BRÈVES
N°166 juillet 2017
Hugo, Sand, Vallès, Zola, Jaurès, Cendrars, Camus, Mauriac et bien d'autres sont réunis — casting de rêve — dans notre bouquin tiré au sort de ce mois-ci : une anthologie de grands textes journalistiques français, parue en 2010 dans la collection Les livres qui ont changé le monde (coédition Le Monde-Flammarion), sous le titre J'accuse !... et autres grands articles.
La frontière entre littérature et journalisme ? Ignorons ce débat sans fin et savourons ce défilé d'une soixantaine de textes, allant de Théophraste Renaudot (XVIIe siècle) à aujourd'hui, textes encore tout chauds tout vivants pour la plupart, même quand le style a vieilli. On s'étonne un peu, par exemple, en lisant intégralement le fameux article de Zola sur Dreyfus, de sa rhétorique à l'ancienne un peu grandiloquente, mais quel souffle ! quel feu ! Cent-vingt ans plus tard, on en fume encore d'indignation ! Comment certains, alors, ont-ils réussi à se boucher les oreilles ?
Autres grands moments : Paul-Louis Courier ferraille contre la censure avec une ironie cinglante ; Vallès descend dans l'enfer d'une mine de charbon ; Jules Huret fait parler M. Schneider, maître de forges content de lui ; Clemenceau assiste, écœuré, à une exécution capitale.
Albert Londres, prince des journalistes, décrit avec un lyrisme désuet, mais puissant, la cathédrale de Reims après 14-18 :
«C'est un soldat que l'on aurait jugé de loin sur sa silhouette toujours haute, mais qui une fois approché, ouvrant sa capote, vous montrerait sa poitrine déchirée.
Les pierres se détachent d'elle. Une maladie la désagrège. Une horrible main l'a écorchée vive. (...)
Nous ne sommes plus sur un monument. Nous marchons dans une ville retournée par le volcan. Sénèque, à Pompéi, n'eut pas plus de difficulté à placer le pied.»
Ludovic Naudeau réussit à interviewer Lénine qui décrète, en 1918 : «Ce qui est sûr, c'est que l'État des capitalistes et du free trade, (...) cet État se meurt. L'État futur monopolisera tout, achètera tout, vendra tout.» Juste prophétie, bravo camarade.
Autres morceaux de bravoure devenus classiques : Pierre Viansson-Ponté, journaliste au Monde, annonce juste avant l'explosion de 68 que «la France s'ennuie». Huit ans plus tôt, 121 courageux, dont mon cher Nadeau, signent un manifeste contre la guerre d'Algérie. Des catholiques pas vraiment de gauche prennent eux aussi la plume contre les exactions de l'armée française : Mauriac, bien sûr, mais aussi le moins connu Henri-Irénée Marrou, qui déclare : «On ne défend pas une noble cause par des moyens infects».
Choix orienté sans doute, comme diraient nos zemours, nos ménards, nos dieudonnés. Absents ici, c'est vrai, les Daudet, les Rebatet, les Maurras, que leurs zélotes n'auront aucun mal à trouver ailleurs. Oublier un instant ces cloportes, leurs haines et leurs mensonges, ça fait du bien. Tâchons de croire qu'une certaine morale finit par triompher, comme nous y invite Zola ici-même :
«Quand on enferme la vérité sous terre, elle s'y amasse, elle y prend une force telle d'explosion que, le jour où elle éclate, elle fait tout sauter avec elle.»
Le capitaine Dreyfus face à ses juges. |
On a beau privilégier ici l'ancien et le méconnu, comment ne pas être tenté par le récent opus d'une de nos gloires nationales : Régis Debray ?
C'est titré Civilisation, sous-titré Comment nous sommes devenus américains, estampillé Gallimard, et l'auteur a beau se présenter comme un téméraire agitateur, un paria des lettres, on le rassure tout de suite : l'agilité de son esprit et de sa plume, jointe à une érudition spectaculaire et un sens de la provocation feutrée, ne risque pas de le desservir auprès des lecteurs. Ils sont nombreux à ouvrir ses livres, comme je le fais, en se disant : il va ronchonner encore, et m'agacer, mais je vais passer un bon moment.
