BRÈVES

N°106 Juillet 2012


BRÈVES


Il y a des mois comme ça. Tout vous tombe dessus en même temps, surtout dans les derniers jours, ceux où l'on devrait travailler sur le site. Le traducteur doit honorer plusieurs commandes en même temps, certaines lourdes et urgentes. Il n'ose pas les refuser : celles qui seront payées, parce qu'il faut bien vivre ; celles qu'il fera gratos, car traduire est en ce moment le seul moyen pour lui d'aider la Grèce.

Moins de temps pour lire, et pour écrire sur ce qu'on a lu ou vu ou entendu : les Brèves de ce mois-ci seront plus brèves.


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«On cherchait un auteur, et on trouve un homme.»

Cette phrase était il y a cinquante ans, dans mes années de lycée, le type même du cliché ridicule, de la conclusion bateau à éviter absolument dans nos dissertations. La personnalité de l'écrivain, sa vie, comptaient pour rien à côté de son Œuvre, et nous fîmes alors de beaux efforts pour ne pas voir qu'en fait les choses sont un peu plus compliquées.

Si cette phrase me revient soudain, c'est à cause de Claude Mauriac (1914-1996). L'un de ces auteurs un peu connus, sans plus, qui glissent doucement vers l'oubli et qu'on se promet de lire sans jamais passer à l'acte. Si, tout de même, j'ai lu de lui voilà dix ans un recueil de chroniques parues dans les années 80, à L'âge d'homme, sous le titre Qui peut le dire ? Foutue mémoire. Je n'ai d'autre souvenir qu'une impression d'ensemble, vague mais très favorable : Claude, grâce à son célèbre père, a côtoyé une foule de gens plus ou moins célèbres qu'il décrit de façon vivante ; il a de saines lectures dont il parle bien ; son écriture est classique sans raideur ; enfin, c'est un homme remarquable, exigeant avec lui-même, généreux, aimant, épris de justice. Ce Qui peut le dire ? oublié mériterait que j'y retourne, d'autant que ses textes brefs se rapprochent assez de ce que j'essaie d'écrire moi-même.

Pour l'instant je m'attaque au grand œuvre de Mauriac junior, le Temps immobile, savant montage d'extraits du gigantesque journal qu'il rédigea toute sa vie durant. Non pas l'intégrale en dix volumes, qui m'intimide, mais un choix paru chez Grasset en un seul tome, que nous devons, ainsi que la longue préface, à l'excellent José Cabanis — encore un qu'il ne faut pas oublier.

Pas de vraie surprise dans ce Temps immobile express. Souvenirs et portraits (Aragon, Gide, Malraux, de Gaulle surtout, dont il fut le secrétaire en 45 !) s'y succèdent pour la délectation de l'amateur d'histoire et d'histoires. On saute sans cesse d'une époque à l'autre et elles ont un air de famille, d'où l'impression d'un éternel retour, d'un grouillement immobile.

La page pour moi la plus émouvante : une rencontre amoureuse sur l'île Saint-Louis, par une belle nuit de septembre 42 — quelques jours après le mariage de mes parents. (Comment cette période affreuse peut-elle me faire à ce point rêver ?)

L'ombre du temps retrouvé de Proust, idole de l'auteur, plane évidemment sur toutes ces pages, les phrases du disciple tendent à s'allonger mimétiquement, d'une façon qui sent vaguement l'effort, et l'ensemble apparaît parfois un peu répétitif, un peu gris. Claude Mauriac n'est pas un génie, va-t-on le lui reprocher ? Son côté légèrement terne est à son honneur dans un sens : il résulte du refus des grands coups de gueule, Mauriac fils étant «l'homme de toutes les nuances et de toutes les compréhensions». Si l'auteur ne suscite pas totalement l'enthousiasme, on aura du moins rencontré l'homme, diablement attachant, avec son honnêteté, ses scrupules, ses doutes obsessionnels, sa modestie lucide et aussi, petit défaut attendrissant, la soif d'entendre les louanges que lui-même se refuse. Quant à sa relation avec son père, l'amour profond qu'ils se vouent illumine tout le livre.

C'étaient deux types bien. Je m'en sens personnellement proche, de Claude surtout, en qui je vois une sorte d'oncle qu'on voit peu, mais qu'on aime bien. La part de l'auteur, la part de l'homme ? Je ne sais pas, et peu importe.


Couverture de "La terrasse de Malagar", tome 4 du "Temps immobile".
Papa et fiston.

