BRÈVES
N°133 Octobre 2014
«L'économie de la poésie — si incongrue dans le grand marché, si contraire à ses lois, si indifférente à ses logiques — est déjà la poésie même. Ne vaudrait-elle que pour cela, pour cette insouciance subversive, ce dédain absolu des marges bénéficiaires, elle serait suffisamment justifiée.»
Éric Chevillard et Dieu soient loués pour ces lignes parues en juin dernier dans Le Monde, qui réchauffent le cœur. Notre sécu devrait rembourser l'achat de volumes de poésie, cet antidote au cancer néo-libéral. L'éditeur de poèmes que je suis ne se désolerait certes pas de vendre ses bouquins par milliers plutôt que par dizaines ; mais la rareté des lecteurs a quelque chose d'intime, de chaleureux. Loin des best-sellers, ces mégapoles bruyantes, un livre de poèmes est un coin de verdure douillet, refuge tranquille pour derniers Mohicans. Et puis, si la poésie se vendait, je ne serais pas là pour la vendre : un margoulin quelconque me piquerait le job pour s'encouiller d'or à ma place.
La poésie d'autrefois est une dame devenue accueillante avec l'âge, mais celle d'aujourd'hui ne se donne pas à tout le monde. J'ai parfois l'impression qu'elle me sourit, mais j'ai beau lui faire une cour assidue — la lisant, la traduisant surtout à tour de bras —, au moment où elle semble céder, la jeune allumeuse, le plus souvent, se dérobe.
Je lis Récits librement inspirés de ma vie d'oiseau, de Marie Huot, publié en 2009 au Temps qu'il fait. Une poétesse connue des connaisseurs, un éditeur qui est une garantie à lui seul. Et une lecture en forme de crapahut. Je ne sais pas où je suis, ni de quoi ça parle. Je retrouve le dispositif d'un recueil précédent, Chants de l'éolienne : des poèmes d'une page alternent avec quelques lignes, comme deux voix dont on ne sait si elles s'écoutent. En fait il y en a mille, des voix, chaque poème fait parler un nouveau personnage (la demoiselle, la sommeilleuse, la femme-saumon, la fleur d'épine, le fils du sherpa, le ventriloque, le brigand, Icare...) et en même temps on ne cesse d'entendre une voix unique, celle de Marie Huot.
J'écoute, j'écoute, pas plus éclairé qu'un animal écoutant les paroles humaines. Un animal intelligent tout de même : je saisis des bribes, et le ton de la voix. Ces mille histoires égarées, je n'arrive pas à les coudre ensemble, mais je sens confusément qu'elles se rattachent et s'unissent quelque part. Tout cela est lumineux, riche, fort, sûrement.
Nous avons d'autres sœurs encore dans quelques rivières cachées du monde
Quand les hommes détournent leurs maisons elles nous écrivent de déchirantes lettres pour nous dire que les arbres anciens leur offrent refuge
Ils les accueillent pareils à de vieux pères dans leur cœur le plus profond
C'est un fragment du chœur des sirènes qui parcourt et ponctue le chant. Ces lignes me touchent et je m'épuiserais à expliquer pourquoi. D'autres passages me parlent ainsi. Une dernière fois je relis, je ne relie pas toujours, qu'importe. Je quitte le livre avec une impression de plénitude, alors qu'il ne m'a pas chargé d'informations ou d'idées, au contraire : il a plutôt fait le vide en moi. Il me nettoie, me rend plus sensible, disponible à je ne sais quoi je ne sais où qui m'attend, qu'il faudra saisir. Marie Huot m'a réveillé doucement. Je t'aime, Marie Huot.
— Brave bête, Volkovitch.
