PAGES D'ÉCRITURE

N°62 Novembre 2008



BRÈVES


Le prix Nobel dit de littérature, on le sait, a cette particularité d'être en même temps un prix littéraire et un prix de vertu, dans des proportions variables annuellement. Claude Simon, couronné en 1985, homme irréprochable, était surtout un formidable écrivain ; J.M.G. Le Clézio, lui, vainqueur cette année, brille par ses qualités morales.

Voilà un vote utile ! voilà un mec bien s'il en fut jamais ! Sa prose est sans doute un peu plate, un peu molle, parfois un rien bâclée, mais elle déborde d'idées généreuses, exprimées de façon simple et frontale. Est-il plus beau fanion pour guider la jeunesse ? Et qu'il est beau ! Il fallait bien que le Nobel aille à notre Beau...

Que babillé-je là ? Maudite franchise. Elle va m'aliéner la plus belle part de mon public, en grande partie féminin... Pardonnez-moi, volkonautes bien-aimées. Mettez mon persiflage au compte de la plus vile des jalousies masculines. Pour me faire absoudre, je vous promets de relire JMG dans les dix ans qui viennent — le temps de digérer l'ennui qu'à chaque tentative votre JMG me cause.


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Dangereux mimétisme : le commentateur contaminé par le style du commenté. Je suis consterné de voir, dans Le Monde, la plume d'Eric Fottorino, d'habitude agile et fringante, surtout quand il s'agit de vélo, s'embourber dans l'éloge à Le Clézio dont on l'a sadiquement chargée et pédaler dans la pommade au point de prendre un sérieux coup de pompe :

«...une langue souple et ample, guidée par l'instinct quasi animal d'une plume trempée dans toutes les plaies du monde en souffrance...» «Cette œuvre aux accents graves est une sorte de grand concert sauvage célébrant la fraternité des humains, et d'abord ceux que le vent de l'Histoire a dépossédés de leur langue, de leur identité, brouillant la piste des origines pour les emporter vers un néant que combat l'écriture.»

On a pu dire que la prose leclézienne se rapprochait, avec le temps, des bons vieux romans scouts du Signe de piste d'autrefois ; ici, on serait plutôt du côté du maire de Champignac. Hé, Fottorino, tu bosses trop, remonte sur ta bécane et va prendre l'air !


Pourquoi suis-je si dur avec Fottorino ?
Franquin, Le voyageur du Mésozoïque.

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Non ! Éreinter, ce n'est pas mon genre. J'ai horreur de ça. (Menteur.) Seulement certains mois, ça bouchonne.

Ce que j'ai écrit sur François Bégaudeau ici-même au fil des ans révèle un désenchantement progressif. La dernière fois, j'avais apprécié l'habileté de son roman Entre les murs, et déploré l'absence de chaleur humaine qu'il dégage. Chose étonnante, cet homme sec et froid suscite des passions brûlantes, sa notoriété gonfle à vue d'œil, Bégaudeau chouchou des libraires, Bégaudeau chroniqueur dans cinquante journaux, Bégaudeau star de cinoche... Voilà même Bégaudeau promu maître à penser, qui nous pond un Anti-manuel de littérature pour nous expliquer cexé, la Littérature.

Je répète lourdement exprès ce mot pompeux que je déteste, que je n'emploie jamais que par dérision, pour souligner son incongruité prétentieuse. Définir la Littérature, quel intérêt ? Quel public vise-t-il, cet assemblage de réflexions parfois bien vues, mais le plus souvent tristement bateau, voire crétines, trop arides et ardues pour un débutant, trop courtes pour le spécialiste ? Il semblerait qu'on veuille s'adresser aux djeunes : la pilule étant épaisse, l'auteur la lubrifie tant qu'il peut, forçant un peu plus encore son bagou naturel, adoptant un ton qui se veut joueur et plein d'humour, planquant son vocabulaire pédant (prolepse, forclusion...) derrière un langage de cour de récré. On dirait un prof tâchant de dérider, à coups de vannes vaseuses, un ado qu'il prend pour un con. Ou un ado qui a trop fumé le soir du bac français. Un feu roulant, un festival de blagues à deux balles. On n'est plus à Champignac, mais à Moulinsart quand se pointe Séraphin Lampion.

Ce n'est pas le jeu et l'humour qui sont en cause, naturellement, mais leur totale maladresse en l'occurrence. Leur côté plaqué. Tout cela sonne faux et creux. Je n'ai même pas ricané en lisant : quand un auteur déraille à ce point, on a trop honte pour lui, et pour Madame la Littérature. Mais le grand coupable, c'est l'éditeur, Bréal : jamais il n'aurait dû laisser se couvrir de ridicule un Bégaudeau à qui la gloire, visiblement, a fait péter un câble.

