PAGES D'ÉCRITURE

N°95 Août 2011



Sacrément vivant, Céline, cinquante ans après sa mort ! On lui a refusé l'hommage officiel, mais quel tapis rouge dans les gazettes ! Suivons la foule. Après avoir relu D'un château l'autre le mois dernier, j'ose enfin m'attaquer aux trois pamphlets, jamais réédités depuis la guerre, hérités de mes parents. Ce vieux papier vaut de l'or chez les bouquinistes.

Bagatelles pour un massacre, le premier des trois, parut en 1937. On a beau être prévenu, le choc est violent. Le discours antisémite, omniprésent, infect, vous souille comme une giclée de boue merdeuse. Quiconque n'a pas vécu ces années de folie a une impression de délire total. De parano galopante. Tout ce qui va mal, c'est la faute aux Juifs. Les Juifs ont tous les défauts. «Racistes, sournois, bornés, frénétiques, maléfiques» — autoportrait involontaire... «Ils ont dû drôlement les chercher les persécutions ! foutre bite !» Eux non, mais l'imprécateur lui-même ne les a pas volés, ses petits ennuis d'après-guerre.

Malade ? Ou simplement très con ? La cervelle étouffée par un système nerveux en surchauffe ?

En tous cas, c'est efficace. Céline a gardé une smala d'admirateurs éperdus qui le défendent jusqu'à l'absurde. Faites pas attention, il en rajoute un peu, d'accord, il est un peu braque mais brave au fond, il aimait les bêtes, et puis quel écrivain ! Quel style ! Ah, le style... On comprend que celui de Céline frappe les âmes sensibles : ça vocifère, ça tonitrue, ça vous secoue méchamment. Dès la première page, où il se paie la fiole des confrères, notre styliste se déchaîne. Un écrivain raffiné «doit écrire au moins comme M. Gide, M. Vanderem, M. Benda, M. Duhamel, Mme Colette, Mme Fémina, Mme Valéry, les ''Théâtres Français''... pâmer sur la nuance... Mallarmé, Bergson, Alain... troufignoliser l'adjectif... goncourtiser... merde ! enculagailler la moumouche, frénétiser l'Insignifiance, babiller ténu dans la pompe, plastroniser, cocoriquer dans les micros...»

C'est brillant, c'est verveux, aucun doute, mais moi je n'en peux déjà plus. Je sens le bonhomme qui fait le malin, qui s'écoute et s'enivre de son bagou, la machine qui s'emballe et tourne toute seule et c'est parti pour 400 pages de ressassement des obsessions — sans moi, qui me suis taillé à la page 100, épuisé, nauséeux.

Pourtant, j'ai beau faire, le personnage me fascine, comme tous les monstres. On ne gagne rien à ingurgiter ses pamphlets, mais voir le bonhomme est une expérience intense que je recommande. Car c'est possible ! On trouve sur Daily Tube un Lectures pour tous de 1957 où l'ermite du bas-Meudon est interrogé sur D'un château l'autre. La grande gueule a une voix fluette, l'œil luisant et sournois, un air de bête sauvage traquée, battue, apeurée, qui aimerait mordre mais n'ose plus.


Une bagatelle, un an après celles de Céline.
Nuit de Cristal, 9-10 novembre 1938.

*


Et voilà que le tirage au sort mensuel me donne à lire... une autre histoire de collabos racistes ! Cela s'appelle Dialogue de «vaincus» (Berg International). Lucien Rebatet et son pote Pierre-Antoine Cousteau, journalistes à Je suis partout, fers de lance du fascisme français avec Brasillach, appelant au meurtre des Juifs, furent condamnés à mort en 45, puis graciés, gardés au frais pendant six ans, c'était bien le moins. Ils passèrent leur dernière année de gnouf à mettre par écrit leurs conversations.

Tu comptes vraiment aller au bout ? me demande Carole le soir au lit. Pourquoi tu perds ton temps avec ces crapules ?

Parce qu'il est bon de connaître l'ennemi. Parce que le Mal, surtout à l'état quasiment pur, est une énigme sidérante et sans fin. Parce que les deux ordures, on ne peut plus odieuses par ailleurs, ne manquent pas de talent et que ce qu'ils écrivent là est joliment torché, vivant, un vrai dialogue. À cela s'ajoute une édition irréprochable, l'historien Robert Belot présentant et annotant le texte avec précision et rigueur.