Le lecteur de Poésie s'endort dans ses bras... |
Les livres de Patrick Bouvet, c'est quoi ? De la poésie ? Nnnon. De la prose ? Hum, non plus. Son petit dernier, Carte son (L'olivier, 2014) ressemble aux précédents : c'est comme une suite de vers très courts, mais ça ne chante pas comme un poème.
on la voit
au volant d'une voiture
noire
filer entre les surfaces
miroitantes
liquides
une voiture vivante
une voiture-panthère
qui bondit dans la matière
scintillante
et disparaît
pendant que déferlent
en vagues monstrueuses
les sons électroniques
qui viennent mourir
sur la plage
synthétique
chauffée à blanc
où elle réapparaît
bougeant
son corps criblé
de zones érogènes
des dizaines de reflets
cuivrés
sur la peau
et les lignes de texte
sortent de sa bouche
pour flotter dans un ciel
devenu rose
gimme
gimme
gimme
more
C'est le tout début. Ça semble plutôt raconter une histoire, mais pas vraiment. Il y a un thème, des scènes ou des bouts de scènes se succèdent — une star de la chanson, ses souvenirs, sa villa secrète, ses fans, les rumeurs qui l'entourent. Drogue, sorcellerie, folie.
C'est de l'écrit, mais ça parle tout le temps d'images et de sons, avec une telle force qu'on entend et qu'on voit. Sommes-nous là dans un film ? une BD ? un fantasme ? Tout se mélange, réel/image, vivant/artificiel, humain/animal, vérité/mensonge dans ce maelström d'éclats de lumière, cette machinerie tournante dont les éléments s'éparpillent et se recombinent autrement dans un mouvement hypnotique, vertigineux. Ce texte sur le show business, qui décrit — non, qui fait mieux encore, qui reproduit par ses formes un monde creux et vain sous ses paillettes, est à la fois totalement vide (par son sujet) et plein comme un œuf de par son invention perpétuelle. Et le fait qu'il reste inlassablement neutre, entre fascination et rejet, dans sa frénésie froide, n'est pas ce qu'il a de moins troublant.
Patrick Bouvet, auteur de sept livres semblables à celui-ci, devrait être aujourd'hui une star. Qui connaît Bouvet ?
«Mi-femme mi-panthère» |
Julien Bouissoux ne fait pas la une des gazettes littéraires, lui non plus. Une amie chère m'envoie son sixième livre, Une autre vie parfaite (L'âge d'homme, 2014), dans l'espoir que je parlerai de lui — volkovitch.com c'est mieux que rien du tout.
Allons bon, un recueil de nouvelles ! Écrire des nouvelles, mais c'est suicidaire, mon jeune ami ! La couverture — au milieu des vagues, la main d'un homme qui se noie — paraît prémonitoire. Et me voilà bientôt fort embêté : que vais-je dire à Marie ? La première nouvelle m'a laissé de marbre ; dans la seconde, un je ne sais quoi de faux me fait renâcler ; je coche au crayon, ici ou là, des petites choses qui me gênent. Envie soudaine de lire Tchekhov.
Le Russe attendra. Je persiste chez Bouissoux et suis vite récompensé. Tout s'arrange. Ces histoires de petites vies ratées, ternes, amères (la jeunesse perdue, le couple qui se défait, le boulot qu'on va perdre, etc.) prennent un relief inattendu, l'écriture se fait juste, nerveuse, vivante :
«Il y a un âge, on sort, on s'habille, mais très vite ça tourne à vide, ce qu'on voudrait vraiment, c'est que quelqu'un nous aime. Nous trouve charmant. Parce que soi-même on en a oublié la fraîcheur. Vingt-cinq, trente ans, quarante dans la même peau avec le visage qui va avec, on a visité tous les recoins de son âme, on voudrait croire qu'il y a une oasis qu'on a ratée, on voudrait que quelqu'un nous dise l'avoir trouvée.»
(Maladresse, le double «avec», ou fine trouvaille ?)
Une nouveauté pour moi : le rôle joué dans une histoire par les jeux vidéo, cette planète dont j'ignore tout. Notre vieille planète à nous étant connue de fond en comble, reste ce nouvel exotisme.
