BRÈVES

N°110 Novembre 2012



BRÈVES


C'était quoi, cet essoufflement au moindre effort, depuis quelques semaines ? La vieillesse ? Pas seulement. Le médecin, enfin consulté, a diagnostiqué une embolie pulmonaire : un caillou de sang vient encombrer l'artère entre le poumon et le cœur, qui du coup est mal oxygéné. D'où cinq jours d'hôpital, dont deux sans poser le pied par terre, puis le début d'un long traitement sous surveillance étroite.

Pas de séquelles, on me l'a promis.

J'ai passé des journées plutôt douces à la clinique du Val d'Or de Saint-Cloud, entre des médecins compétents et des infirmières adorables, j'ai beaucoup lu là-bas, mais il est temps de se remettre au boulot, puisque voici l'embellie pulmonaire.


Ça caillait tellement que j'ai eu chaud !
Ne pas perdre le fil.

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À propos de maladie, voici ce que je viens de lire :

BLOG, n. m. Trouble prolongé de la personnalité, durant lequel le sujet surévalue la pertinence de son ressenti (psy.)

C'est écrit dans l'éminente revue Théodore Balmoral. Et bien que volkovitch.com, techniquement parlant, ne soit pas un blog mais un site, on se sent un peu visé tout de même. C'est vrai, on est peu de chose, à gazouiller dans sa petite bulle immatérielle, à côté de ce monument de papier qu'est une Revue. On comprend la condescendance des revuistes à l'égard de la Toile, ce grouillement anarchique de babils non autorisés. Je suis troublé, en effet. Suis-je pertinent dans ce que je gribouille ? Sinon, dois-je m'obstiner dans mon impertinence ?


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On se sent peu de chose, également, devant certains livres.

Imre Kertész, écrivain hongrois, prix Nobel 2002 s'il vous plaît, est notamment l'auteur d'un roman terrible, Être sans destin (Actes Sud), l'un des textes les plus forts jamais écrits sur les camps nazis, domaine où la concurrence est rude. Lui-même est passé par Auschwitz et Buchenwald, ce qui l'a dévasté à vie.

«Quelles que soient mes réflexions, elles portent toujours sur Auschwitz. Même si je parle d'autre chose en apparence, je parle d'Auschwitz.» Cela, il l'écrit trente ans plus tard, dans son Journal de galère, traduit par Natalia Zaremba-Huszvai et Charles Zaremba chez Actes Sud, et que mon petit tirage au sort mensuel m'a mis entre les mains. Kertész parle d'autre chose, en effet, dans ces pages de journal couvrant la période 1961-1991. Journal peu intime, intellectuel et philosophique avant tout, où je trouve un tas de fortes pensées, celle-ci par exemple :

«La vérité est chose fragile. Mais si mille jeunes gorges d'acier lubrifiées à la graisse de canon la claironnent à chaque coin de rue, même la vérité la plus indiscutable devient mensonge, violence, terreur et, tôt ou tard, prétexte à massacre.»

À côté de réflexions assassines sur les totalitarismes de tous bords, je note des aperçus éclairants sur le langage musical mis en parallèle avec l'écriture littéraire, des notes de travail et des commentaires de lecture haut de gamme (Nietzsche, Freud, Musil, Beckett, Kafka — la crème de la crème...) qui devraient me combler.

Eh bien pas vraiment. Kertesz fut un être torturé dès avant les camps, et ils n'ont rien arrangé. Sa vision du monde et de l'écriture est d'une exigence admirable sans doute, mais affreusement sombre, exemple : «Construire le roman de manière qu'il contienne son propre échec.» «Mon ambition d'écrivain : écrire quelque chose qui me tue.» «J'écris un roman parce que je cherche la douleur la plus aiguë qui soit.» Partout malaise, tourments, culpabilité. Et pour achever de m'écraser, Kertész est si intelligent que la moitié de ses considérations me passent par dessus la tête, si bien que je quitte avant la fin ce livre devenu galère pour moi, ce livre irrespirable.