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Jean-Paul Goux, je l'ai lu jadis lui aussi. Dans La jeune fille en bleu (Champ Vallon), un prof plus tout jeune fantasmait sa rencontre prochaine avec une jeune étudiante, c'était du beau travail, subtil et séduisant, un peu léger sans doute, sans enjeux bouleversants, et alors ?

Goux a publié une quinzaine de livres, romans, récits, essais, dans un demi-silence respectueux, admiré de quelques connaisseurs, et je le retrouve avec son dernier-né, Le séjour à Chenecé (Actes Sud), d'une tout autre envergure. Une grande maison de famille, ancien monastère perdu dans la campagne, a pour gardien celui qui passe pour l'idiot de la famille, un genre d'homme invisible qui passe là tout son temps dans la solitude. Il ne se passe presque rien (l'action démarre vraiment à la p. 32), l'homme trouve un petit boulot, une femme va croiser sa vie, il va surtout retrouver la trace d'un ancêtre, d'un frère inconnu plutôt qui a vécu là jadis dans le même effacement que lui. Et voilà que tout ne s'efface pas, ce qui advint revient — on retrouve le temps immobile.

Ce livre très court est en même temps très lent, plein de descriptions minutieuses qu'il ne faut sans doute pas chercher à visualiser : elles suggèrent la patience du personnage, l'intensité de son regard. Nous nous trouvons là dans un autre temps, étranger aux gens pressés que nous sommes, qui pourraient aisément passer à côté de ce beau récit contemplatif. Ce serait dommage. Le séjour à Chenecé, en même temps qu'une histoire envoûtante, est une expérience spirituelle.

Ce personnage qui veut être invisible, cette humilité profonde qui fait penser au grand Robert Walser, tout cela est aussi aux antipodes de nos valeurs courantes — et cela fait du bien. Dans la profondeur de l'imaginaire, dans la splendeur de l'écriture, splendeur malgré tout discrète, c'est aussi un peu Gracq, vénéré par Goux, qu'on retrouve :

«En fin de journée, avant de regagner mon chauffoir, j'allais souvent passer un moment à la pointe de l'île, assis sur le muret, au-dessus de la falaise, regardant moins les petits prés bien clos, bossués et chahutés comme d'antiques mosaïques qu'on vient d'exhumer, ou comme d'épais tapis qu'on a secoués dehors pour les grands nettoyages de saison, qu'éprouvant, dans le jour tombant, la présence de l'île derrière moi, le sentiment d'une formidable poussée qui d'un instant à l'autre va produire enfin du mouvement, dans cet instant suspendu où le mouvement n'est encore tout entier qu'en puissance : il m'a toujours semblé que Chenecé n'était pas un massif de roches profondément enfoncé et sorti de la terre, mais un vaisseau sur le point de coulisser par sa propre masse sur la pente légère des invisibles rails qui le portaient dans les profondeurs.»


Goux accepterait-il qu'on le rapproche du romantisme allemand ?
Caspar David Friedrich, Les ruines d'Eldena, 1825.

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Vais-je encore dire là une connerie ? Je crois qu'il est bon de rencontrer les écrivains qu'on lit ou traduit. Cela m'apporte quelque chose — le plus souvent. Jean-Paul Goux, lui, je l'ai croisé une fois dans un colloque et rien ne s'est passé : ce fut trop bref, dans des circonstances peu propices. Nathalie Sarraute, je l'ai interviewée deux fois, et là encore j'avoue que la rencontre n'a pas enrichi ma perception de l'œuvre. Mais on ne sait jamais.

Fin de mon pèlerinage sarrautien : Ouvrez, sur quoi l'œuvre se referme, fut publié en 1997, peu avant sa mort. (Je l'ai revue cette année-là je crois, l'esprit encore vif mais le corps tout recroquevillé — le visage aussi, méconnaissable.)

Pourquoi Ouvrez ? Le prologue nous l'explique : les protagonistes de ces quinze brèves histoires sont les mots. Une paroi se dresse entre ceux venus du dehors et ceux enfermés en nous qui ne peuvent pas les accueillir, et qui s'écrient : Ouvrez !

Pour moi, la porte ne s'est pas ouverte. J'avais pourtant lu le livre il y a douze ans ; ces mots qui deviennent des personnages, oui, bonne idée en soi, mais cette fois la mise en œuvre m'a semblé froide, artificielle, je n'ai même pas compris qui était où, ni qui faisait quoi, et ma lecture a tourné au naufrage.

Nous ne pouvons pas en rester là, bien sûr. Le mois prochain, je quitte Sarraute en relisant son théâtre.