L'homme qui se noie ? En fait il ne se noie pas — et c'est pire. Ça se passe dans la troisième nouvelle, «Un homme à la mer», peut-être la plus forte, ex-æquo avec la dernière, «Le tour du propriétaire», joliment sarcastique, sur la mort d'un père ni aimant, ni aimé :
«Il s'enfermait dans le garage, dans sa tête, n'importe où pourvu qu'il y soit seul tandis que je marchais sans but en rêvant mollement d'une vie meilleure. Aujourd'hui il est mort, il est seul, il a gagné : plus personne pour lui demander l'heure, pour traverser son champ de vision ; plus personne pour le faire chier.»
À cinq doigts de se noyer... |
La persévérance, vertu cardinale, n'est pas toujours aussi bien récompensée.
Gao Xingjian, écrivain et peintre chinois, a longtemps vécu pauvrement dans un HLM de Bagnolet. C'est là que je l'ai rencontré, il y a bientôt vingt ans, sans me douter qu'il allait bientôt décrocher... le Nobel !
Aujourd'hui, notre tirage au sort du mois me fait lire une de ses pièces de théâtre : Dialoguer, interloquer (M.E.E.T, 1993), traduite par Annie Curien. Sous les yeux d'un moine muet qui accomplit des rites mystérieux, une jeune femme et un homme d'âge mûr dialoguent, et m'interloquent. Que se passe-t-il en fait ? Je ne saurais le dire. J'ai lu jusqu'au bout, là encore, mais sans émerger du brouillard. Si seulement je pouvais prétendre que c'est la faute à l'auteur ! Je crains fort qu'il ne soit pas le plus fautif de nous deux...
Peut-on décemment quitter là-dessus l'homme qui écrivit La montagne de l'âme ? Il faut lire ce roman sur la Chine récente, publié par l'Aube il y a vingt ans, fort bien traduit (semble-t-il) par Noël et Liliane Dutrait, et aussi subtil que puissant. Grâce à lui, Gao, excellent plasticien par ailleurs, n'a pas volé sa breloque suédoise.
Avec James Salter, aucun danger de se planter ainsi. Salter est un grand charmeur. Son dernier roman, Et rien d'autre (All that is), vient de paraître à L'olivier. «Acclamé dans le monde entier», écrit l'éditeur, et c'est sûrement vrai. Salter nous y raconte la vie d'un Américain cultivé entre la deuxième guerre mondiale et aujourd'hui, depuis ses vingt ans jusqu'à sa vieillesse. Cet homme intéressant a deux passions : les livres et les femmes. L'enchanteur Salter, à 90 ans, est égal à lui-même : très Nouvelle Angleterre comme son héros, élégant, distingué, nonchalant, un rien bavard mais on ne va pas s'en plaindre, tant il sait rendre charmants les méandres de son récit fluide et tranquille. Oh, tout n'est pas rose dans la vie de son personnage et de ceux qu'il croise, mais nous sommes le plus souvent invités chez des riches, des gens bien élevés, dans de belles maisons, de beaux endroits, et l'auteur s'attarde sur les moments de bonheur avec une délectation visible et partagée. Parmi les scènes les plus réussies, il y a ces instants d'extase imbécile où l'on se croit invincible et immortel, décrites avec une ironie impalpable, et surtout ces belles rencontres amoureuses, narrées de façon étonnamment explicite, qui ponctuent le roman comme un refrain ; on a rarement lu des descriptions aussi excitantes, aussi émouvantes de l'ivresse des corps.
Ce qui manque à la fête, peut-être ? Un peu d'angoisse, de souffrance, de doute ? Mais allons-nous bouder notre plaisir ? D'autant que la traduction de Marc Amfreville est solide, meilleure sans aucun doute que celle d'Un sport et un passe-temps (A sport and a pastime) lu naguère. Exemple :
Everything, during this time, was overshadowed by the war in Vietnam. The passions of the many against the war, especially the youth, were inflamed. There were the endless lists of the dead, the visible brutality, the many promises of victory that were never kept until the war seemed like somme dissolute son who cannot ever be trusted or changed but must always be taken in.
À cette époque, tout l'horizon était assombri par la guerre du Vietnam. La passion de ses innombrables opposants, en particulier des jeunes, s'était embrasée. Ce furent les interminables listes de victimes, la violence tangible, les nombreuses promesses de victoire jamais tenues, jusqu'à ce que la guerre se mette à rassembler à un fils dissolu auquel on ne peut plus faire confiance, qu'on ne changera jamais mais qu'il faut néanmoins accepter.