Cette fois Debray tape sur l'Amérique et sur l'Europe, deux dames qui, à vrai dire, n'ont pas lui seul comme détracteur chez nous. Il les tabasse avec une vigueur qu'on peut juger excessive, mais c'est la loi du genre, la marque de fabrique de l'auteur, et sur bien des points on lui donne volontiers raison. Il a le raccourci facile, mais les USA sont si divers et contradictoires que quoi qu'on en dise, on a toujours un peu faux. Écrire «Si l'Europe a partie liée avec le temps, l'Amérique a partie liée avec l'espace» ou «L'espace américain n'est pas séjour ou demeure, il est mouvement», c'est un peu rapide, mais globalement bien vu.
Je retrouve en lisant Debray — nous avons fait les mêmes études — le plaisir que j'avais à lire jadis les dissertations de philo de camarades plus doués, les développements brillants, la formule qui fait mouche. Il y ajoute ce qui n'était pas bien vu dans nos classes : l'ironie cinglante, le coup de patte qui tue. À ce niveau peu importe la pertinence du propos, la forme est si belle, et je me surprends à crier bravo même dans ces pages terribles où le brutal traîne dans la boue mon Europe chérie.
Le propos n'est pas toujours follement original, mais les formules claquent juste. L'économie triomphante : «L'entreprise est à présent le cœur battant de la société», alors que «les beaux jours de l'Esprit ne sont pas ceux de la balance des comptes». Le culte de la vitesse : «Quand le temps manque, le ton monte et le niveau baisse».
Il dézingue joliment notre spécialisation à outrance, l'alliance puritaine entre religion et fric, et s'attendrit à bon droit sur «ce beau moment de lucidité, récapitulation et recul que l'on méprise à tort sous le nom de décadence». Quant au chapitre où il fustige — courageusement pour le coup — l'importance démesurée que nous accordons au péril terroriste, encouragés en cela par les politiciens et la presse, ce chapitre-là devrait être lu dans les écoles, et encadrée au mur la phrase sur «l'élasticité des mots démocratie et terrorisme, ces structures gonflables [qui] dépendent de qui souffle dans le ballon, où et quand.» Que voilà un homme précieux.
Oserai-je dire que ce livre est un bonheur ? Le bonheur, Debray en parle avec dédain : il ferait de nous des imbéciles, des créateurs impuissants. Lui-même semble cultiver la mélancolie et l'amertume. Cause toujours ! À l'évidence, bougonner le rend heureux.
Régis Debray |
Autre grande plume, autre ronchon superbe : Pierre Bergounioux, dont je ne sais jamais que dire. Auteur de petits bijoux tels que Simples, magistraux et autres antidotes, Un peu de bleu dans le paysage ou B-17 G, mais aussi d'un interminable journal qui me tombe des mains, il est désormais tellement admiré par les meilleurs esprits, reconnu comme l'un de nos Grands Auteurs, que le critiquer un tant soit peu exige une audace quasi suicidaire. En tirant une timide cartouche sur sa Bête faramineuse (Folio), roman ou récit datant de 1986, j'ai bien conscience de passer pour un plouc.
«...et nous courions à la même hauteur, beaucoup plus vite que nous n'avions jamais couru, comme si l'air plus frais, la lumière recueillie nous avaient lavés de notre poids diurne, de la fatigue du voyage. Le clapotis du gravier a cessé. Nous avions quitté le jardin. Nous avons senti l'énorme compacité du globe, sous la route.»
Bigre, ça commence bien ! Nous sommes au tout début du livre et des vacances. Le narrateur et son cousin, âgés de onze ans, débarquent en Corrèze dans la maison du grand-père où ils vont vivre, en pleine nature, des journées d'ivresse et d'enchantement — car ils voient vraiment les choses, alors que les adultes autour d'eux croient seulement les voir, «noires, immuables et proches, assagie, certaines».
Pour décrire cette découverte du monde dans toute sa fraîcheur et sa force, l'auteur est sorti des sentiers battus de l'écriture, il traque la sensation, l'émerveillement à coups d'expressions inouïes, de très gros plans, de ralentis extrêmes, nous introduisant ainsi dans «un temps figé, de transparence et de lenteur, traversé d'éclairs orangés». Et c'est parfois superbe, comme ci-dessus, et ci-dessous :
«C'est ainsi que nous avons franchi le petit portail ouvert, lui devant, oublieux, qui existait çà et là dans sa bulle d'éternité, et moi qui bringuebalais à sa suite dans l'herbe puis la poussière blanche du chemin.»
La révélation, la merveille faramineuse, on la traque dans le buissonnement des mots comme ces deux jeunes garçons parmi les arbres, elle est tout près, «cette réalité qui rôde aux heures défendues», «ce quelque chose qui n'apparaissait, n'était visible qu'aux toutes dernières lueurs du jour, loin des lieux habités, dont on ne trouvait nulle part l'image et qui n'avait pas encore de nom».
