PAGES D'ÉCRITURE
N°71 Août 2009
Rester tranquille tout l'été chez soi, où il y a tant à faire dans la maison et le jardin, cela n'empêche pas de voyager par les livres. Soit dans des pays fabuleusement lointains où l'on n'ira jamais, soit — et c'est là ce qui m'enchante le plus — dans des lieux proches, que l'on connaît peut-être, et que le regard d'un autre nous fait voir sous une autre lumière.
Bernard Ollivier a parcouru à pied la route de la Soie, d'Istanbul à la Chine, et l'a raconté en trois livres qui font, dit-on, un tabac. En août 2008, il s'est lancé plus modestement dans la descente de la Loire, mille kilomètres tout de même, en six semaines, à pied puis en canoë.
La voici tout entière, cette Loire que nous connaissons au mieux par morceaux : capricieuse, piégeuse, tantôt sainte-nitouche endormie, tantôt mégère en colère — une sauvage au cœur de contrées parmi les plus civilisées qui soient.
Tout au long de ces Aventures en Loire (Phébus), les péripéties d'une navigation difficile alternent avec des paysages lents d'une beauté magique. Une foule d'inconnus croisés de jour en jour, le plus souvent sympathiques (l'auteur ayant pris rendez-vous avec des amis d'amis), dessinent le portrait d'une France paisible, discrète, hospitalière, peuplée de vieux sages bricoleurs.
Sympa lui-même, l'auteur. Capable de décrire avec gentillesse, malgré l'ironie, ceux qui ne lui ressemblent pas. Comme ce couple de commerçants retraités :
«Toute leur vie, ils ont vendu, aujourd'hui, ils veulent consommer à pleines dents, jouir, enfin jouir. Leur bonheur d'y être parvenus est un spectacle que je déguste à petites cuillerées. Ils n'ont pas encore décidé de se lancer dans le vaste monde et se risquent dans ce loisir perpétuel que leur offre la retraite en y mettant d'abord un pied, pour voir, avec prudence.»
À soixante-dix ans, Bernard Ollivier entreprend là, pense-t-il, sa dernière équipée, pour se prouver qu'il a encore la force physique et morale — ce qui donne au livre un émouvant côté The old man and the river. Non moins attachante, la totale impréparation du vieil homme, digne d'un ado tête-en-l'air.
Notre homme anime par ailleurs une association, Seuil, qui réinsère des jeunes paumés par la pratique du voyage à pied. (Voir, sur tierslivre.net, ce qu'en écrit François Bon, qui apparaît dans le livre en hôte du voyageur.)
Ollivier écrivain n'est sans doute pas tout à fait Bouvier ou Lacarrière ou Fleming, mais ce journaliste, pro de l'écriture, s'en sort drôlement bien tout de même :
«Me voilà seul. Mille bruits montent de la Loire et de ses rives. Le flot chuchote en contournant chaque pierre, il chante en passant sur les graviers. Les peupliers des rives ne sont pas en reste et se prennent pour des harpes éoliennes, les millions de feuilles émettant d'infimes cliquetis au moindre souffle de vent.»
Bernard et Canard. |
Le roman de Belinda Cannone, Entre les bruits (L'Olivier), est lui aussi l'un de ces livres qui affinent notre perception du monde. Cette fois, plus besoin de bouger : c'est le monde qui vient à nous, sous forme de bruits. Le héros est doué — ou affligé ? — d'une oreille ultrasensible qui capte les sons les plus ténus. Vivant à l'écart d'un monde qui l'agresse, il rencontre une petite fille ayant le même don, qui fait d'eux des infirmes en même temps que des surdoués. Il devient pour elle un maître, un père, un ami. Tombe amoureux de la mère, qui compose une musique à base de sons naturels. Autres rencontres non moins improbables : une confrérie de marginaux, saugrenus, voire inquiétants.
Curieux personnages, à la fois charnels et fantomatiques, curieuse aventure à la fois fantastique et imprégnée de réalité contemporaine, car dans cette campagne isolée la rumeur du monde résonne comme sous une voûte, enchanteresse parfois, menaçante souvent. Curieux roman sans modèle connu, plein de surprises, de pages superbes (en particulier sur la musique), qui semble dériver rêveusement, proche du nocturne ou de la rhapsodie, mais où secrètement tout se tient, les thèmes (ordre et désordre, centre et périphérie) se développant mine de rien comme un mouvement de symphonie.