La politique et l'histoire occupent le devant de la scène, on s'en serait douté. On revient sur le passé, on analyse, on juge, on admire (parfois) et on fustige (le plus souvent, et violemment). Hitler, surnommé Dudule, était plutôt sympa mais s'est planté pour n'avoir pas appliqué le programme de Mein Kampf. Staline, alors là chapeau, un vrai dur. On parle aussi de religion (on est anticlérical à fond), de sexe (points de vue plutôt sensés dans ce domaine), de littérature : on vénère Stendhal et Flaubert (nobody's totally imperfect), tout en exécrant no seulement Sartre, mais Montaigne ! Corneille ! Chateaubriand !

On ne regrette pas ce qu'on a fait. «Il n'y a pas la moindre ombre sur ma conscience», dit Rebatet. On réaffirme son credo facho. «La démocratie est un fléau répugnant.» L'apostolat est «l'activité la plus imbécile de l'homme.» L'égalitarisme et la solidarité, c'est bon pour les sous-hommes. On chante l'ordre, la hiérarchie, la discipline, tout en s'affirmant «beaucoup plus anarchistes que les anarchistes homologués». Comme quoi la contradiction est un privilège des êtres supérieurs — car on appartient à une aristocratie de l'esprit, odieusement persécutée par des nabots envieux. Bref, on roule des mécaniques — alors qu'au procès, en 45, ce pleutre de Rebatet s'est méchamment dégonflé.

Ledit pleutre, à peine sorti de prison, en 1952, publia un roman, Les deux étendards, d'où ses opinions politiques sont absentes, paraît-il, et qu'on dit non seulement irréprochable moralement, mais superbe. Allez comprendre...


Rebatet avait une gueule... ...de bouledogue prêt à mordre.
Quel rapport ?

*


Un autre vaincu, plus ancien, plus fréquentable : Jean-François Paul de Gondi, cardinal de Retz, personnage étonnant, éclatant, plus attiré par les femmes et les duels que par la religion, conspirateur compulsif, qui «aima surtout le bruit, l'éclat, l'intrigue». Pour lire ses fameux Mémoires, toujours disponibles, mieux vaut avoir potassé d'abord l'histoire embrouillée de la Fronde, dont il fut l'un des acteurs principaux — à moins qu'on ne s'y plonge sans comprendre pour mieux s'imprégner de la confusion, du bruit et de la fureur qui régnaient alors. Dans certaines pages le lecteur d'aujourd'hui est à la peine ; il appréciera, en revanche, le côté Machiavel, la leçon de manipulation des foules, genre La com' politique à l'usage des nuls, les étincelants portraits, tout crépitants de formules, et la langue admirable de l'époque, lourdement charpentée mais ample et souple, qu'il manie en maître. Nous avons l'air de rustres à côté de ces gens-là.

«Ce mélange d'écharpes bleues, de dames, de cuirasses, de violons, qui étaient dans la salle, de trompettes, qui étaient dans la place, donnait un spectacle qui se voit plus souvent dans les romans qu'ailleurs. Noirmoutier, qui était grand amateur de l'Astrée, me dit : ''Je m'imagine que nous sommes assiégés dans Marcilli. ''» Allusion à L'Astrée d'Honoré d'Urfé, grand roman de l'époque. Un petit salut au passage à ce bon M. de Kisch, notre excellent prof de lettres qui nous fit découvrir Retz et l'Astrée la même année, voilà bientôt un demi-siècle.


*


Maurice Nadeau a écrit ses mémoires à lui, Grâces leur soient rendues, à l'âge de quatre-vingts ans. C'est le maître-livre d'un homme exceptionnel, critique d'une rare lucidité, éditeur audacieux, infatigable découvreur de talents, qui raconte son parcours et les dizaines de personnages marquants qu'il a côtoyés avec une modestie et un humour délicieux. Un de ces livres qui vous remplissent d'énergie en aiguisant l'envie de lire et d'écrire.

Vingt ans plus tard Nadeau est toujours là, fringant, à la tête de ses éditions et de sa revue la Quinzaine littéraire. Pour fêter son centenaire, Albin Michel réédite Grâces leur soient rendues, tandis que Verdier publie un livre d'entretiens, Le chemin de la vie, préparé par Laure Adler. Les deux ouvrages se recoupent en partie, et s'il faut choisir c'est le premier qui l'emporte, plus complet, plus écrit, Le chemin de la vie fournissant un complément utile sur certains points, précisant le portrait du grand homme, avec en prime le charme de l'oralité, que l'écrit rend ici fidèlement.