D'autres fois, je reste en arrêt devant des phrases qui selon l'humeur du moment me paraîtront magiques à se mettre à genoux, ou bien quelque peu forcées :
«La maison, chamarrée de l'or de ses lampes, appareillait pour la nuit au bout de l'allée.»
On est souvent sur une fine crête au bord de l'obscur, du fabriqué, de l'affecté, du grandiloquent. Cette langue poétique, raffinée, surtravaillée détonne, s'agissant de très jeunes enfants, et son intensité conviendrait plutôt à une nouvelle, d'autant que l'intrigue est assez mince. La lecture, d'éblouissements en sombres tunnels, devient pour moi une perpétuelle douche écossaise. Après la p.64, peut-être que tout s'éclaire, mais je n'y suis plus, je reste planté au bord du chemin, épuisé.
Pierre Bergounioux |
Christina Mirjol, au contraire, est anonyme et discrète. Sa prose aux mots tout simples, au ras du quotidien, ne se donne pas en spectacle. Témoin Les petits gouffres (Mercure de France, 2011) : neuf nouvelles, des histoires de presque rien, qui vont et viennent entre présent et lointain passé, ressuscitant des événements minuscules en apparence, et pourtant bouleversants.
Une vieille dame, le jour de son anniversaire, sent revenir la souffrance du goûter de ses dix ans. Une femme rêve, quarante ans plus tard, d'un camarade d'école primaire qui avait un petit bout de dent cassé, et soudain le passé remonte. Un bègue retrouve dans un café son ancienne maîtresse d'école qui lui avait donné le prix de récitation. Il se souvient du poème. Le barman raconte :
Et je l'entends encore : il a les larmes aux yeux, il récite le poème d'un seul trait, dit le barman, dans une langue si belle qu'elle nous donne des frissons. Et il dit le poème, et il ne bégaye plus. Et la vieille dame sourit, comme elle devait sourire il y a trente ans de cela quand le petit garçon récitait dans la classe.
Et ça se passe dans mon bar, dans mon petit café ! Et tout le monde est pris de la même émotion, car il faut que je dise, il faut que je redise, répète le barman, comment c'était affreux quelques secondes plus tôt... parce que, comme je l'ai dit, il bafouillait, enfin, il ne s'en sortait pas, il soufflait, il suait, il était rouge de honte, il ne pouvait sortir un seul mot en entier, sans écorcher une lettre, ou deux, ou trois...
Elle bégaye aussi, cette prose, elle se répète comme on fait dans la vie, obstinément, humblement, comme si les mots étaient trop faibles, trop usés, ou comme si l'on essayait d'arrêter, de fixer, ce qui sans arrêt se défait. Comme une douleur ténue, mais obsédante. Les phrases parfois se brouillent, vacillent entre présent et passé — normal, puisque ces deux-là se mêlent. Voilà qui est finement écrit. Une voix nous parle à travers une brume légère, «mélange insoluble de pénombre et de clarté», une voix qui avec un peu de chance aurait pu être davantage entendue, et qu'on espère bien réentendre un jour.
Cela s'est passé là... |
C'est au Puy-en-Velay, ce printemps, lors d'une de mes causeries, que Pierre Présumey m'a offert deux de ses livres.
Une brève bio nous y apprend que l'auteur enseigne les lettres classiques, et qu'»il passe son temps libre dans les livres, au bord de l'eau et dans les campagnes du Massif central» Ce qui le rend, a priori, quadruplement sympathique.
Il est poète. Aller son chemin (Hauteur d'homme) rassemble des textes brefs de lui sur le thème du chemin, accompagnés de citations prises à nos meilleurs poètes et de croquis signés Jean-Pierre Petit. Renard et Reverdy, Queneau et Frénaud, Perec et Pirotte, Roux et de Roux, Réda et Thomas, notre marcheur est en bonne compagnie, mais je suis particulièrement touché par les fragments d'Anne Perrier, que je ne connaissais pas :
Pour un chemin
Que je connus sans le connaître
Pour un vin
Que je goûtai peut-être
Pour un matin
Qui mit le feu à ma fenêtre
J'irai si loin
Que les morts me verront apparaître
Le tout a de quoi ravir ceux que fait rêver, comme l'écrit Jean Grosjean, «le chemin désert sur l'épaule du coteau.»