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Muriel Cerf vient de mourir, je ne ferai jamais sa connaissance. Elle a vécu à Chèvres pendant un temps, sur le coteau d'en face je crois, et j'étais curieux de voir à quoi elle ressemblait. Nous avions le même âge. Elle avait cassé la baraque à vingt-trois ans avec son premier livre, L'antivoyage, où elle racontait avec un punch ébouriffant sa découverte de l'Orient, période hippie, Katmandou et tout ça, «les déesses cradingues, les mômes de la route, les tendres voyageuses au jean blanc à l'endroit des fesses, des poux et des étoiles dans leurs cheveux rougis au henné, celles qui traversent le monde avec une cantine militaire et les yeux frappés d'illusion».

À trente ans, grave accident, le corps en morceaux. Elle ne cesse d'écrire et meurt à soixante ans après trente livres, sans avoir jamais retrouvé le succès. Le moins que je puisse faire, c'est de retourner la lire.

À vingt-cinq ans je n'étais même pas né, alors qu'au même âge elle publiait son troisième roman. Les rois et les voleurs (Mercure de France) raconte son adolescence à peine transposée. J'y retrouve la tête brûlée de L'antivoyage : la passion, la soif de vivre, l'émerveillement et la révolte, l'écriture flamboyante qui saisit le réel et en même temps le transfigure. L'histoire assez banale d'une petite jeune fille parisienne, sous sa plume, se change en épopée orientale — sordide et merveilleuse —, tourbillonnante, avec ses phrases à rallonges, pleines à craquer d'images et pourtant haletantes, galopantes, «...moi aussi j'ai cinq, vingt et mille ans, je viens de naître et j'ai subi toutes les métamorphoses, je n'ai jamais vécu qu'au début et à la fin des mondes, dans un âge brutal et primitif ou dans la dégénérescence rocaille, je ne cueille que les bourgeons ou les fleurs fanées, je ne regarde le soleil qu'à l'aube ou au crépuscule, je ne connais que le burlesque, le tendre ou le tragique, les moments privilégiés où la vie n'est que ce qu'elle doit être : mouvement, mutation, germination, commencement, balbutiement, éclatement, décomposition et mort.»

Arrivent les premières règles, «de mon ventre dégringolaient tous les fleuves de la terre, l'eau du Gange prenait sa source aux racines de ma vie et coulait de ma blessure mystique, je sentais autour de moi les phosphorescences et l'éclat mouillé du zaïmph de Salammbô, autour de ma tête flottait un peu de l'éclat dissipé et bleuâtre volé à la couronne de la lune, reine de l'humide, mouvante, poisseuse et utérine caverne de la nuit», il faudrait recopier toute la page, elle est pourrie de dons Muriel Cerf, elle s'éclate en écrivant, elle s'écoute aussi et ne se contrôle pas, elle t'emmène au ciel et la page d'après ça tourne dans le vide. Elle est l'anti-Claude Mauriac : il freine, elle accélère, voiture sans freins qui plus d'une fois s'envoie dans le décor, mais on te pardonne tout, Muriel, pour tes meilleurs moments, ces éclairs de nirvana que si généreusement tu nous offres.


«...moi crachat, postillon de la salive de Dieu, je planais avec les nuages noirs, (...) je me saoulais de tempête comme de vin ou de sanglots, j'étais plantée comme un clou magique au centre du monde où se forment les typhons et tout ce qui viole, perce, éclate et pulvérise...»
Muriel Cerf, pirate.

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Et voici une autre femme, non plus auteure, mais protagoniste, tirée des grands fonds de ma bibliothèque grâce au tirage au sort mensuel. Ma sœur, mon épouse, d'un certain H.F. Peters, publié voilà cinquante ans et disponible en Tel Gallimard, raconte en détail, mais sans minutie excessive, la vie de la célèbre Lou Andreas-Salomé. Personnage extraordinaire, femme indépendante et rebelle, collectionneuse de grands hommes, imposant à la société tout entière son mode de vie libéré, scandaleux pour l'époque : «Devenir de plus en plus elle-même, c'était cela (...) sa tâche suprême». Elle connut de près (de très près parfois) MM. Nietzsche, Rilke, Freud et quelques autres. Pris par le temps, je n'en suis qu'au milieu du livre, avant Rilke et Freud ; les grands moments de ce début sont pour moi ceux où apparaît Nietzsche, philosophe solaire mais amoureux déçu, «pauvre, malade et à demi fou de solitude et de déception». (comment espérait-il bisouiller Lou, avec sa terrifiante moustache ?)

Elle n'a pas voulu de Nietzsche comme amant. Rilke sera-t-il plus heureux le mois prochain ?


Tous deux firent tintin.
Lou, Paul Rée, Nietzsche, 1883.