Écoutons la voix de Belinda Cannone :
«La musique se répand dans la maison, une nouvelle fois inattendue, inespérée, intimement troublante, et au fil des secondes une joie légère l'envahit, une reconnaissance infinie pour cette femme qui peut donner tant de plaisir à ses oreilles et pour cette fillette complice, ces deux-là qui l'entraînent entre les volutes du chant bengali où se tressent, comme des liserons, des moments si parfaits qu'il en a brusquement les larmes aux yeux.»
Je n'aurais jamais découvert cet OLNI sans la chronique de Jean-Claude Lebrun, l'une des oreilles les plus fines de la critique aujourd'hui.
Pas beaucoup entendu parler d'Entre les bruits dans nos gazettes. Même chose pour le roman de Bertrand de la Peine, Les hémisphères de Magdebourg. Il faut dire que l'auteur est un nouveau venu, la dernière trouvaille des Éditions de Minuit.
Non, ce n'est pas l'histoire d'une plantureuse allemande. Les hémisphères en question sont joints, on fait le vide dedans et après, pour les décoller, bonjour. Dans ce roman, de même, deux actions (une jeune femme part sur les traces de son père qui vient de mourir ; un trafiquant magouille à tout va) se rapprochent et finissent par n'en faire qu'une. Et le vide ? Il est partout. C'est la distance entre la fille et ce père qu'elle ne connaît guère — distance qui grandira encore quand elle le connaîtra mieux ; c'est cette fascination du Rien qui imprègne l'histoire, ces déserts qu'on traverse, la vanité de tout. Voilà un roman plein de vide, un très bon premier roman, insolite à tous les étages avec ses combines tordues, ses coups foireux, son exotisme truqué, sa langue élégamment déglinguée. On savoure, par exemple, le «goitre que festonne le souvenir d'une trachéotomie», ou des notations comme :
«Au-dessus d'Erzouroum, les émanations d'oxyde de carbone forment une couche épaisse, d'un gris goudronneux. Crevant par endroits la nappe toxique, des minarets-bout-filtre fument pour Allah.»
Le problème, évidemment, c'est que tout cela nous rappelle un peu Chevillard, un peu plus encore Eric Laurrent et encore plus Echenoz. Mais le jeune homme aurait pu choisir de pires modèles, et on est curieux de voir ce qu'il va devenir.
Les trois auteurs qui précèdent sont de nouvelles connaissances ; les deux qui suivent, de vieux amis.
Le Simenon que je m'envoie ce mois-ci, dans le tome I de la Pléiade encore : L'homme qui regardait passer les trains. Pas vraiment un polar, puisque nous savons tout de suite qui est l'assassin et que nous voyons tout par ses yeux d'un bout à l'autre. Cet homme respectable rompt soudain avec le confort et le conformisme de sa vie antérieure, commet son meurtre un peu par hasard et quitte sa province hollandaise pour Paris où il va errer longuement, traqué par la police. Le piège se referme peu à peu dans une atmosphère de malaise, de cauchemar éveillé où l'on s'englue avec lui, de dépouillement progressif et total qui le laissera littéralement nu.
Personnage inoubliable, car insaisissable, inspirant répulsion et sympathie à doses égales ; parano, proche de la folie, sans doute, mais en même temps imparable dans sa logique et par moments — il passe beaucoup de temps à écrire, lui aussi — étrangement proche de son auteur. C'est le Simenon anarchiste, révolté qui transparaît. La descente aux enfers de cet homme seul contre tous, son lamentable naufrage, a en même temps quelque chose d'héroïque, l'auteur ne juge pas, et si son roman suscite à ce point le malaise, c'est en grande partie à cause de ce flottement, de cette absence d'un sens définitif, que le livre une fois refermé ne nous quitte pas.
J'aime depuis longtemps Simenon, et depuis moins longtemps le trop méconnu François Thibaux. J'apprécie peu l'éditeur de Monsieur mon frère, mais j'ai adoré ce roman autant que Le soleil des vivants et Ultime été, couverts de fleurs ici même.
