BRÈVES

N°205 novembre 2020



BRÈVES


Le sait-on ? Le jeune homme qui vient de se rendre célèbre en décapitant un prof poussait l'amour de son Dieu inique jusqu'au boycott du Caprice des dieux, fromage qu'il jugeait polythéiste !

C'est bien la seule note comique dans cette affaire lugubre. Tout est moche dans cette histoire où l'un des trois dieux uniques et les réseaux sociaux acoquinés se sont gravement sali les mains. Facebook, notre dieu à tous, décidément, nous rend fous, mais nous n'allons pas cesser de le servir pour autant, envoûtés que nous sommes.

Ma vieille tolérance, elle aussi, est mise à mal : je ne supporte plus le fameux discours «C'est pas bien de tuer, mais cet homme l'a bien cherché» ; ceux qui le tiennent sont pour moi complices d'assassinat. Faudrait-il être tolérant avec les ennemis de la tolérance ? Quant à ceux qui gouvernent ce pays... «La peur va changer de camp», s'exclame le freluquet. Violence contre violence. Il ne comprendra jamais rien, le pauvre. Non, je n'ai pas peur des islamistes. J'ai peur de celui qui nous préside, de sa famille la droite, et de tous ceux que gouverne la peur.


...ou je zigouille ton Prof !
Chatouille pas mon Prophète...

*


Pour ceux que la religion et les politiques désespèrent, un bon remède : Edmond Michelet. Résistant, déporté à Dachau, puis ministre plusieurs fois, ce chrétien fervent se distingua pendant la guerre d'Algérie en condamnant la torture, tout homme de droite qu'il fût. Il eut plein d'enfants qui eux-mêmes en eurent plein, l'un de ses petits-enfants fait partie de mes bons amis et c'est ainsi que j'ai croisé le grand homme deux ou trois fois juste avant sa mort, en 1970.

Cinquante ans déjà. C'est l'occasion d'ouvrir le livre au titre sombrement ironique : Rue de la Liberté (Seuil), où il raconte son voyage dans l'enfer concentrationnaire.

Les témoignages sur les camps, avec toutes leurs horreurs, on hésite à s'y plonger — même si cela nous fait aussi du bien : on se rend compte, grâce à eux, combien nos vies à nous, en comparaison, sont douillettes, et combien notre viruscule actuel est mollasson à côté de la peste brune du siècle dernier.

Retourner dans les camps régulièrement, c'est une bonne piqûre de rappel. D'autant que le récit d'Edmond Michelet, malgré ses pages si souvent terribles, voire insoutenables (l'épidémie de typhus), est une lecture bienfaisante pour d'autres raisons aussi. Face à la nuit et au brouillard, il y a ce témoin admirable dont la foi, la force d'âme, la bonté irradient et firent de lui là-bas un héros — un saint, affirment certains, au point qu'il est question de le canoniser.

Dans les camps, dit-il, la nature humaine montre ses pires côtés, et pourtant, dépeint par lui, ce Dachau infernal grouille de personnages admirables, dont toute une ribambelle de prêtres merveilleux — alors même qu'en ce temps-là, en France, la plupart de nos évêques baisaient le cul des Allemands. (Les élites, décidément...) Edmond Michelet cependant, gaulliste mais pas sectaire, fraternisa aussi avec des communistes et même avec un pétainiste égaré. Ce qui lui permit de tenir, ce fut également l'absence de haine à l'égard des bourreaux : «La vengeance, la rancune m'apparaissaient dès ce moment comme inutiles et funestes». Le pardon, arme absolue.

Autre viatique dans ce martyre : la poésie. Pendant l'appel, debout pendant des heures, dans le froid, sous la pluie, on se récitait Apollinaire ou Aragon, lorsqu'on n'entamait pas une discussion philosophique, et «on était pour un instant transporté à mille lieues de là».