Pourtant je ne veux en détourner personne ! Je sais par ailleurs que ma meilleure chance d'amener des lecteurs à un livre, c'est d'éveiller leur curiosité en l'assassinant. N'empêche, difficile de ne pas en vouloir aux auteurs qui me mettent en face de ma faiblesse.


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Ce qu'il faut pour me requinquer ? Un bon vieux Simenon des familles. Je sais où le trouver : dans la Pléiade. Les trois volumes actuellement disponibles offrent un choix excellent, sans défaut. Parcourant le tome II qui m'a déjà révélé des trésors (La mort de Belle, La neige était sale, Les mémoires de Maigret, Maigret et l'homme du banc), j'en arrive à Maigret et les braves gens. Un Maigret un peu à part, où le commissaire apparaît encore moins surhomme que d'habitude — et d'autant plus attachant. Au début, le téléphone le réveille au milieu d'un cauchemar, puis il ne cesse de patauger, «mou, mal dans sa peau», dans une enquête qu'il ne maîtrise pas, confronté à une famille de la bonne bourgeoisie parisienne dont il se sent à la fois proche («de braves gens», vraiment) et socialement éloigné, dans une ambiance elle-même contradictoire, feutrée mais nauséeuse, impalpablement onirique. Simenon, lui, plus à l'aise que jamais, porte cette histoire toute simple avec sa coutumière apparence de simplicité, par petites touches à peine visibles, et si d'habitude il affectionne les atmosphères pluvieuses, il nous envoûte ici grâce à l'effet météorologique inverse, plongeant tout le début de l'histoire dans un été prolongé, suspendu, angoissant.

C'est le retour de la pluie qui va tirer le commissaire du bourbier. Qui osera dire du mal du sale climat parisien ?


Jean Richard, Georges Simenon.
Le commissaire et son père.

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Autre grand-oncle bien-aimé, Jean Giono. Regain, troisième partie de la Trilogie de Pan, parut en 1930, juste après Un de Baumugnes dont il est proche. On se retrouve en Haute Provence, avec une poignée de paysans, dans un de ces villages perdus là-haut «au plein milieu du ciel, avec les vents et les nuages». (À noter ici comment un «au» à la place d'un «en» suffit à faire scintiller une phrase...) Le hameau d'Aubignane est mourant, mais l'ultime habitant, une sorte d'ours, trouve une compagne et l'installe au village qu'ils vont faire revivre en y attirant d'autres couples. Faire oublier ce que cette histoire, telle que je la raconte, a d'édifiant et d'irréaliste, c'est l'un des tours de force de Giono. L'écrivain-maître-à-penser des années 30 montre le bout de l'oreille à la fin, mais sans devenir gênant. Tout est emporté par un souffle panique, toute la nature est vivante, neuve, débordante :

«...Le jeune soleil marche, enfoncé dans les herbes jusqu'aux genoux. Le vent éparpille de la rosée comme un poulain qui se vautre. Il fait jaillir des vols de moineaux qui nagent un moment entre les vagues du ciel, ivres, étourdis de cris...»

Le vent souffle sur toute l'histoire, enivrant le lecteur autant que les personnages :

«Elle reniflait de longs morceaux d'air, elle le goûtait comme on goûte un vin pour voir s'il est fait, s'il a fini de bouillir, s'il a de l'alcool.»

C'est un personnage à part entière, ce vent, tantôt féroce, tantôt amical :

«Il y a eu d'abord un grand peuplier qui s'est mis à leur parler. Puis ça a été le ruisseau des Sauneries qui les a accompagnés bien poliment en se frottant contre leur route, en sifflotant comme une couleuvre apprivoisée ; puis, il y a eu le vent du soir qui les a rejoints et qui a fait un bout de chemin avec eux, puis il les a laissés pour de la lavande, puis il est revenu, puis il est reparti avec trois grosses abeilles.»


Giono n'apprécia pas beaucoup...
Fernandel et Orane Demazis dans l'adaptation de Pagnol.

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Le mois prochain, Giono nous emmènera faire la guerre de 14 avec son Grand troupeau, mais ce mois-ci c'est Jean Echenoz qui s'y colle avec son dernier opus, 14, chez Minuit comme toujours.