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J'ai rendez-vous tous les mois, pour ma part, avec une belle souvent rebelle : madame la Poésie. Difficile de la lire, et plus difficile encore de parler d'elle, qui est promesse et fuite en même temps, qui s'efforce de dire avec des mots ce que les mots ne peuvent pas dire.

Ce mois-ci, guidé par les conseils d'amis sûrs (comment découvrir autrement ce poète méconnu ?), j'aborde Neige exterminatrice, qui rassemble toute la poésie de Christian Bachelin. Trente-cinq ans de poésie, toute une vie en 200 pages, à l'excellente enseigne du Temps qu'il fait. En lisant les premiers poèmes, on se dit, il y en a trop ! Non qu'ils soient mauvais, au contraire : il faudrait en lire un tous les soirs ou tous les matins, le ruminer, le méditer, tellement c'est dense, plein à la fois d'évidence et d'énigme.

Valérie Rouzeau a écrit une préface, superbe naturellement, mais ce qu'elle décrit ne ressemble guère à ce que je lis. «Vers fantasques, baroques, syncopés» ? La surprise, l'entrechoc d'images hardies, oui, parfois, mais le plus souvent cette poésie m'emmène au rythme d'alexandrins à peine boiteux, nostalgiques, élégiaques, dans des paysages souvent gris, des faubourgs ou des campagnes tristes :


Saison dormante saison grise

Providence des revenants

Le dimanche mélancolise

Dans le bleu des chambres d'antan


Un rat soulève le plancher

La mort allume sa lanterne

Ai-je vécu Ai-je rêvé

Le vin coule dans les tavernes


Une femme tord sa lessive

Un chien s'égare sous la pluie

Ce sont des choses qui arrivent

Mais qui n'arrivent qu'à demi


Chemins vagues porches d'églises

Rumeur lointaine d'océan

Ci-gît sans linceul ni chemise

Un roi enfant des quatre vents


Tout semble manquer d'existence et pourtant le monde autour du poète existe, il a même une présence rare, grâce aux images à la fois simples et neuves, à la justesse de la musique des mots :


Dans la cour le charbon qui croule d'un hangar

Profondément s'étoile au noir des antipodes.


Si l'on se concentre, si l'on écoute bien, ne suffit-il pas de deux vers comme ceux-là, si humbles apparemment, pour éclairer la nuit ?

Je me souviens qu'à vingt ans, j'ai recopié des dizaines de poèmes pour les apprendre par cœur. Je les ai oubliés, mais si je recommençais aujourd'hui, j'inclurais le poème ci-dessus, mystérieux et beau comme un talisman.

Resté au milieu du livre pour y revenir le mois prochain.


«Quand je ne serai plus cendre parmi la cendre, Qu'un lambeau de fumée tournant sur le faubourg...»
«Avant de souffler la chandelle
De mon peu de réalité...»

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Le présent site oriente mes lectures : un auteur suivi de mois en mois, et pour le reste, variété, nouveaux noms toujours, de l'ancien, du nouveau, de la poésie. Côté films, même topo. Du cinéma français et de l'étranger ; du vieux et du récent ; des grands noms et d'autres méconnus. Contrainte bénéfique.

Ce mois-ci, poursuite du mini-hommage à Julien Duvivier, que les sarcasmes de Truffaut et consorts, dans les années 60, ont durablement ringardisé.

Panique est une adaptation d'un grand Simenon, Les fiançailles de M. Hire. Il faudrait voir en même temps le Monsieur Hire de Patrice Leconte, très différent mais non moins saisissant, dans mes souvenirs du moins. Étrange film que Panique, tourné après guerre, en 1946, mais qui a des allures de fantôme émergeant des années 30 : on pense par exemple à Le jour se lève, de Carné-Prévert, pour l'esthétique stylisée (tournage en studio) et la noirceur du propos. Michel Simon est génial, jouant sur son ambiguïté naturelle, humain et monstrueux, inspirant sympathie et répulsion à la fois.

Sous le ciel de Paris, lui, a une particularité rare : il n'y a là aucun acteur que je connaisse, d'où l'impression que ce n'est pas un film, mais la réalité. La star, c'est le Paris de 1951 où tout se déroule, que nous parcourons en tous sens à toute allure (moi qui l'ai connu, je m'étonne de le trouver si vieillot), mais c'est aussi le scénario virtuose de Duvivier lui-même, qui entrelace les destinées d 'une demi-douzaine de personnages principaux dans l'un des films les plus unanimistes jamais tournés. L'envahissant commentaire écrit par Henri Jeanson a mal vieilli, hélas, mais le reste est grouillant de vie, pétant de jeunesse.