James Salter, encore fringant... |
La moindre comparaison entre un texte et sa réincarnation a de quoi déclencher des discussions infinies. L'ajout d'un «néanmoins» dans la dernière phrase de l'extrait, par exemple, est-il dû au choix subjectif du traducteur ou découle-t-il d'une différence objective entre les deux langues ?
Un œil sur la v.o., l'autre louchant sur la v.f. de l'excellent confrère, j'ai passé sur ce livre un temps déraisonnable. Résultat, gros retard dans mon programme de lectures. Balzac, par exemple, va se réduire ce mois-ci à la portion congrue : rien qu'une nouvelle, «La Grenadière», connue seulement des balzacolâtres.
À juste titre : cette histoire d'une dame belle, gentille et malade qui s'installe dans un coin de Touraine paradisiaque avec ses deux enfants non moins gentils et meurt bientôt, quoi de plus ringard. Les grands auteurs ont tous ou presque leur moment de faiblesse, et Balzac lui-même, je m'en souviens, commit entre autres un Lys dans la vallée si calamiteux que je n'oserai jamais le feuilleter de nouveau. Cette «Grenadière» souffre du même défaut : elle ruisselle d'eau de rose avec ses personnages d'une perfection improbable et son final mélo. Je ne sais comment qualifier ce ratage, ayant épuisé dans mon Andouille de ce mois tous les synonymes de «cucul-la-praline».
Il y a là, tout de même, un mystère : pourquoi une montagne comme Balzac peut-il accoucher d'une souris aussi riquiqui ? Au fond, c'est ce mystère qui rend cette «Grenadière» intéressante. Il pourrait être lié à un autre mystère contenu dans l'intrigue : cette femme a un secret, que l'auteur évoque avec insistance, mais sans le dévoiler, contrairement à toutes les règles classiques ou non. Le pot-aux-roses sera-t-il découvert ailleurs dans la Comédie humaine, cette courte pièce n'étant qu'un petit rouage de la grande machine ? Ses personnages reviennent dans d'autres histoires, en effet, mais le mystère demeure. Faute de temps, l'auteur étant mort trop tôt ? Ou cette cachotterie serait-elle hardiment délibérée ? Il y aurait là de quoi réhabiliter la petite «Grenadière», et Balzac, même là, se montrerait génial !
Alphonse Karr (1808-1890) connut bien Balzac. Journaliste et romancier, satiriste à la plume ravageuse, ayant apparemment moins d'estime pour les humains que pour les fleurs, il faucha allègrement les premiers dans ses articles avant de quitter Paris à cinquante ans pour cultiver ces dernières. Il eut alors, du côté de Saint-Raphaël, un jardin extraordinaire, dit-on — celui qu'il décrit amoureusement dans Voyage autour de mon jardin (1861), réédité en fac-similé par Gallica (Hachette / BNF).
Je n'aurais jamais connu cet auteur délaissé si Éric Dussert ne l'avait remonté des enfers dans Une forêt cachée, 156 portraits d'écrivains oubliés (La table ronde), livre précieux qui alimentera, je le rappelle, une rubrique mensuelle dans ces Brèves jusqu'à l'été prochain.
Ô Dussert, ô bienfaiteur, loué sois-tu toi aussi ! Je ne regrette pas ma visite au jardin de Karr. Évidemment, ces 300 pages à la gloire des végétaux et des insectes enchanteront surtout les amoureux de la nature, mais un homme qui parle avec compétence et passion a de quoi intéresser n'importe qui avec n'importe quoi. Notre homme fait preuve d'une solide érudition botanique et entomologique, son émerveillement devant les prodiges de la nature est contagieux, on pense en le lisant aux admirables Souvenirs entomologiques de Jean-Henri Fabre — sacré compliment. Karr est un sage qui prend son temps, on pourra le trouver prolixe par endroits, mais pour peu qu'on survole certains passages on ne s'ennuie pas avec lui : il a le goût du paradoxe et du piquant, le sens de la formule, certaines pages sont un délice, comme celle-ci :
...Et un autre jour, qu'elle m'avait dit qu'elle m'aimait, je sortis de chez elle si grand, que je me baissais de peur de décrocher quelque étoile ou d'y brûler mes cheveux, et j'évitais de choquer les passants, dans la crainte de les briser en éclats comme du verre.