On a déjà beaucoup écrit sur ce roman, on n'a sans doute pas assez souligné le défi qu'il représente pour son auteur : Echenoz, écrire sur la Grande Guerre, ce Grand Sujet ultra-rebattu ! et qui n'est même pas son genre !

Tous les critiques citent le même paragraphe, pourquoi me démarquer ? Il résume parfaitement l'affaire :

«Tout cela ayant été décrit mille fois, peut-être n'est-il pas la peine de s'attarder encore sur cet opéra sordide et puant. Peut-être n'est-il d'ailleurs pas bien utile non plus, ni très pertinent, de comparer la guerre à un opéra, d'autant moins quand on n'aime pas tellement l'opéra, même si comme lui c'est grandiose, emphatique, excessif, plein de longueurs pénibles, comme lui cela fait beaucoup de bruit et souvent, à la longue, c'est assez ennuyeux.»

Echenoz ne s'est pas moqué de son sujet, dans un sens : il a, comme d'habitude, épluché un tas de documents, il en sait autant que s'il était passé par là ; mais le tour de force, c'est que sans rien cacher de l'horreur, sans tuer en rien l'émotion — on prend la guerre en pleine gueule —, il n'abandonne pas la distance et l'auto-dérision légères qui sont sa marque. L'Echenoz que l'on connaît est là tout entier, même dans la tragédie, avec sa fausse désinvolture, son demi-sourire désolé. C'est tout lui, cette «(...) chaleur dont on ne savait plus si c'était celle du mois d'août ou de la locomotive, sans doute les deux se grimpant l'une sur l'autre», cette façon d'associer touches de langue familière et tournures plus soutenues, mais dans l'ensemble la prose échenozienne continue de se faire sans cesse plus dépouillée, et l'on a beau savourer chaque phrase, on sait de moins en moins d'où émane son pouvoir.

Le Nouvel Obs a eu la riche idée d'inviter ensemble Echenoz et Modiano. Ils se sont envoyé des fleurs, dont on a de bonnes raisons de croire qu'elles sont sincères. C'est curieux, on n'y avait pas prêté attention, mais ils ont plus d'un point commun, ces deux-là. À commencer par l'absence d'esbroufe et la modestie — vertu majeure.


...et la guerre est un jeu puéril.
La connerie n'a pas d'âge...

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Encore un homme discret, poète celui-là : feu Pierre Peuchmaurd. Contemporain des deux précédents, il n'a pas comme eux connu les feux de la gloire. L'ayant découvert le mois dernier, je poursuis le bout de chemin avec le meilleur des guides : Laurent Albarracin, qui lui consacre un essai dans la précieuse collection des Vanneaux, Présence de la poésie, où sont également honorés, entre autres, Dhainaut, Delisse, Malrieu...

Albarracin, poète lui-même et des meilleurs (je me répète, je sais) rend à son aîné un hommage bien senti, tout bourdonnant de belles formules. Suivent 150 pages de poèmes et quelques entretiens, suivant la formule consacrée par Seghers autrefois.

Disons pour simplifier que Peuchmaurd, héritier du surréalisme, procède par volées d'images, étonnantes comme il se doit mais jamais criardes, et ne s'éloignant jamais beaucoup de la simplicité, de l'évidence.


Dans ta cuisine,

au centre du monde,

le café bout


Quelle richesse cachée en si peu de mots ! Peuchmaurd illustre bien cette fonction de la poésie : faire voir ce qu'on ne voit plus, «raviver le monde» comme dit Albarracin.


Dînant seul,

sentir la nuit

sur le monde


L'immense qui sort du minuscule. Perfection musicale avec trois fois rien.

Certains poèmes, certains recueils me laissent tiède. D'autres me touchent dans le mille.


La nuit, des bêtes nous traversent. Ce n'est pas nous qu'elles cherchent, qu'elles veulent, mais cela laisse des traces. Au réveil, nous nous regardons, étonnés, fatigués. Il traîne dans le lit une odeur fauve, acide. Ce n'est ni l'ennui, ni le plaisir. C'est les bêtes.