Nadeau et Anne Sarraute à déjeuner chez nous.
Maurice Nadeau, 2006.

*


Je n'oublierai jamais que c'est Nadeau qui vers 1970, dans son livre Le roman français depuis la guerre — jamais actualisé, épuisé depuis longtemps —, m'a donné envie de lire André Dhôtel. Depuis, je ne cesse d'arpenter le Dhôtelland à raison d'un livre par an, et l'enchantement du début ne semble pas près de se dissiper.

Au programme cet été, un recueil de nouvelles peu connu, comme tout ce que Dhôtel a publié au soir de sa vie. Un soir... (Gallimard) date de 1977 et vérifie la règle que toutes ces lectures m'ont permis de formuler :

En lisant Dhôtel, le familier de l'œuvre

1) n'est jamais dépaysé ;

2) est toujours surpris.

Ce qui rapproche ces nouvelles tardives, c'est l'ahurissante étrangeté de chaque histoire, d'autant plus frappante que tout se passe, comme toujours chez Dhôtel, dans des lieux très ordinaires entre des personnes apparemment sans éclat. Rien d'extraordinaire dans un sens : une lumière sur un visage, par exemple, qui va bouleverser toute une vie. Ou un homme et une femme attirés l'un par l'autre et qui font tout pour se fuir, sans se demander pourquoi, jusqu'à ce que... Il y a toujours du bizarre chez Dhôtel — les coïncidences par exemple, les retrouvailles miraculeuses —, mais là c'est le bouquet. Tout est possible, tout est imprévisible, chaque dénouement nous prend au dépourvu, et l'on se dit que cette invraisemblance joue discrètement un rôle essentiel, qu'elle transfigure l'humble réalité, lui donnant beauté et mystère.

Dès les premières pages, la magie :

«Or la jeune fille que Vincent Meuriaux entr'aperçut ce soir-là lui apparut aussi lointaine que s'il l'avait vue loin sur un pont, ou au-delà d'une vitrine, quoi qu'elle l'eût presque frôlé.»

«Ç'avait été une vision familière et cependant prodigieuse, tellement vraie qu'elle s'était affirmée aussi bien distincte de toute réalité que d'une quelconque fantaisie de l'imagination.»

Autre merveille : que cet homme, à près de quatre-vingts ans, continue d'être obsédé, comme toute sa vie durant, avec la même foi juvénile et fraîche, par des visages de femmes, par leurs apparitions fugitives qui vont illuminer une vie, par ce qu'on n'ose appeler ici l'amour fou — mais on devrait.

Après chaque nouvelle, éprouvé le besoin de faire une pause, pour la laisser résonner en moi.

Jamais entendu parler de ce très grand livre ! Il est vrai qu'Un soir..., c'est des nouvelles, et dans mon pays on n'aime pas ça.


Tel que je l'ai connu, dans les années 70.
André Dhôtel.

*


Pas encore lu tout Dhôtel, il me faudra encore une vingtaine d'années, mais je crois bien n'avoir manqué aucun livre de Georges-Olivier Châteaureynaud, le grand spécialiste français du fantastique, qui fait de nouveau honneur à sa réputation avec Résidence dernière (Editions des Busclats).

Cent pages en tout, trois nouvelles, un thème commun : les séjours d'écrivains en résidence, et par delà les différences une manière commune de faire monter la pression, depuis l'étrangeté diffuse du début jusqu'à l'horreur finale — la dernière histoire étant la plus noire, comme il se doit. S'y confirment un pessimisme et une misanthropie déjà sensibles antérieurement. Nos écrivains actuels sont-ils de pitoyables pantins, comme ceux qui défilent dans ces pages ? On frémit en se rappelant que l'auteur, de par ses activités annexes, est amené à fréquenter de nombreux confrères...

Le genre fantastique est l'un des plus casse-gueule : les conventions du genre tournent vite à l'artifice ; elles semblent tout à fait naturelles ici, maniées par un virtuose au métier solide et à l'imagination étincelante. Ses histoires, évidemment irréelles, n'en sont pas moins profondément vraies, distillant la plus pure des angoisses face à la mort et la vanité de tout.

Châteaureynaud a également publié cette année un récit autobiographique, La vie nous regarde passer (Grasset), dont on reparlera le mois prochain.


Tiré de "Érotique du cimetière", d'André Chabot (Edts Henri Veyrier)
Au cimetière d'Eparvay.