L'essentiel de l'action se déroule au XVIIe siècle, après la révocation de l'Édit de Nantes par cette immonde salope de Louis XIV, qui contraignit les protestants à l'abjuration ou la fuite. Nous lisons une correspondance entre un huguenot resté au pays — un coin de province profonde, sauvage —, converti la mort dans l'âme, et son frère bien-aimé, pasteur exilé en Hollande. D'autres lettres se joignent aux leurs, dont celles de deux femmes très amoureuses — notre romancier en raffole. Amour, haine (parfois mêlées), inceste, parricide, les passions chez Thibaux sont violentes et la folie sanguinaire des hommes omniprésente, perpétuelle. Le temps ici n'existe pas : le roman nous montre aussi, en aval, les descendants des personnages, confrontés dans nos années 40 à d'autres horreurs, et en amont leurs ancêtres de la préhistoire — rudes bonshommes eux aussi, mais à tout prendre plus civilisés que nous, dotés de religions moins cruelles.
Monsieur mon frère attaque le christianisme, ou ce qu'il est devenu, avec une violence étonnante — et convaincante, ma foi. Même les hommes d'église y sont secrètement athées ! On pourrait reprocher à l'auteur cette invraisemblance, en même temps qu'une autre, cette liberté de parole concernant les choses du sexe, à une époque où la pruderie atteignit des sommets pathologiques. En ce qui me concerne, je verrais plutôt une vertu dans ce mépris de l'étroite vérité historique : nous y gagnons de belles envolées, d'intenses moments de sensualité, et un roman n'étant pas un manuel d'histoire, accordons au romancier tous les droits. De toute façon Thibaux pourrait raconter n'importe quoi, il nous mène par le bout du nez comme toujours, sans chercher ici à calquer la langue du XVIIe, la suggérant seulement par touches discrètes, par une certaine ampleur, une certaine complexité de la syntaxe, mais c'est là déjà son style à lui, ces phrases chargées d'odeurs, de saveurs, de sonorités par brassées, lourdes et succulentes comme des corbeilles de fruits, et j'aimerais savoir qui écrit en ce moment de façon aussi sensuelle.
Je jette un œil concupiscent, sur ma gauche, dans le rayon LIRE EN PRIORITÉ, à Notre-Dame des ombres et Le chemin d'Alix, du même Thibaux, qui ne perdent rien pour attendre.
Dragonnade. |
L'avantage de la lecture sur les voyages grossièrement physiques, c'est la rapidité des déplacements, la soudaineté des changements de décor.
De François Thibaux à Gérard Pfister, retour au calme et place à la poésie.
Le pays derrière les yeux, qui vient de paraître chez Arfuyen, n'est pas un recueil, mais un seul long poème, une méditation continue qui avance lentement, patiemment, par vagues successives, un voyage vers le dedans, ce pays derrière les yeux tellement proche qu'on ne le voit pas, à la recherche d'une mystérieuse origine
dans la matière profonde
où la douleur
ne brille
pas encore
où la mort
n'a pas
commencé
avant l'aube
du jour
avant l'aube
de la nuit
avant l'esprit
avant
la matière
au plus noir
de l'unique
énergie
dans le berceau profond
bien avant
que l'enfant
n'ait poussé
le premier cri
n'ait touché
de ses mains
le temps
La poésie de Pfister affronte l'obscur avec des mots simples et clairs, traces fragiles sur la page, îlots de lumière dans la nuit, mots chuchotés par le poète qui avance pas à pas en retenant son souffle, et nous le suivons de même, et bien qu'il faille traverser, ici ou là, des espaces de souffrance, nous baignons ici d'un bout à l'autre dans une sorte de sérénité extatique. Au point que quelques pages lues suffisent pour nous sentir nourris, apaisés.
Zut, pas eu le temps de lire Dhôtel ce mois-ci. En août, sûrement. En attendant, quatre pages de lui, dénichées dans le n°23 de l'excellent Bulletin de la Route inconnue, que diffuse l'Association des amis d'André Dhôtel.
Il y évoque au début l'écrivain Georges Navel, lequel raconte avoir été plongé un jour, je cite Dhôtel, dans un «désespoir total, qui refuse la moindre signification à la vie. (...) En cette situation sans issue, il lui est arrivé de prendre machinalement un vieux pantalon pour le raccommoder. Alors, nous dit-il, ce fut le retour d'un enthousiasme sans prix et d'une confiance inébranlable.»