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Poésie (suite). Actualité grecque abondante. Entre juillet et novembre, dans un effort désespéré pour faire entendre les voix grecques, j'aurai publié tous azimuts.

D'abord, cinq poètes, représentant des générations et des langages très divers. En commençant par les plus jeunes :

— Yànnis Stìggas (1977) et son recueil Vagabondages du sang, aux éditions des Vanneaux ;

— Katerìna Iliopoùlou (1967), dont le recueil Monsieur T, publié au Québec par l'Oie de Cravan, est désormais disponible en France ;

— Mihàlis Pieris (1952), chypriote, avec une copieuse anthologie élaborée par ses soins, Métamorphoses des villes, chez Circé ;

— Katerìna Anghelàki-Rooke (1938), dont les éditions Al Manar publient Dans le ciel du néant ;

et enfin l'ancêtre

— C.P. Cavàfis (1866-1933) avec la suite du début de ma retraduction intégrale, dans le très riche n°2 de la revue Première ligne, aux Vanneaux.

À quoi s'ajoute le premier volume d'une nouvelle anthologie, Poètes du 21e siècle, annoncée sur publie.net, et un large choix de poèmes de Tàssos Livadìtis (1922-1988) chez le même éditeur, deux projets qui me tiennent très à cœur et qu'une série de problèmes éditoriaux et techniques ne cesse de différer depuis des mois. Comme toujours, la partie la plus facile et la plus douce dans le travail de traduction, c'est la traduction elle-même. Dommage qu'il y ait le reste autour, épuisant.


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J'attends aussi avec impatience la reparution du terrible et merveilleux récit de Chrònis Mìssios, Toi au moins tu es mort avant, disponible sur publie.net, dont Futuropolis proposera une adaptation en BD l'an prochain, signée Sylvain Ricard au scénar et Daniel Casanave au dessin. Ce que j'ai déjà pu voir est épatant.

Ah, la BD, que Carole et moi négligeons ces derniers temps... On s'y remet avec La douce, où François Schuiten nous entraîne dans l'un de ses fabuleux voyages. Il y a une locomotive à vapeur belle comme un rêve d'acier (elle a existé pour de vrai), des inondations géantes, des téléphériques sans fin, des architectures vertigineuses, et là-dedans un couple improbable, vieux chauffeur et jeune muette, qui tâchent de survivre dans ce cauchemar éveillé. Comme quoi Schuiten peut se passer de son complice Benoît Peeters pour composer ces opéras somptueux dont ils ont tous deux le secret.


Somptueux vertiges.
«Altaville, la perle du pays, devenue un immense bidonville.»

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Le théâtre, lui aussi, est négligé chez nous, mais Resnais annonçant un nouveau film à partir de deux pièces d'Anouilh, et le film se faisant attendre, il faut bien tromper sa faim en lisant lesdites pièces en hors-d'œuvre.

Pour Eurydice, ce fut fait l'an dernier. Au tour de Cher Antoine.

Décidément, j'aime lire Anouilh. Je ne crois pas qu'il m'ait jamais déçu. Les grincheux diront que c'est un peu toujours pareil et je reconnais qu'à chaque fois je retrouve son brillant, son amertume d'enfant blessé mal guéri, sa science du théâtre — il a ça dans le sang comme personne. Et quoi de plus théâtral, dans le bon sens du terme, que ce Cher Antoine de 1969, avec ses personnages (un auteur dramatique défunt, ses comédiens favoris qui se retrouvent ensemble à sa mort), son argument (il n'est question que de théâtre et de théâtre dans le théâtre, puisqu'on joue une pièce appelée Cher Antoine) et ses dialogues étincelants ? Quant au personnage du dramaturge célèbre, comment ne pas y voir un autoportrait discret, teinté d'auto-ironie.

Pourquoi le défunt a-t-il été quitté par celle qu'il aimait ? «Peut-être s'est-elle aperçue qu'Antoine n'avait jamais été capable de vivre — qu'il avait inventé sa vie et les personnages de sa vie comme ses pièces et en même temps —, et qu'elle n'était qu'un signe, comme les autres, dans le rêve de cet homme endormi.»