*


Dans son premier roman, Opus incertum (Calmann-Lévy), qui méritait qu'on en parle davantage, Alain Gnaedig nous introduisait dans le monde musical parisien d'il y a cent ans. Cette fois, changement d'éditeur (L'arbre vengeur), de lieu et de genre. L'homme armé est un hommage syncrétique à plusieurs traditions anciennes (roman gothique anglais, roman d'aventures à la Stevenson, roman-feuilleton à la Fantômas). Entre Edimbourg, Londres et Paris, un détective écossais affronte un être malfaisant à souhait, insaisissable comme il se doit, aux identités jouissivement multiples dans une action qui galope de rebondissement en coup de théâtre. On dévore la chose d'un trait, mais ce qui fait aussi le prix de cet Homme armé, c'est que l'humour de Gnaedig, plutôt British, distancié, langue-dans-la-joue comme on dit là-bas, frôle le second degré sans le toucher, laissant s'épanouir à son côté une discrète poésie.

Alain Gnaedig est par ailleurs l'un de nos meilleurs traducteurs actuels.


*


Voyages encore. Les sentiers de l'utopie quittent l'Angleterre (cf. les Brèves du mois dernier) pour l'Espagne. Isabelle Fremeaux et John Jordan, à la recherche de lieux où l'on expérimente de nouvelles formes de vie, vont passer trois jours à Merida, dans une école anarchiste nommée Paideia. Une soixantaine d'enfants âgés de deux à seize ans y étudient selon des principes étonnants : non pas la liberté absolue genre Summerhill, mais une gestion collective à la fois souple et codifiée où enfants et adultes sont à égalité. La description détaillée des activités (assemblées générales, «ateliers» remplaçant les cours) laisse parfois perplexe, mais les résultats sont là : réintégrant l'enseignement traditionnel, ces anars en herbe ont d'excellents résultats...

Deuxième étape espagnole, Marinelda, pette ville de la campagne andalouse, où une population de paysans pauvres est parvenue à s'emparer de la mairie, à exproprier le grand propriétaire local et à mettre ses terres en valeur. Administrée sous le régime de la démocratie directe, la commune a mis fin au chômage et à l'émigration, atteignant même une certaine prospérité économique — le résultat étant, parmi les habitants, une certaine tendance à l'apathie et au consumérisme...

Les auteurs s'en désolent. On pourrait leur opposer l'essai d'Andrew X, Give up activism, dont ils nous donnent eux-mêmes cet extrait :

«Non seulement le militantisme reproduit la division du travail propre au capitalisme mais il encourage les hiérarchies, fétichise l'action, le sacrifice de soi et isole le «militant» des «gens normaux».

Discutable, assurément. Comme nombre d'autres réflexions et remises en question radicales dont ce livre est bourré — mais sur le mode de l'interrogation, sans rien imposer. Ce qui n'est pas une mauvaise façon de convaincre.

Nous reviendrons le mois prochain à cet accélérateur de méninges.


Bien vu, au fond.
Calvin anar !

*


Autre feuilleton dans ces Brèves, la série consacrée aux jeunes poètes français. Ce mois-ci, Cédric Demangeot, né en 1974.


Corps : dédit. D'où dos à l'ubac d'un

plomb parle. Aucun, rien. Parce que rien

ne raura jamais rien de ce que

retira le refrain. Mais — dessous,

en-dessous de l'épine : à contre ça.


Que dire ? Je suis paumé. Mallarmé me paraît soudain limpide. Je comprends l'entreprise : il s'agit de brouiller la ponctuation, la syntaxe, le sens. Encore faudrait-il que quelques lueurs nous éclairent çà et là, or ces cinq vers dressent devant moi une muraille opaque.

Il serait facile de railler cet hermétisme. Je n'en ai pas la moindre envie. D'abord, si Demangeot remporte le Nobel dans trente ans, j'aurai l'air de quoi ? Je n'ai lu jusqu'ici qu'un seul recueil de lui, ce & ferrailleurs des éditions Grèges. Et mes facultés intellectuelles m'inspirent une confiance limitée. Mettons que c'est ma faute. Je viens d'ailleurs de lire, sur l'irremplaçable site Poezibao, une lecture détaillée de ce recueil due à un certain Julien Martin, d'une merveilleuse finesse, nettement moins obscure, qui me met les lunettes, comme disent les Grecs.

Reste une double question. Cette poésie peut-être admirable, à combien de privilégiés s'adresse-t-elle ? Nos petits-enfants la boiront-ils comme du petit lait ?