Puis on passe à Paulhan qui aurait poursuivi une étude «absolument vaine» et qui malgré tout en aurait été très satisfait, affirmant que «grâce à ce travail qui ne l'avançait à rien, il s'était senti ''meilleur''».
Puis Rimbaud, puis les plantes, les graines des plantes et autres merveilleux mystères.
L'article fut publié dans La Nouvelle Revue Française en 1970, et le plus étrange, c'est que Dhôtel ne l'a jamais repris en volume ! Pour ma part, je donnerais des livres entiers d'autres auteurs pour ce petit paragraphe, précieux entre tous, sur ce Navel inconnu et son pantalon miraculeux.
Qu'on n'y voie pas un reproche : les personnages de Dhôtel ne semblent guère troublés par leur sexualité, alors qu'en réalité, les jeunes surtout... Quel gouffre entre ses adolescents, si présents dans ses livres, et les ados d'aujourd'hui croqués par un Riad Sattouf par exemple !
Ils ne pensent qu'à ça, les petits salauds. Le premier film de Sattouf, Les beaux gosses, tourne autour de deux collégiens qui commencent à se frotter aux filles. Le public a suivi, séduit par la justesse étonnante des dialogues et des acteurs. C'est cru et frais, peint avec une séduisante alliance de gros traits et de fines touches, et un mélange habile de moquerie et de tendresse. Les deux benêts sont à la fois moches et mignons, nous ne rions pas d'eux mais de plaisir, à voir ça on aurait presque envie d'avoir à nouveau quinze ans — j'ai bien dit presque ! Mais ce n'est pas là seulement un film d'ados, le personnage de la mère, joué par Noémie Lvovsky, est non moins réussi, aussi drôle qu'émouvant.
Du coup je m'offre une bédé du même Sattouf — il a déjà toute une carrière de bédéaste derrière lui —, et à en juger par la série Les pauvres aventures de Jérémie, dont le tome 1 s'intitule Les jolis pieds de Florence, le sexe est le dieu du monde et Sattouf l'un de ses réjouissants prophètes.
Florence prend son pied. |
Euphorie toujours avec une autre comédie française toute neuve, Fais-moi plaisir d'Emmanuel Mouret. L'auteur scénarise, met en scène et joue, ce qui amène certains à le comparer à Jacques Tati ou Jerry Lewis, n'allons pas jusque là, mais sa comédie enchaîne les gags avec beaucoup de charme et d'élégance, Judith Godrèche fait un grand numéro, Deborah François en soubrette ferait fondre la banquise, et je reste hanté par la courte scène où le jeune homme se retrouve un soir dans un appartement minuscule avec quatre sœurs en chemise de nuit, où il ne se passe rien — rien que cette quadruple apparition, gracieuse, miraculeuse, à faire pâlir le paradis.
Emmanuel et les quatre grâces. |
Il est des œuvres qui vont droit au but, et d'autres qui avancent par tours et détours ; des œuvres écrites à l'avance, et d'autres qui se cherchent et se font sous nos yeux. Les deux excellents films précédents se déroulant sans imprévu majeur, voici pour changer un OFNI en provenance du Portugal : Ce cher mois d'août de Miguel Gomes.
Cela commence comme un docu sur un village perdu : une procession, un club de motards, des concerts, des musiciens, c'est très long et avouons-le, on s'emmerde un peu — même si, déjà, certains plans très lents d'une extrême beauté commencent en douce leur travail d'envoûtement. Mais voilà qu'insensiblement le docu tourne à la fiction, des personnages se détachent, les textes des chansons commentent l'action, la font même avancer, l'ambiance bon enfant s'électrise, vire au drame, et peu à peu le spectateur est pris. Voir Ce cher mois d'août est une espèce d'aventure. Nous sommes des enfants dans la forêt, qui ne sauront jamais tout à fait où ils sont, mais dont l'inquiétude a viré en route à une curiosité proche de l'émerveillement.
Carole et moi, à la séance de 19 heures, étions seuls dans la salle.
Et les films de Michel Deville ? Prévisibles ou imprévisibles ? Réponse : les deux, tant sa forte personnalité, sa patte inimitable s'accompagnent d'un constant besoin de renouvellement.