Présumey lui-même, on l'entend davantage dans le second livre, Tout ce qu'on peut, écrit après la mort volontaire d'un fils à qui le poète s'adresse :
Toi qui vas ton chemin
Toujours désormais en avant de moi
Qui vais pourtant d'un pas vivant
Derrière toi qui marches et qui est mort.
Ici aussi l'on chemine en compagnie : aux côtés du poète, son fils et son père disparus, quelques poètes aimés (Homère et Dante surtout), d'autres figures tutélaires :
Le grand Vernant, la tendre Romilly,
Vidal-Naquet et les autres savants,
Que cherchent-ils, nous autres avec eux,
Dans ces lointains où tu nous as conduits,
Sinon à voir comment on sort de l'homme,
Et puis comment, peut-être, on y revient ?
Ces compagnons n'éteindront pas la douleur, certes, mais peuvent aider à l'apprivoiser un peu, avec le soutien de Mère Nature, omniprésente ici aussi — les rivières surtout, dont les eaux courent comme le sang dans le corps. Loués soient aussi les humbles objets du quotidien :
À quoi ça tient, l'affaire humaine ?
Pourquoi ça ne fout pas le camp,
Pourquoi ne pas lâcher les rênes,
Ne pas déposer le bilan ?
Ça tient à la dernière haleine,
Au refrain tout simple d'un chant,
À la main serrée qui ramène
De la poche un couteau pliant.
Voilà donc Tout ce qu'on peut faire contre le deuil. Cette poésie simple, à hauteur d'homme (c'est le nom des éditions !), n'a pas besoin de forcer la voix pour nous émouvoir profondément.
Chemin hanté. |
Retour aux stars avec notre avant-dernière visite au monument Corneille. Jamais je n'aurais imaginé lire un jour sa pièce quasi-ultime, desservie par la mauvaise presse du dernier Corneille et son nom ridicule : Pulchérie. (La pièce en cite quelques autres gratinés : Ardabure, Aérobinde, Placidie...)
Eh bien c'est une bonne surprise, une de plus. Nous n'avons pas là tout à fait une tragédie, certains traits — dont les mensonges d'un personnage faux-jeton, vaguement comiques — font verser la pièce dans la catégorie «comédie héroïque», et l'on s'embrouille un peu dans l'intrigue, comme toujours (la notice du Laffont-Bompiani la résume habilement), mais la pièce ne manque pas d'allure. La machine à frapper les beaux vers fonctionne comme aux beaux jours passés :
Je suis impératrice, et j'étais Pulchérie. (...)
Je regarde l'amour comme un de mes sujets. (...)
Et jalouse déjà de mon pouvoir suprême,
Pour l'affermir sur tous, je le prends sur moi-même.
Il est vrai que cette forte femme, que l'accession au trône de l'empire byzantin, au Ve siècle, fait rejeter celui qu'elle aime, puisque «Le trône met une âme au-dessus des tendresses», aura un petit coup de mou incongru chez Corneille : «Je ne sais pas encor trop bien ce que je veux». Diable !
Ce qui est remarquable aussi, c'est l'omniprésence de l'amour, d'un bout à l'autre, et sa folle intensité par moments. Pulchérie :
Léon seul est ma joie, il est mon seul désir ; (...)
J'en ai l'âme à toute heure, en tous lieux obsédée ;
Rien n'en détachera mon cœur que le trépas,
Encore après ma mort n'en répondrais-je pas ;
Et si dans le tombeau le ciel permet qu'on aime,
Dans le fond du tombeau je l'aimerai de même.
Les vieillards eux-mêmes sont atteints, tel Marian qui brûle pour Pulchérie :
J'aime, et depuis dix ans ma flamme et mon silence
Font à mon triste cœur égale violence :
J'écoute la raison, j'en goûte les avis,
Et les mieux écoutés sont le plus mal suivis.
Cent fois en moins d'un jour je guéris et retombe ;
Cent fois je me révolte, et cent fois je succombe...
Corneille écrivit Pulchérie à soixante-cinq ans passés.
Avant même le sublime Surena, le mois prochain, on peut déjà conclure : tout Corneille tient la route, et devrait être rejoué un jour.
Pulchérie (399-453). |
Côté cinoche, encore un mois creux, pour cause d'emplois du temps trop chargés. Pas de regrets : passer deux jours avec Perec, par exemple (cf. Journal infime, «On s'en souviendra»), fut une expérience chronophage, mais nécessaire.
Il y eut donc, ce mois-ci, trois films seulement, mais rien que du bon.
