bien ma voix mes mains et que mes larmes coulent en ruisseaux et je le sais ce n'est pas seulement ça et
je crie en douce aux enfants cachés dans les coins du sourire que j'offre seulement à celle dont je veux qu'elle soit elle et
j'approche avec un masque qui toujours me blesse et je l'aime comme un vieux miroir de famille en plein souffle du souvenir le plus douloureux et
ma bouche bâillonnée les fait pleurer avoir peur à la fin de mon influence matérielle et
tant que les lèvres ne parlent pas au bruit j'observe en cachette avec une tête invisible et
je sais comment déchiqueter sans que ma conscience l'entende et
je n'oublie pas le verre de lait étincelant dans la lumière des vacances quand j'étais petit(e) et
je ne sais comment garder le poids car le baptême donnant mon nom n'a pas eu lieu et
j'ai fourré tout ce qui est tordu dans la chambre où l'on n'entend aucun cri
j'ai beau crier les alentours ne changent pas et moi je suis cette chose-là et
je reconnais les hauteurs à la belle silhouette et je suis plein de vie et le visage près d'eux et
je ne laisse pas la vie m'acheter des chaussures mais je ne sais pas comment le dire et comment aimer avec ça mais sous les paupières j'ai pour cela une fausse petite balance tendre que je garde pour les questions de l'eau et
avec un sanglot que je prie pour qu'il comprenne j'écris les vagues des yeux et je laisserai un soir mon porte-signaux s'endormir sans peur
et disant je suis seul vêtu cheval qui habite l'imaginaire de si peu d'humains
'Elli Papayeoryìou, née en 1982, a fait des études théâtrales et travaille actuellement les arts martiaux. Après des débuts précoces (un premier recueil publié à quinze ans) elle n'a cessé d'écrire, mais sans publier d'autre recueil pour l'instant. Sa poésie peut dérouter : à quoi se raccrocher dans ce déferlement d'images obscures, qu'on pourrait prendre pour de l'écriture automatique ? On ne parvient pas à situer, à définir : à la sensation de dérive continuelle s'oppose une impression de tension, de densité ; il y a là un tumulte, une incertitude continuelle et des larmes, mais pas de vraie violence ou de désespoir. Plutôt une inquiétude, au sens profond : une absence de repos, une perpétuelle recherche. Et une belle énergie, à la fois tournoyante et tenue.
Les poèmes proposés ici, écrits entre 2007 et 2013, sont donnés dans l'ordre chronologique.
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