La poésie, on la trouve également dans bien des pages, que bonheurs d'écriture et touches d'humour viennent eux aussi éclairer, comme cette vision des déportés :


...les va-nu-pieds des blocks miteux, tout un monde de clochards, indéfinissable foule qui décourage la simple description : loufoquerie grandiose prête à s'animer au souffle épique du père Hugo, ou à se figer au contraire en hallucination de Kafka.


Mai 1945, peu après la libération du camp.
Edmond Michelet à Dachau.

*


Le métier de professeur d'histoire a beau être dangereux, on peut envier les historiens : ils prospectent un trésor fabuleux, une source inépuisable de réflexions et de leçons : le passé.

Voilà le genre de pensées qu'inspire Le goût de l'émeute, d'Anne Steiner, aux éditions de L'échappée.

Qui s'en souvient ? Entre 1908 et 1910, la France connut plusieurs manifestations violentes qui tournèrent à l'émeute. Il y eut la grève des terrassiers à Draveil et Vigneux en 1908, la révolte des boutonniers dans l'Oise en 1909, l'explosion de colère après l'exécution d'un libertaire espagnol la même année, le soulèvement du faubourg Saint-Antoine en 1910, suivi de peu par le guillotinage d'un ouvrier que la foule tenta d'empêcher.

On pense aux jacqueries de l'Ancien régime, mais aussi, beaucoup, à notre actualité gilet-jaunesque. Causes de ces flambées de violence : des conditions de travail atroces (les terrassiers réclament la journée de dix heures !) ; la misère, alors même que les riches se gobergent ; le refus de négocier des patrons ; la violence policière. Le livre décrit avec une précision accablante les divers affrontements, férocement réprimés. Ce fut terrifiant. À côté de leurs ancêtres, les brutes en bleu d'aujourd'hui font figure de gamins vicieux.

Et pourtant, on avait la gauche au pouvoir ! Clemenceau se surpassa, Briand le beau parleur ne fut pas en reste. Le journaliste Gustave Hervé (personnage étonnant, qui mériterait un livre) résuma : «La République a chaussé les bottes de l'Empire». Quant aux journaux conservateurs, ils accusèrent les assassins de laxisme...

Les foules indignées n'avaient ni leaders, ni organisation. C'est à grand-peine que les représentants de la gauche, en 1909, réussirent à canaliser la violence des rues en négociant avec les autorités le parcours et l'encadrement d'une manif, pour la première fois dans l'histoire du pays.


Il s'agissait pour la fédération socialiste de la Seine de prouver sa capacité à organiser un défilé pacifique, et de conquérir ainsi pour les militants français le droit de manifester que les monarchies de Belgique et d'Angleterre avaient depuis longtemps accordé à leurs peuples.


Merci, Anne Steiner, pour cette lecture édifiante — même si l'on y rencontre nettement moins de prêtres exemplaires que chez Michelet.

Émotion aussi de croiser plusieurs fois la silhouette de l'anarchiste Miguel Almereyda — oui, le père du cinéaste Jean Vigo. Almereyda mourut en prison, à trente-quatre ans, suicidé on ne sait toujours pas par qui.


Ils se tiraient dessus à l'époque !
Émeute vers 1910.

*


Et nous nous transportons en l'an de grâce 1954, où l'infatigable Maurice Nadeau publie près de quarante articles, tous repris dans le monumental volume II de ses Soixante ans de journalisme littéraire, aux éditions Maurice Nadeau.

Quelques moments forts : la parution du Contre Sainte-Beuve de Proust ; des éloges appuyés du Melmoth de Maturin et de La couleur tombée du ciel de Lovecraft, dont on ne le savait pas féru ; un hommage chaleureux au méconnu Charles Cros, dont on publie enfin, cette année-là, les œuvres complètes ; plus quelques auteurs majeurs à leurs débuts, aussitôt repérés.

Jean Reverzy et son roman Le passage, par exemple, que je découvris jadis grâce au Roman français depuis la guerre du même Nadeau ; Reverzy, «médecin qui, par sa première intrusion dans la littérature, nous donne à peu de chose près un chef-d'œuvre de lucidité, de pitié noble et grande, de poésie».