(Hésité à mettre cette note en ligne. Si je m'y résous, c'est avec la conviction que mes critiques négatives, excitant la curiosité du lecteur, sont le meilleur moyen de l'amener à lire...)


*


Un jour, peut-être, lisant un autre recueil de Demangeot — ou le même, pourquoi pas ? — je verrai le ciel noir se fendre et la lumière m'inonder. Après tout, c'est ce qui vient de m'arriver en musique.

La première fois que j'ai entendu des œuvres d'Olivier Greif, elles ne m'ont rien dit. Sachant qu'elles sont admirées par son confrère Philippe Hersant, que j'admire moi-même profondément (cf. ZIZIQUE, «En écoutant Hersant»), j'ai fait une nouvelle tentative. Et je me demande ce que j'ai entendu de Greif naguère pour ne pas être secoué, conquis.

Olivier Greif, enfant prodige et pianiste prodigieux, est mort en 2000 à 50 ans après avoir écrit des centaines d'œuvres. Il avait longtemps cessé de composer, puis s'y était remis, totalement possédé, disant : «Si je cesse de composer je meurs».

Sa musique ose tout avec une audace tranquille : les dissonances les plus terribles et la tonalité, les orages sonores et les plages de méditation, la vitesse et l'extrême lenteur. Souvent sombre et funèbre, elle nous stimule malgré tout par son lyrisme et son invention perpétuelle. Rappelant parfois Messiaen, ou Chostakovitch, c'est en même temps l'une des plus neuves qui soient, et si l'on peut trouver parfois qu'un effet est un peu appuyé, l'instant d'après nous étonne et nous séduit. Foisonnante, incandescente, cette musique brasse les matériaux les plus divers, comme son Requiem pour chœur a cappella qui associe au texte canonique des comptines et berceuses anglaises, superposant rythmes et climats dans un mélange permanent d'ombre et de lumière.


*


Les grands cinéastes sont aussi de grands musiciens, soit directement, par le choix et l'utilisation de la musique, soit indirectement, par la structure d'ensemble et le rythme du montage. De ce double point de vue, Je t'aime, je t'aime d'Alain Resnais est exemplaire La musique de Penderecki, compositeur pourtant un peu lourd, y est employée de façon discrète mais géniale, tandis que le film est construit sur le retour et la variation de quelques scènes.

C'est une histoire de voyage dans le temps. Elle m'emmène dans le passé, moi aussi, jusqu'en mai 68 où je l'ai vue pour la première fois, dans une salle du Quartier Latin presque vide, perturbé par les événements au point qu'ils ont effacé le film aussitôt.

Des scientifiques envoient un homme dans le passé, il n'en reviendra pas, retrouvant la femme qu'il aimait et qui est morte, la perdant à nouveau ainsi que sa propre vie. Après un début plutôt sage, dès que le cobaye plonge dans son passé le film vous accroche tandis qu'alternent, dans un désordre virtuose, scènes revécues, séquences oniriques et retours avortés au présent. Les passages du présent au passé, surtout, ont quelque chose de magique, mais il émane de tout le film une étrangeté plus ou moins sensible, avec des poussées d'humour, qui n'aurait pas déplu aux surréalistes. Claude Rich est parfait de bout en bout. Et le lendemain, cette fois, le film poursuit son travail dans ma mémoire.


La souris elle aussi voyage dans le temps.
Claude Rich, Olga Georges-Picot.

*


Matinee (Panic sur Florida Beach en v.f.), je le découvre aujourd'hui. J'ignorais jusqu'au nom du réalisateur, Joe Dante. Je ne sais même pas si son film fut distribué ici à sa sortie, en 1989. Le voici en DVD.

C'est aussi un voyage dans le temps, qui associe habilement un portrait quasi documentaire de l'Amérique des années 60 et un hommage aux films d'horreur de série Z alors en vogue. Dans une petite ville de Floride, au moment de l'affaire des missiles de Cuba, les adultes attendent avec terreur l'invasion des Russes, tandis que leurs enfants, au cinéma local, jouent à se faire peur devant les terrifiantes aventures de Mant, l'homme-fourmi. L'époque est amoureusement reconstituée, le scénario dose parfaitement divertissement et réflexion, tendresse et dérision, émotion et drôlerie. Quant aux personnages, le metteur en scène ringard et flamboyant qui montre son film de ville en ville est d'une belle truculence et le couple de petits ados amoureux achève de nous faire craquer.

L'un des plus beaux films sur l'amour du cinéma.

Parmi nos derniers achats, d'autres DVD de Joe Dante.