Avec Armoured car robbery (1950), l'un de ses premiers films, Richard Fleischer nous fait voir le meilleur de la série B. Los Angeles, un hold-up, une poursuite, c'est tout. Sombre, sec, tendu, le film fait tenir deux heures en une seule. Les acteurs, excellents, nous sont inconnus, ce qui ajoute au dépaysement.
Dans Assassins et voleurs (1957), son avant-dernier film, ni le meilleur ni le moins bon, Sacha Guitry brode sur un scénario astucieusement brindezingue ses digressions habituelles, d'un anarchisme de bon aloi, et offre à MM. Poiret, Serrault et Cowl des numéros d'acteur étourdissants.
L'insolite premier film de Patrice Gobert, Simon Werner a disparu, donnait envie de voir la suite ; la voici. K.O. renchérit encore dans l'étrangeté. Un patron de télé, suant d'arrogance, un sacré salaud, se réveille d'un malaise dans un monde complètement changé, où tout le monde se détourne de lui — un vrai cauchemar... De nombreux critiques ont boudé cette histoire troublante, pourtant mise en scène avec adresse et puissance. On n'est pas loin, par moments, du cinéma de David Lynch.
Laurent Lafitte, Chiara Mastroianni. |
Mais le cinéma, n'est-ce pas aussi l'actualité française ? Cet invraisemblable triomphe électoral d'un jeune ambitieux, idole des naïfs et des malins, ne pourrait-on pas y voir, au lieu de pleurnicher, les scènes d'un film au comique somptueux ?
Ne sont-ils pas rigolos, ces chants de louanges baveux dans une certaine presse plus veule que jamais, ces hymnes au wonderboy, au nouveau Jupiter, ces cris de victoire saluant une immense défaite collective ?
Aux dernières élections, tout le monde a perdu : les anciens patrons du pays, qu'ils soient «socialistes» (rions) ou de la droite assumée ; le parti de la Marine, qui prend l'eau ; mais aussi le jeune César lui-même, à qui plus de la moitié du pays a dit merde en refusant de voter ; sans oublier ses électeurs, dont certains, dès les premiers jours, doivent déjà se sentir cocus.
La démocratie a perdu, elle aussi. Derrière les beaux discours et les nobles références (pauvre Ricœur ! pauvre revue Esprit !), derrière cette poudre aux yeux, c'est reparti pour un tour de mensonges, de magouilles, de cadeaux à la grande industrie et à la banque. À quoi s'ajoute ce qu'on n'avait pas prévu : la brutalité du personnage. On peine à rire, par exemple, devant l'instauration d'un état d'urgence permanent, cette infamie qui nous salit tous : celui qui l'a voulue, ceux qui la voteront, et nous tous (ou presque), qui l'accepterons sans moufter.
La brute US et la nôtre peuvent bien se serrer la louche, ils ont au moins deux points communs : l'hubris et la peur de la presse.
Bientôt, face aux débordements du petit Napoléon IV, descendre dans la rue pourrait bien devenir un devoir civique. Réveillez-vous, les jeunes, remuez-vous les vieux, il va y avoir du boulot...
Charmés, hypnotisés, sidérés... |
Mais à quoi se raccrocher ? Je fais partie des malheureux qui s'accommoderaient d'une Eva, d'une Christiane, voire d'un Benoît — autrement dit, de personnes remarquables, disqualifiées par leurs mérites. La gauche estourbie, ce qu'il en reste, clopine derrière l'étendard d'un tribun dont les grandes qualités n'effacent pas les immenses défauts. Parviendrai-je un jour à oublier son comportement caractériel, sa raideur brutale, sa haine pathologique de l'Europe ?
Car plus que jamais, je me sifflote l'»Hymne à la joie» de Schiller mis en musique par Beethoven, en laissant les nationalistes de droite et d'ailleurs gueuler ensemble leur Marseillaise de merde.
«Ô Joie, belle étincelle divine, Fille de l'Elysée...» |
Au mois d'août, sans doute, Mauvignier, Màrkaris, Borel (Petrus), Wiazemsky, Shire & Awoonor, sans oublier Corneille bien sûr.
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(réponse sur le numéro de la citation...)
Les choses les plus souhaitées n'arrivent point ; ou si elles arrivent, ce n'est ni dans le temps ni dans les circonstances où elles auraient fait un extrême plaisir.
La médiocrité — cette force à déraciner des Himalayas !
Être content de soi, c'est se sous-estimer.