Claude Simon qui publie alors Le sacre du printemps, œuvre de jeunesse encore, mais «l'impression d'ensemble est celle d'une nuit trouée d'éclairs ou d'un sol peu sûr parcouru de secousses sismiques. Mais (...) l'auteur est un vrai romancier, plein à éclater d'un monde à lui qui fuse de toutes parts». Superbe, non ?

Deux longs articles sur Les mandarins, roman de Simone de Beauvoir, légèrement dissonants, chose curieuse. Le premier dans France-Observateur, élogieux, le second dans Les lettres nouvelles, plus nuancé, qui démarre ainsi :


Mme Simone de Beauvoir possède deux qualités maîtresses : le courage et la sincérité. Ce sont elles qui sauvent sa dernière entreprise et font d'un ouvrage trop long, souvent bavard et à l'écriture lâchée une œuvre vivante, directe, émouvante. La bonne volonté de l'auteur est si évidente, la confiance qu'il nous montre si visible qu'on lui répond par une bonne volonté et une confiance équivalentes.


Les mandarins méritaient-ils qu'on s'y attarde si longuement ? Les articles de Nadeau sont toujours fouillés, argumentés, il est sérieux et consciencieux. Mais sans lourdeur. Le sourire en coin affleure plus d'une fois, il pratique avec art la vacherie doucereuse (dans la citation ci-dessus, voir la dernière phrase) et son coup de patte, à l'occasion, fait mal : il apprécie chez Jean-Louis Curtis, par exemple,


Cette causticité seigneuriale (...) qui sait se tenir entre la désinvolture niaise de quelques-uns de ses cadets, l'insolence gratuite de quelques-uns de ses aînés, pour préciser, entre Nimier et Montherlant.


Il lui arrive même, rarement, de sortir le lance-flammes, contre Giono notamment dont il dézingue le Voyage en Italie :


Tout ce qu'il voit, il le compare à Manosque, son village de faux paysans. (...) Malgré tous ses efforts, Giono n'est pas le petit-fils de Stendhal, il en est un singe. Il aurait dû apprendre de son maître que l'affectation de simplicité n'est pas le naturel, lequel suppose quelque aristocratie de l'âme.


Et vlan !


Années 2000, à la Quinzaine.
Nadeau, beaucoup plus tard.

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Qui se souvient de Maurice Saillet ? C'est un papier de Nadeau lu le mois dernier qui m'a mené vers lui. Ils écrivaient tous deux dans Combat à la fin des années 40 et visiblement ils s'appréciaient. Ses billets, rassemblés au Mercure sous le titre Billets doux de Justin Saget, datent des années 46 à 51.

On commence bille en tête par le récit de la fameuse conférence d'Artaud au Vieux-Colombier :


Nous nous sentîmes entraînés dans la zone dangereuse, et comme aspirés par ce soleil noir. (...) On assistait à une sorte d'orage mental, et chacun de nous se sentait obscurément en danger.


La suite sera moins tendue. Saillet n'a pas seulement le sens de l'image et de la formule, l'expression «écrit d'une plume alerte» semble inventée pour lui, on le sent joyeux d'écrire et c'est contagieux.

Il faut dire que l'homme ne mâche pas ses mots, et que les descentes en flammes, c'est potentiellement jouissif. Quelques têtes vénérables en prennent ici pour leur grade, à commencer par Sartre, «brasseur d'idées comme on est brasseur d'affaires», qui vient de pondre un texte sur l'un de nos grands poètes. L'analyse de Sartre


est la plus riche et la plus pénétrante, en même temps que la plus fausse et la plus bornée que l'on ait jamais écrite sur Baudelaire.


Paulhan, Ponge et Cocteau sont plaisamment moqués, tout comme Breton vieillissant comparé à la star déchue du cinéma muet, Gloria Swanson. Quant à Eluard, les éloges figue-raisin qu'il reçoit sont d'une perfidie feutrée digne de Nadeau :


Son œuvre apparaît comme un bain de langueur, comme une inépuisable réserve d'extases et de griseries.