Le théâtre et la vie, couple infernal... Toute la pièce tourne autour de ses déchirements, dans le mélange habituel de désolation noire et de bonne humeur. Antoine : «Je suis le plus malheureux des hommes, madame, mais aussi celui qui prend son malheur le mieux : j'ai reçu du Ciel le don d'en faire rire.»

En fait, Antoine ne sait pas vraiment pourquoi ses deux personnages, qui s'aimaient, se sont quittés :

«C'est une des parts d'ombre de ma pièce. J'aimerais qu'on se le demande. Je me le demande bien, moi !»

La virtuosité, la maîtrise, très bien ; mais l'incertitude, le léger flou, l'œuvre qui échappe à son auteur, c'est encore mieux.


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Et voici Resnais avec son Vous n'avez encore rien vu qui amalgame des fragments d'Eurydice et Cher Antoine, habilement cousus par le scénariste Laurent Herbiet. De Cher Antoine il reste peu de chose, la partie autoportrait a disparu, ce n'est pas le genre de la maison ; reste la rencontre des comédiens (une palanquée d'acteurs géniaux, habitués du cinéma de Resnais pour la plupart) invités par un metteur en scène défunt, joué par Denis Podalydès, qui leur fait regarder la captation d'une mise en scène de son Eurydice, montée par de jeunes comédiens. Ils l'avaient jouée jadis ; en regardant, ils se prennent au jeu, se mettent à rejouer...

C'est tout. Et c'est vertigineux. Quand on y pense, tout cela ne tient pas debout une seconde ! Le film ne cesse d'exhiber son artifice, cette histoire à dormir debout, ces gens qui ne cessent de jouer devant nous. Le vertige vient de ce jeu de miroirs, non seulement entre plusieurs versions d'une pièce, mais entre l'irréalité du jeu et la réalité des sentiments. Orphée, Eurydice, tout de même, ce n'est pas rien : l'amour, la mort, l'art qui s'efforce de changer la mort en vie... Réelles, jouées, toutes ces émotions ? L'expérience un peu tordue qu'on nous montre est en même temps un rituel solennel et une mystification, une cérémonie funèbre et une plaisanterie, ambiguïté maintenue d'un bout à l'autre par la grâce de comédiens parfaits et d'une mise en scène souveraine. Vous n'avez encore rien vu ? En effet, on ne sait jamais ici ce qu'on va voir, ni ce qu'on a vu au juste. Voilà comment je suis sorti joyeux et grave en même temps de ce nouveau Resnais, l'un des plus expérimentaux et complexes, et peut-être aussi l'un des plus directement émouvants.


Et l'on n'a pas encore tout vu...
Resnais et ses créatures.

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Ils sont si différents, les films de Resnais, et pourtant que d'échos entre eux ! Celui-ci évoque évidemment La vie est un roman, mais aussi et surtout peut-être Marienbad, le vaste édifice, les fantômes, l'épanchement du passé dans le présent.

Le hasard fait qu'en nous baladant dans l'œuvre de Jacques Demy, Carole et moi faisons halte dans sa Baie des anges, qui date de la même année que Marienbad : 1961. En racontant la passion du jeu et ses ravages, Demy ne louche pas du côté de Resnais, mais de l'autre grand : Bresson. Ce film assez méconnu, en forme de descente aux enfers, est une splendeur d'un bout à l'autre, avec sa sécheresse brûlante, la perfection de son tempo, les gestes précis des croupiers faisant écho à ceux des voleurs de Pickpocket, le noir et blanc admirable et Jeanne Moreau blonde en damnée pour qui on se damnerait.


...et la roulette : les trois personnages principaux.
Claude Mann, Jeanne Moreau...

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C'est en 1975 que Jean-Paul Rappeneau tourna Le sauvage avec Yves Montand et Catherine Deneuve, et tous trois donnant le meilleur d'eux-mêmes sur un scénario encore plus riche et profond que prévu, on passe en leur compagnie, sur un îlot tropical désert, quelques moments délicieux.