Les fleurs commencèrent à me parler : La rose blanche n'avait pour les autres que des parfums ; pour moi, elle avait des paroles qu'elle répétait à mon cœur ; le chèvrefeuille avait pour mes lèvres de douces caresses, et exhalait pour moi seul, non pas son parfum ordinaire, mais l'odeur de l'haleine de celle que j'aimais. Le vent avait aussi des voix douces et mystérieuses.
Puis tout à coup, je ne sais quel méchant enchanteur se vint jeter au milieu de tous ces miracles. Magdeleine devint une femme comme toutes les autres, moi je fus changé en je ne sais quel animal stupide. Les fleurs ne furent plus que des fleurs pour moi comme pour les autres. Le vent dans les cimes des arbres ne me dit plus rien. Le chèvrefeuille n'eut plus que son odeur que respire tout le monde. Depuis, je n'ai plus trouvé de merveilles en moi ; mes premières années, comme des mères prodigues, avaient ruiné et déshérité les dernières.
Mais je me suis fait spectateur dans la vie, et j'ai regardé.
Alors en voyant les autres, j'ai vu que j'avais fleuri comme fleurissent les fleurs ; que mon âme s'était épanouie, et avait exhalé son parfum qui est l'amour ; puis ma riche corolle s'est séchée et est tombée ; que cela devait être ainsi, que j'avais fini mon rôle et que j'avais pris le bon parti, en m'asseyant le moins mal possible pour regarder les autres hommes.
Un jardin comme celui-là ? |
Le dernier livre de cette fournée, L'enfant qui jouait avec la lune (Salvator), n'est pas de la haute littérature. Son auteur, qui signe Lucien, fut très connu au siècle dernier sous son vrai nom : Aimé Duval. Jésuite et chanteur, il connut le paradis de la gloire et l'enfer de l'alcool, et raconte les deux dans ce témoignage plein de franchise, de courage et d'humilité. Cette confession, où l'on apprend aussi comment quitter l'enfer, ne sera pas seulement utile aux damnés de la bouteille : la compagnie de cet homme très attachant a de quoi faire du bien à tous. Il vaut mieux qu'une Brève, mes frères, et nous pouvons le retrouver dans le JOURNAL INFIME de ce mois («Le Seigneur reviendra»), amen.
Côté cinoche, mois faste.
D'abord, L'enfant du pays de René Féret, sorti en 2003, troisième volet de sa trilogie autobiographico-familiale après La communion solennelle et Le baptême. Film proche des précédents, d'une grande richesse humaine, plus éclaté encore, brassant une foule de personnages et mêlant les époques dans un désordre évoquant celui de la mémoire.
En même temps, début d'une autre trilogie autobiographique, celle de l'Autrichien Axel Corti sur l'avant-, le pendant- et l'après-guerre. En voyant sur DVD le premier épisode, Dieu ne croit plus en nous (1982), où quelques Juifs s'efforcent de fuir l'Allemagne nazie en 1938, on se demande comment ce film saisissant, superbement filmé en noir et blanc, a pu rester trente ans inédit chez nous... Serait-ce dû à l'image peu reluisante qu'il donne de la France : antisémitisme florissant, hospitalité racornie ?
Encore l'autobiographie : avant de tourner Hippocrate dans un hôpital parisien d'aujourd'hui, Thomas Lilti a longtemps été médecin lui-même. Son film est une fiction très bien documentée, où le jeune cinéaste pose sur les soignants et les soignés un regard à la fois plein d'empathie et sans indulgence. Le public se précipite, comme quoi il n'a pas toujours tort.