Image du film dans le film.
Mant, l'homme-fourmi.

*


Autre petite merveille datant de la même époque : Tandem (1987), première grande réussite de Patrice Leconte, avant Monsieur Hire et Le mari de la coiffeuse. Le tandem, c'est un présentateur vieillissant (Jean Rochefort) et son assistant (Gérard Jugnot) qui promènent dans toute la France une émission de radio quotidienne en fin de vie. Film très noir et grinçant, parfois sordide, ce qui n'empêche pas la drôlerie, le petit grain de folie douce et même l'émotion pure. Portés par un scénario virtuose, les deux acteurs donnent le meilleur d'eux-mêmes ; en suivant ce Don Quichotte et son Sancho Pança on se sent par moments tout près du chef-d'œuvre. Pourquoi Leconte s'est-il maintenu si peu de temps à ces hauteurs ?


Ils s'aiment autant qu'ils se détestent.
Jean Rochefort, Gérard Jugnot.

*


Tandem est une rareté, jamais repris, introuvable en DVD. Je l'ai attendu vingt ans. Nous l'avons vu, Carole et moi, à la nuit tombée sous les arbres du parc de Saint-Cloud, à l'occasion du mini-festival annuel qui pendant trois jours propose des films anciens en plein air, gratos. Il y avait là, dans des chaises longues (prévoir une couverture, les nuits sont fraîches), une petite quarantaine de spectateurs.

Il y en aura mille fois plus, à la fin du mois d'août, dans une autre partie du parc, pour les concerts de Rock en Seine...


*


Offrons des vacances à nos indignations. Le coup du défilé, c'est dans l'ANDOUILLE DU MOIS ; la gestion calamiteuse de la crise grecque par nos bien-aimés dirigeants, leur aveuglement criminel concernant les dangers du nucléaire, et autres mochetés, oublions. Nos maîtres sont fatigués. Ils seront meilleurs l'an prochain, n'en doutons pas, et mes compatriotes un peu moins patriotes et moins cons.


*


Et notre menu de septembre, moins nul ? Il y aura Tolstoï, Sarraute, Simenon, Modiano, Thibaux, Dou, Blanchard, Bergeret, Malherbet, Resnais et les guitares des frères Ferret. Ça ira comme ça ?









SITATIONS

Savez-vous de qui sont ces phrases ?

(réponse sur le numéro de la citation...)


1


Sous le signe de la consommation foisonnante, ce qui sera cher et désirable, ce ne seront pas les voitures rapides et les montres-bracelets en or, les caisses de champagne et les parfums qu'on trouve à tous les coins de rue, mais des conditions élémentaires de vie comme la tranquillité, la bonne eau et de l'espace en suffisance.



2


Il ne manque cependant à l'oisiveté du sage qu'un meilleur nom, et que méditer, parler, lire et être tranquille s'appelât travailler.



3


Ces merveilleuses journées de la jeunesse où il ne se passe rien, et dont on conservera toujours la mémoire indicible. (...) C'est avec l'inutile, avec la légèreté, avec les travaux vains, faits par plaisir, qu'on édifie le mieux la vie.









L'HOROSCOPE

de Jean Kikine


VIERGE 22 août-23 septembre


Vierges, voyez le bonheur qui bientôt vous submerge !

Côté cœur : tout ira bien.

Côté travail : tout ira bien.

Côté santé : là, oh, pas grand-chose, le sommeil qui tarde un peu, et le soulagement des intestins idem.

Pour que tout s'arrange, ce qu'il vous faut, c'est Le Clézio ! Croyez-en Jean Kikine, qui pendant douze mois vous a conseillé des auteurs parmi les plus soporifiques et laxatifs : Saint-Exupéry, Claudel (Philippe), Dustan, Coelho, Schmitt, Asensio, Pancol, Musso, Lévy (Marc), Dantec, Houellebecq, ah ! la belle brochette.

Attention, Le Clézio s'impose dans les cas binets, pardon : les cacas bénins. Il est inégal, tous ses livres ne font pas l'affaire, et les plus idoines agissent en douceur. On n'a même pas, cette fois-ci, de phrases isolées à citer : c'est l'ensemble qui s'écoule avec une paisible et digne lenteur, sans remous, comme un grand fleuve africain au rythme de lointains tambours, et c'est beau et c'est un peu fade, on compte le nombre de pages qui restent, soyons patients, ça va agir, vous ne sentez pas déjà la torpeur bien tiède vous envahir ?


L'horoscope de Jean Kikine

*  *  *