...alors qu'il est immense !
Michel Simon en tout petit sur l'image...

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Parmi les nouveautés, Carole et moi ratons deux ou trois deux films passionnants par semaine, mais pas question de laisser passer Le grand soir de Bertrand Delépine et Gustave Kervern, quand on a aimé Louise Michel et Mammuth ! Fidélité récompensée : on n'est pas déçu. Pas dépaysé non plus. Une fois de plus on est chez les petits, les exploités, les perdants. Deux frères, l'un punk hors du système, l'autre vendeur en plein dedans au point que ça le rend fou ; une action située dans un centre commercial, haut-lieu (bas-lieu plutôt) de notre civilisation : la critique sociale frappe juste et fort. Les aventures des deux paumés, incarnés de façon épatante par Benoît Poelvoorde et Albert Dupontel, allient le foutraque au déjanté, le comique au désespoir, et le Grand Soir, on nous le confirme à la fin, ce n'est pas demain la veille.


Planche à punk.
Détournement de caddy.

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Notre dernier film de ce mois, le plus beau sans doute, inédit en France autant que je sache, n'existe qu'en DVD version anglaise (avec les sous-titres pour sourds on y arrive). Distant voices, still lives, premier film de Terence Davies, tourné en 1988, très autobiographique, nous fait connaître une famille ouvrière catholique à Liverpool dans les forties et les fifties : trois enfants, une sainte femme de mère, un père brutal, les amis, les amies. Scènes brèves, isolées, on peine à comprendre, on est fasciné. Tout dans ce film, narration, cadrages, couleurs (camaïeux de beiges et de bruns), montage, tout est profondément original, et en même temps simple, direct, humain, avec un lyrisme puissant qui ne vient pas seulement de ce que les personnages ne cessent, de chanter des airs populaires de ce temps-là, comme on faisait alors, mais de l'intensité incroyable des images.

Davies, c'est ce type dont on a vu à Paris l'an dernier Of time and the city, qui réussit à sublimer un docu sur Liverpool en chant somptueux, genre opéra ou chant d'église. Un grand bonhomme. Dans ma réserve, deux autres DVDavies, on en reparle le mois prochain.


Au centre, sur la photo, le vrai père de Davis.
«Britain's forgotten cinematic masterpiece» The Guardian.

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À la toute fin du film, une mélodie traditionnelle, «Waly, waly», harmonisée de façon magique par Britten, avec des accords d'une discrétion infinie, mais renversants quand on écoute bien. Sacré Britten que je n'en finis pas de découvrir. Entendu quelques jours plus tôt un CD consacré à ses œuvres pour violoncelle, avec Rostropovitch accompagné par le compositeur. Si les deux Suites pour l'instrument seul, plus austères, me demandent plusieurs écoutes (à l'exception d'un mouvement tourbillonnant qui du premier coup laisse pantois), la sonate avec piano m'emballe d'entrée — le premier mouvement surtout, dialogue tendu, crépitant, où les deux instruments (les deux personnages) tantôt se défient des yeux, tantôt se tournent le dos. L'œuvre entière est un jaillissement d'idées, un bonheur perpétuels.


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Voilà comme on essaie d'oublier un peu, entre autres, la Grèce qui va si mal et les débuts pas toujours rassurants de notre «président normal». Oublions les exploits de l'encombrante Mme Twitterweiler sa compagne : l'important, le désolant, c'est un ministre de l'Intérieur qui chausse d'entrée les bottes du sinistre Guéant ; c'est une ministre de l'Environnement trop efficace qu'on vire sur un claquement de doigts des seigneurs du pétrole.

Les nouveaux maîtres nous donneront bien peu, à moins qu'on les pousse, qu'on les emmerde sans arrêt jusqu'à la gauche. On s'en doutait ; on n'attendait pas la confirmation si tôt.


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Au programme en août ? Côté livres, Peters encore, Bachelin toujours, Sarraute (suite et fin), mais aussi Modiano, Deville (Patrick), Baker (Nicholson) et Forte (Dieter). Côté films, Duvivier (suite), Davies (suite), Podalydès et d'autres j'espère.


Animains
Mario Mariotti, Animains (Dessain et Tolra)








SITATIONS

Savez-vous de qui sont ces phrases ?

(réponse sur le numéro de la citation...)


1


C'est agréable de s'ennuyer, encore faut-il savoir s'y prendre, sinon facilement on s'emmerde..



2


Le simple fait de se plaindre peut donner à la vie un attrait qui la rend supportable.



3


Ce n'est point par égotisme que je dis je, c'est qu'il n'y a pas d'autre moyen de raconter vite.








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