Bande de filles, qui sort ces jours-ci, est le troisième film de Céline Sciamma, mais nous attendrons un peu, Carole et moi : nous découvrons à peine le premier, Naissance des pieuvres, où trois adolescentes se tournent autour, découvrant l'amour et le désir. Un petit bijou de subtilité, de délicatesse, de tendresse. Pour admirer plus encore l'intelligence et l'exigence de la très jeune réalisatrice (34 ans), il faut voir, sur le DVD, les deux très belles scènes qu'elle a tout de même décidé de couper.
Louise Blachère, Pauline Acquart, Adèle Haenel. |
La médiathèque de Chèvres étant fermée neuf mois pour je ne sais quels travaux pharaoniques, je fais le tour de mes vieux CD. Il y a de quoi tenir pendant un siècle ! Je réécoute ce que j'ai de Fauré, je crois tout connaître par cœur, eh bien non : j'avais oublié les deux sonates pour violoncelle et piano. Peu attiré par le violoncelle, je le crois confiné aux chants profonds, amples et tranquilles, eh bien non ! Dans le premier mouvement de la première sonate, on reconnaît le compositeur, sans doute, mais c'est un Fauré nerveux comme jamais, tendu, heurté, surchauffé. Du sirop d'orgeat, Fauré ? Qu'on aille écouter ça.
Du coup je retourne aux œuvres de Beethoven pour les mêmes instruments. La dernière sonate, op. 102, donc avant le Quatuor op. 130-133, s'achève par une fugue ébouriffante, un déferlement d'énergie incroyable — et communicatif.
L'instrument le plus proche de la voix humaine. |
Il en faut, de l'énergie, pour lire les nouvelles dans le journal ou sur l'écran qui peu à peu le remplace. Dur ne pas désespérer.
Sondage : parmi toutes les chaînes de télé, la meilleure (de très loin), Arte, est celle dont l'audience est la plus âgée. Moyenne d'âge, 59 ans !
Sondage : 80% de Français veulent être gouvernés par un homme fort. Et parlant d'homme fort, qui revoilà, ô cauchemar ? Le nain agité qui veut refaire président, qu'une majorité d'entre nous rejette encore mais que des millions d'abrutis acclament. Il annonce officiellement sa candidature... sur facebook ! On sursaute, avant de se dire qu'au fond c'est très bien, que facebook et lui sont faits pour s'entendre.
Et que dit-il, le petit baratineur ? Qu'il a changé ! qu'il va dépasser ce vieux clivage démodé entre gauche et droite ! T'en fais pas, petit, ceux d'en face ont déjà fait le boulot.
Si un volkonaute rencontre Reynald Mongne, des éditions Ginkgo, mon ex-éditeur, dans un salon du livre en province, peut-il lui rappeler que j'attends de ses nouvelles ? Je m'inquiète pour sa santé. M. Ginkgo, qui me doit 3000 € depuis trois ans, souffre de surdité, du moins en ce qui concerne mes appels...
Il n'est pas le seul sourd : c'est 10 000 € en tout que j'attends patiemment. Heureusement que les éditions du Seuil et l'Éducation Nationale me nourrissent !
Le 1er novembre, en guise d'anti-dépresseurs, volkovitch.com proposera comme tous les mois une brochette de bouquins variés. Sous réserves : Aragon, Guimard, Chevillard, Balzac, Lescot, Morrow, Chamoiseau, Stefansson, Bonnefoy, Aristophane...
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(réponse sur le numéro de la citation...)
...L'écrivain, dont la mission consiste selon moi à exprimer ce que chacun avait sur le bout de la langue sans pouvoir, vouloir ou savoir le formuler.
Certains auteurs, parlant de leurs ouvrages, disent : «Mon livre, mon commentaire, mon histoire, etc.» (...) Ils feraient mieux de dire : «Notre livre, notre commentaire, notre histoire, etc.», vu que d'ordinaire il y a plus en cela du bien d'autrui que du leur.
Il ne s'agissait pas pour le sculpteur que ces statues fussent belles ; et c'est peut-être pourquoi elles le sont.