C'est en 1987 que Francis Ford Coppola tourna Peggy Sue got married, le film qui allait inspirer Camille redouble de Noémie Lvovsky. Il est piquant de voir les deux à la suite. Eh bien, contre toute attente, et même si Coppola nous fait cadeau d'une comédie charmante avec sa reconstitution des sixties genre conte de fées, pas besoin d'être chauvin pour préférer la petite merveille de notre compatriote, au scénario plus riche, plus comique, aux émotions plus variées et subtiles.

Mais le troisième coup de cœur de ce mois est pour Far from heaven (Loin du paradis) que Todd Haynes tourna en 2003, huit ans après l'extraordinaire Safe, avec la même Julianne Moore. La terrifiante parabole New Age (ou anti-New Age ?) fait place à un hommage aux mélos flamboyants des fifties, qui dépasse le niveau du pastiche en abordant de front des thèmes tabou à l'époque, racisme et homosexualité. Voici l'Amérique heureuse d'après-guerre, et en même temps, derrière la façade paradisiaque, l'enfer caché. Far from heaven déroule son histoire de couple déchiré et d'amours condamnées avec une intensité, une justesse rares ; la mise en scène, forte et fluide, est somptueuse, avec notamment des jeux de couleurs (vert, bleu, roux) dignes du grand Minnelli.


Julianne Moore, Dennis Haysbert.
Le couple impossible.

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Eh non, ce n'était pas mieux avant, malgré cette illusion universelle qui embellit le passé. (Comme disent les Grecs : L'an dernier c'était mieux, l'an d'avant mieux encore.) N'empêche, il n'a pas trop belle figure, l'avenir, et il faut être un optimiste naïf dans mon genre pour ne pas flipper à mort.

Comment faire confiance aux myopes impuissants qui officiellement nous gouvernent ? aux fous furieux de la finance et de l'industrie qui détiennent le vrai pouvoir ? Et pour s'opposer, pour tenter de freiner le rouleau compresseur, qui rejoindre ? Notre grande gueule cajoleuse de dictateurs ? Nos écolos ?

Les écolos, ils ont eu ce qu'ils voulaient : des postes. Ministres, députés, il est temps pour eux de se calmer, d'agir de façon constructive (construction d'aéroports), responsable — on se croirait dans la novlangue d'Orwell, où les mots disent leur contraire. Je ne parle pas ici des militants, où l'on trouve un tas de gens admirables ; mais au niveau des dirigeants, tout compte fait, les écolos sont au PS ce que le PS est à l'UMP : la même maladie, en moins grave.


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Consolations homéopathiques : le billet hebdomadaire de Hervé Kempf, alibi écologique du Monde, et celui quotidien de Daniel Schneidermann sur Internet, qui nous apprend à décrypter la presse, nous informe sur les vrais sujets importants que les médias traditionnels évitent et sur les causes cachées de ces évitements.

Il suffit d'un clic pour tomber dessus. On lit Kempf et Schneidermann, on savoure leur ironie cinglante et l'on se dit : imparable ! Les puissants de ce monde ne se relèveront pas ! Il suffit qu'une masse de gens les lisent pour que ces gens ouvrent les yeux !

Grand naïf. Les puissants de ce monde ne se relèvent pas, ils n'ont même pas vacillé, même pas cillé. Et la grosse masse des citoyens continue sa marche d'aveugle, baisant la main de ceux qui la baisent.


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Au programme de décembre, retour de Sarraute, arrivée de Beinstingel, Wiéner et Monénembo ; Giono toujours là ; tiens, Dickinson ! En prime, films de Demy et Ozon, musiques de Barber et Vaughan Williams.


Pas mal, pour un pays si cul-serré...
Fantasy Fest, Key West (Floride)








SITATIONS

Savez-vous de qui sont ces phrases ?

(réponse sur le numéro de la citation...)


1


Les personnes ridicules, c'est les personnes qui se regardent toujours et ne se voient jamais.



2


Sans le mensonge, la vérité périrait de désespoir et d'ennui.



3


Il est doux de croire, même à l'enfer.








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