Avec «des trouvailles, des réussites locales incontestables», ses poèmes «sont lisibles comme l'eau, et (avec un peu d'habitude) sans mystère, et vite évaporés».


Mais Saillet aime surtout admirer, et il choisit bien ceux qu'il admire. Il adore Queneau et son Un rude hiver, «qui reste à mes yeux son œuvre la plus surprenante de fraîcheur, voui, et de comique tendre». Comme Nadeau, il a un faible pour Dhôtel, dont il parle excellemment. Le village pathétique est un «extraordinaire roman», et quant aux Rues dans l'aurore et à L'homme de la scierie, ils sont, «mieux que de beaux livres, de véritables continents».

Comme c'est étrange de savourer dans un volume jauni de 1952 — la première édition, y en eut-il d'autres ? — ces pages d'une éclatante jeunesse.


Sur la fin...
Gloria Swanson

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Un jour, dans la cour de l'école, pendant une récréation, il y avait eu une ronde, plein d'enfants m'avaient entouré, chantant en chœur : «le papa d'Elias est un maboul». Je m'étais mis à pleurer, parce que j'avais honte et que j'aimais mon père mais que dans le fond j'étais sans doute un peu d'accord avec eux. (...)

Mon père expliquait ses théories mais refusait de m'apprendre quoi que ce soit. Il avait refusé de m'apprendre à lire, à écrire, ou à faire du vélo. Il disait que savoir quelque chose, ça se produisait en un éclair... (...)

J'avais peur en permanence que tout s'écroule en permanence. Quand, pendant une période, les choses étaient calmes, que la tension retombait, que mon père était plus silencieux, j'attendais le dérapage, je guettais la prochaine lubie, le moment où il déciderait finalement de détruire la maison pour en reconstruire une nouvelle de ses mains. (...)

...et c'est peut-être cela, l'enfance : un rêve mêlé de normalité et de catastrophe, que tout s'apaise et que tout explose. Comme au théâtre, on attend que le drame arrive enfin pour que le calme revienne. (...)

Il comptait sur nous pour libérer le monde des ondes mauvaises, c'est pour ça qu'il fallait s'entraîner, nous pouvions être purs, nous avions des ailes cachées. Ce discours me portait et m'étouffait en même temps. (...)

On regarderait les choses en se rendant compte qu'on n'y est pas complètement, qu'on peut les observer de biais, avec attention et douceur. On pourrait frôler le monde et ce serait déjà pas mal. Mais je ne sais pas bien comment on fait. Et des images du passé me reviennent sans cesse.


L'épatant premier roman de Victor Pouchet, Pourquoi les oiseaux meurent, a été salué ici comme il le méritait. Le suivant que voilà, Autoportrait en chevreuil, publié lui aussi chez Finitude (une recommandation !), s'avère tout aussi étrange et captivant.


Il aime, il a raison.
Victor Pouchet lisant son premier livre.

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Côté grec, une publication bienvenue : après nous avoir donné le Journal d'un timonier de Nìkos Kavvadìas, les éditions Signes et balises récidivent avec un choix de lettres du même sous le titre Nous avons la mer, le vin et les couleurs. Voilà qui va réjouir les fans de l'auteur, qu'ont charmés son roman-récit, Le quart (disponible en Folio), Li et autres nouvelles (chez Cambourakis) et les envoûtants poèmes (dans une édition clandestine mais facile à trouver).

Les lettres rassemblées ici couvrent quarante années de la vie du poète, l'un des plus aimés dans son pays. Ce marin de profession y raconte son incessante bourlingue, les ports, les putes, l'alcool, le tabac...


Si j'ai aimé quelque chose, en dehors de vous, écrit-il à sa sœur et sa nièce, ce sont les cigarettes, l'alcool, les livres (moins que tout) et les prostituées. Je me suis toujours moqué de tout, même des choses les plus sacrées, sauf des femmes.