Nous refermons le quatrième et dernier volume des œuvres quasi-complètes avec deux films qui pourraient sembler faire exception.
Les capricieux, téléfilm qu'on croirait fait pour le cinéma, nous emmène sous l'Empire, entre le XVIIIe siècle voluptueux de Benjamin et le XIXe romantique et tragique de Raphaël. Deux nobliaux campagnards, Jean-Pierre Marielle et Nicole Garcia sa voisine, ne songent qu'à goûter en toute insouciance à leurs plaisirs et leur tendre amour, jusqu'au jour où l'irruption chez eux d'un jeune et beau révolutionnaire polonais les fera mourir pour une cause dont au fond ils se moquent ; leur mort elle-même sera insouciante, légère, d'une élégance infinie. À l'image du film tout entier, l'un des rares de son auteur à regarder un peu en arrière — et ce n'est pas une critique.
À lire le résumé d'Aux petits bonheurs, tourné dix ans plus tard, on peut croire, de même, à un retour aux comédies des débuts devilliens, dont les protagonistes auraient juste un peu vieilli. Une grande maison à la campagne, un groupe de quadras en vacances, dont deux couples, une inconnue venant retrouver un amour d'adolescence, c'est parti pour un ballet élégant tout en chassés-croisés, mais si le film est bien ce marivaudage doux-amer à quoi on s'attend, il est aussi autre chose. Dès le début, après les gémissements amoureux de Nicole Garcia, chauffée par François Marthouret, ceux d'Hannah Schygulla qu'on entend dans la pièce à côté sont des larmes, et tout le film va osciller ainsi entre sourire et tension chagrine, gagné par la nervosité de certains protagonistes, se déroutant sans cesse, avec ses couples mal assortis et ses couleurs qui jurent. Une constante au moins : le thème du voyeurisme. Pas de bon Deville sans une louche de perversité... En contrepoint, une musique joyeuse, parfaitement intégrée à l'action comme toujours, fournie cette fois par l'étrange compositeur que fut l'Américain Gottschalk.
Anémone. |
Ah ! les Américains. Pas réussi à m'intéresser au Tour de France — malgré l'étape de Verbier —, oublié le nom du vainqueur, mais je sais qui est le héros de la course : un Américain, plusieurs fois vainqueur, puis absent quelques années, et qui vient de réussir un brillant come-back.
Son nom : Greg LeMond.
À l'époque de ses victoires (1986, 1989, 1990), je lui préférais son grand rival Fignon, qui s'est révélé humainement médiocre ; mea culpa. Je découvre LeMond cette année. Devenu suiveur, au soir de chaque étape, dans le journal qui porte quasiment son nom, cet opposant résolu au dopage a écrit ses réactions à la course d'aujourd'hui et ses souvenirs de celles d'hier. D'autres avaient déjà montré les dessous merdeux du sport cycliste, mais c'est la première fois que c'est fait, de façon aussi éloquente, par un ancien champion de ce calibre.
Fut-il aussi propre qu'il l'affirme ? On a envie de le croire. Derrière ses textes bien pensés, bien écrits, on pressent un homme attachant, resté simple, gentil, humain.
Quel contraste avec les pédaleurs d'aujourd'hui, ces mutants, ces Frankenstein roulants, ces croisements d'un homme et d'une fusée ! Mystère : ces foules immenses continuant de se presser au bord des routes au passage d'une course froide qui n'a plus de sens. Les dupés applaudissant les dopés. On ne vient plus encourager des hommes qui souffrent, mais admirer des robots. Et après avoir voté comme on sait, on vient fort logiquement acclamer les symboles de la tricherie et du mensonge.
Le dopage du temps de l'artisanat. |
Rubrique sportive (suite). Notre vaillante police continue ses exploits, catégorie flashball. Le flashball est cette arme délicate qui ne tue pas, promis, mais sait fort bien mutiler. La dernière mode : le tir en pleine poire. Les Robocop crèvent les yeux à tour de bras. La dernière fois, c'était à Montreuil, dans un coin tranquille que j'ai bien connu. Ces messieurs sont désormais partout.
Non, ils ne visent pas exprès dans l'œil — formés à la va-vite, comment sauraient-ils viser ? On laisse faire la loi des probabilités. Une petite bavure de temps à autre, c'est positif. Les bonnes âmes rouspètent un peu, la masse immense des braves gens roupille, et ceux qui voudraient manifester, apeurés, se tiennent à carreau. Certaines anciennes élèves me disent : Je n'ose plus aller dans les manifs, j'ai trop peur des keufs...
Je vous comprends, les filles. Ils sont devenus sauvages. Leurs maîtres ne les contrôlent plus. Vous savez pourquoi ? Ils ont peur. Les riches et les puissants et les brutes armées qui les servent ont peur de vous, petiotes, qui défilez fragiles et désarmées. Un proverbe grec dit : Yànnis a peur de la bête et la bête a peur de Yànnis. Nos maîtres ont voulu semer la peur, elle leur revient dans la gueule. Tout le monde craint tout le monde. Et je me demande qui a le plus de raisons d'avoir peur.
Chien très con... |
Dans une gare, un homme est arrêté par les flics. Un témoin incrimine à haute voix le président. On l'interpelle, on le traîne en justice. Il est relaxé, naturellement. (Non, pas naturellement, mais grâce à son habile manipulation des médias.) Là-dessus, le Président lui-même, avec son beau regard franc, se déclare désolé qu'on ait embêté ce monsieur.
Manœuvre en deux temps. Un, on intimide. Deux, on recule. Les gens n'osent plus crier, et le petit nain mesquin paraît grand et magnanime.
Plus c'est gros, plus ça marche. Au moins à court terme.
Il y aurait tant d'autres choses tristes à raconter, du même ordre. Sur le lycée de Chèvres par exemple. Attendons la rentrée.
J'ai dit Chèvres ? Un petit salut à un jeune peintre local, Sébastien James, qui couvre nos murs de fresques illustrant le passé des lieux, à partir de cartes postales anciennes que parfois son imagination retravaille.
L'artiste était ces derniers jours au pied de la gare de Ville-d'Avray, que voici. Ce que la photo ne montre pas : dans les feuillages qui entourent notre paisible petite gare de banlieue, un perroquet et une panthère !
Sébastien au travail. |
Au 1er septembre, début de la septième saison de volkovitch.com. Voyage à pied avec Werner Herzog. Reste de vacances avec André Dhôtel et rentrée des classes avec Christian Estèbe. Visites à Claude Debussy et Ernestine Chasseboeuf. Fin de l'hommage à Michel Deville après avoir vu ensemble vingt-six de ses films.
(réponse sur le numéro de la citation...)
...un corps de mots, plus solide, plus chantant, un peu mieux rétribué, un peu moins mortel que l'autre.
Je pense quelquefois que si j'écris encore, c'est, ou ce devrait être avant tout pour rassembler les fragments, plus ou moins lumineux et probants, d'une joie dont on serait tenté de croire qu'elle a explosé un jour, il y a longtemps, comme une étoile intérieure, et répandu sa poussière en nous.
La page se fait selon une force qui lui appartient en propre et qui ne dépend que très moyennement de l'auteur qui se mêle de la rédiger, pensant, naïvement, qu'il y serait pour quelque chose, alors qu'en lui c'est la nature qui s'exprime, comme elle s'exprime dans la croissance de l'arbre, dans l'évaporation de l'eau ou dans le métabolisme des êtres vivants.
Vierges, petites natures, les astres prévoient pour vous évanouissements et crises nerveuses en série si vous visionnez La vierge des Djouvatchis. La vierge en question est un instrument de torture auprès de quoi celle de Nuremberg a des airs de jouet pour petites filles. Ce film rarissime, le premier et le seul produit en Djouvatchie, absent de la plupart des histoires du cinéma, sans réalisateur identifié (son nom, Istir Baksoun, sent le pseudonyme), est l'un des plus sanglants et terrifiants qui soient — dans la plus pure tradition djouvatchie. Un évident manque de moyens et l'amateurisme des acteurs (des paysans du cru) ont nui à la carrière du film, qui n'est visible qu'en cassettes VHS d'occasion. Mais tel qu'il est, avec ses rouges sombres, les reflets de poignards dans la nuit et les regards épouvantés de la belle Yabho Khoudaï, il dégage une poésie intense. Vierges fragiles, choisissez la version doublée ! La langue djouvatchie est d'une violence insoutenable.
La vierge des Djouvatchis, 1991. |