Kavvadìas s'adresse le plus souvent à la sœur et à la nièce bien-aimées, mais aussi à des amis écrivains, comme Mihàlis Karagàtsis dont dix lettres — vigoureuses — figurent ici.

Le travail d'écrivain de l'épistolier ? Quasiment absent, et délibérément rabaissé. À l'entendre, il écrit ses poèmes comme il pisse, et Le quart lui serait venu «comme une envie de vomir». Ne le prenons pas au pied de la lettre, il n'a pas la grosse tête, il aurait plutôt tendance à se fustiger — témoin cette culpabilité qu'il évoque obsessionnellement, sans en préciser la cause. Le poète se montre tout de même dans deux ou trois superbes lettres, sœurs en prose des poèmes hallucinés de l'ultime recueil, Traverso, et dans quelques fulgurances du genre :


Le soleil a perdu la boule, il est descendu sur terre et a mis le feu aux cheveux blonds, aux joues rouges.


Ou bien :


Ce vieux tas de ferraille était prêt à lever l'ancre. Et j'ai l'impression de n'être rien de plus qu'un boulon rouillé vissé dessus.


Un peu étonnante, l'absence de toute allusion politique — le poète penchait nettement vers bâbord —, et de tout billet doux au grand amour de sa vieillesse, la jeune Theano.

La traduction de Françoise Bienfait (pour les lettres) et Gilles Ortlieb (pour les poèmes inclus) rend bien justice à l'original. On attend maintenant avec impatience, toujours chez Signes et balises, la parution, mais oui ! d'une nouvelle traduction des poèmes, qui remplacera celle de Volkovitch, cette vieille canaille.


Dans l'île de Céphalonie, berceau de sa famille.
Statufié !

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Après la Grèce, la Turquie !

Ce site avait négligé la BD ces derniers temps ; elle revient en fanfare avec, pour commencer, un noir bijou : Jusqu'ici tout allait bien, d'Ersin Karabulut.

Neuf contes, neuf histoires où l'on voit un monde assez semblable au nôtre dérailler et sombrer dans l'horreur. Le moment le plus fort, le plus terrible de l'album, c'est «L'âge de pierre» qui ouvre le volume : tout le monde porte sur l'épaule en permanence une lourde pierre, et l'accepte sans se poser de questions — tout le monde, sauf une petite fille qui cherche à comprendre et qui le paiera d'une mort atroce. Métaphore limpide : ce poids qui nous écrase, c'est celui d'un ordre social absurde et insupportable. Celui de la Turquie, par exemple, mais aussi d'un tas d'autres pays. Sont visés d'une histoire à l'autre la famille, la religion, les nouvelles technologies, tout ce qui contribue à nous décerveler. Orwell et Poe ne sont pas loin. C'est follement inventif et parfaitement observé, jouissif et glaçant.

Karabulut avait publié auparavant, toujours au Fluide glacial, un album similaire, au titre éloquent : Contes ordinaires d'une société résignée. On ne va pas tarder à se l'offrir.


Erdogan va sûrement aimer.
Karabulut, opus 2

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Notre mois de cinéma ? Contrasté.

Un film espagnol, Belle jeunesse de Jaime Rosales, sur les difficultés à subsister d'un jeune couple — et de toute une génération tant qu'on y est, en Espagne comme ailleurs. Film estimable, lucide, intelligemment mis en scène, primé un peu partout — pourquoi s'est-il presque aussitôt effacé de nos mémoires ?

Seuls two, de et avec deux comiques fort appréciés dit-on, Eric (Jurdel) et Ramzy (Bedia). Un flic débile poursuit en vain un cambrioleur malin dans un Paris soudain désert, on s'attend à une dinguerie énorme et c'est un complet délire en effet, mais nous n'arrivons pas à rire, malgré nos efforts. Incompréhension intergénérationnelle ? La seconde partie du film nous aurait plu davantage, qui sait, mais nous avons jeté l'éponge avant.

Voici, réédité en DVD luxueusement, un John Ford de 1958 oublié, The last hurrah (La dernière fanfare), où Spencer Tracy, maire d'une ville moyenne, travaille à se faire réélire. Ce tableau de la vie politique locale US n'est pas sans intérêt, mais sans vraie surprise, le célèbre metteur en scène fait le job mais sans passion semble-t-il, et nous regardons de même.

Le choc du mois, pour nous, c'est un docu français tout juste sorti, Un pays qui se tient sage, de David Dufresne. Ce pays, c'est le nôtre, qui subit sans broncher ou presque les outrages de ses maîtres, à commencer par les violences policières. Le film fait alterner des images de ces violences et des commentaires sur elles par divers spécialistes, y compris des policiers. D'accord, nos cognes n'ont pas jeté des centaines de personnes dans la Seine comme leurs grands-parents le 17 octobre 1961, l'époque ne s'y prête pas, mais ils s'en donnent à cœur joie tout de même. Comment ne pas avoir les tripes nouées devant ces ratonnades, ou devant la tronche et les éructations d'un représentant du syndicat des flics fachos Alliance ? Heureusement, il y a aussi les témoignages de deux femmes, parentes de manifestants blessés : leur colère, aussi digne que véhémente, est une énorme gifle aux brutes menteuses, casquées (les keufs), casquettées (le préfet) ou cravatées (le président) qui voudraient nous clouer le bec. Ces deux moments sont le sommet d'un film qui n'apprendra pas grand-chose aux lecteurs du Monde ou de Médiapart, honnêtement informés qu'ils sont, mais pour nous tous, voir et entendre ce portrait de la France actuelle est un devoir civique.

La salle était presque vide. Bien sage en effet, notre pays.

Pour se changer les idées, un film doux et souriant, Antoinette dans les Cévennes, de Caroline Vignal, dont on se réjouit qu'il ait trouvé son public : l'histoire est jolie, Laure Calamy crève l'écran, l'âne aussi, on rencontre un tas de gens attachants, ce qui fait du bien, et puis que la montagne est belle... Cette petite comédie tranquille, contemplative, plus profonde qu'elle n'en a l'air, est un repos pour l'âme. Ainsi donc, le bruit et la fureur n'ont pas tout envahi ?


...mais elle n'aura pas tout perdu.
Son mec la délaisse...

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La bande-son de ce mois ? Moitié Chopin — on en reparlera —, moitié Anne Sylvestre. À quatre-vingt-six ans, la chanteuse, toujours active, reste bien moins connue qu'elle ne le mérite. Elle chante, on le sait, ses propres musiques et ses propres paroles, des paroles qu'on écoute ou réécoute avec délectation : quelle finesse, quelle malice, et mine de rien quelle force ! On a rarement si bien parlé des femmes. Sans complaisance excessive à l'égard de l'autre moitié de l'humanité, notoirement moins réussie, mais sans aigreur non plus.

Une certaine Alice Coffin, elle, a fait récemment le beuse en déclarant dans un livre qu'elle ne voulait plus lire ceux écrits par des hommes ! Tout ce qui est excessif est insignifiant, disait l'autre, mais admirons tout de même la vigueur de Mme Coffin, qui fait preuve ici d'une brutalité toute masculine. On peut le dire, elle en a deux belles bien gonflées. Et la cause du féminisme, sacrée à mes yeux, a rarement eu d'ennemi plus ravageur.


Toujours sur la brèche !
Anne Sylvestre

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Pendant ce mois confiné, que lira-t-on ? Si tout se passe bien, Carrère, Nadeau, Léautaud, Nooteboom, Weinberger, du Bellay, Leconte-Tonnerre-Coutelis et Vian !













SITATIONS

Savez-vous de qui sont ces phrases ?

(réponse sur le numéro de la citation...)


1


L'impardonnable n'est pas d'échouer, mais d'échouer de la même manière que d'autres avant nous et, plus grave encore, de la même manière que nous avons nous-mêmes déjà échoué.



2


Il vaut mieux pomper d'arrache-pied même s'il ne se passe rien que de risquer qu'il se passe quelque chose de pire en ne pompant pas.








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