Mais qu'est-ce que je dis ? Le ridicule, c'est moi. Car ce faux manuel est promis au succès ! Ça va se vendre comme de l'Angot ! du Houellebecq ! du Lévy ! Et l'auteur en sortira plus que jamais content de sa personne, promu figure de proue de la branchouillitude — les branchés ont aussi leurs beaufs.


«Partant du principe moléculaire que l'unité littéraire de base est un énoncé, et du constat que nous en produisons tous, on peut dire que la littérature ça n'arrive pas qu'aux autres» F.B.
Hergé, L'affaire Tournesol.

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Allez, on se calme. Je m'en vais dire du bien d'un quasi inconnu, Laurent Nunez, dont l'excellent Champ Vallon vient de publier le premier roman.

Le jeune narrateur de ces Récidivistes, double de l'auteur au point de porter le même nom, n'arrive pas à aimer, à vivre, à écrire ; pour nous raconter le désastre, illustrer sa difficulté à être lui-même, il emprunte les voix de grands prédécesseurs : Duras, Genet, Gide et surtout Proust et Quignard. Roman-pastiche donc, qui fascine par son érudition, son mimétisme vampirique, son côté obsessionnel, dont le revers est une volubilité pas toujours contrôlée, et qui souffre de commencer par le meilleur : le chapitre quignardisant. Le jeune homme y fait preuve d'une virtuosité sidérante. Sans doute Quignard est-il facile à imiter, il suffit de draper la phrase dans de l'obscur, mais en même temps, derrière Quignard, on sent Nunez présent, qui incorpore à son récit une méditation fort opportune sur l'identité, tout en exposant adroitement au passage sa stratégie d'écriture.

Après ce début presque aussi beau que l'Affaire Lemoine de Proust, l'intensité baisse un peu à l'ombre écrasante du géant Marcel, pastiché de façon plus lâche ; on s'enlise parfois dans les méandres d'une anecdote un peu ténue, on se dit qu'on n'ira pas jusqu'au bout, et pourtant si. Et sans regrets : on a rencontré en route quelques beaux personnages, dont un saisissant cousin de Charlus, et goûté plusieurs autres pages de belle facture. Voilà un jeune hyperdoué, lettré jusqu'au bout des ongles, l'espèce n'est donc pas morte et l'on attend la suite, cher Laurent Nunez, avec espoir et gourmandise.


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Et maintenant, place aux grands !

Led Zeppelin... Le groupe phare des années 70. J'avoue qu'à l'époque je n'ai rien entendu, rien vu. J'étais — et suis toujours — plus à mon aise dans des musiques moins frénétiques, genre sergent pépère, qu'avec Led Zep, ses hurlements, ses martèlements, ses frasques glauques.

Et puis voilà François Bon qui se pointe, quarante ans après. Il a déjà ressuscité les Stones et Dylan, il remet ça. Il a lui-même pratiqué cette musique, il a vu jadis les quatre monstres sur scène. Une fois de plus il trouve le bon angle et le ton juste : son approche à la fois narrative et analytique, émotionnelle et technique, ne fait grâce d'aucun détail mais n'ennuie jamais tant il nous balance tout ça, à la Led Zep, avec une vigueur et un souffle sans faille. En découvrant aujourd'hui, sur DVD, les concerts d'autrefois, je ne suis sans doute pas bouleversé, mais je comprends mieux ce qui se passe. Et j'en suis ébloui. Bon m'a fait voir que ce magma tumultueux est en même temps une dentelle raffinée, fruit d'une constante et minutieuse recherche. Il m'a fait entendre Led Zeppelin grâce à l'accord intime entre leur gros son et son écriture à lui, merveilleusement rude et compacte, on ne peut plus physique, qui pulse et gifle et broie, retrouvant cette «sensation brute d'une pâte, de nappes soulevées par le son épais de la basse, étarquées par le cognement grave de la batterie».

Bon n'oublie pas non plus de souligner, comme Echenoz avec son Zatopek, le pouvoir magique d'un nom : Led Zeppelin, le dirigeable de plomb, résume de façon géniale tout ce que le groupe eut à la fois de lourd et d'aérien.

Place aux stars, disais-je. Aujourd'hui le groupe se reforme, des gens paient des fortunes invraisemblables pour le voir, mais que Jimmy Page, Robert Plant, John Paul Jones et feu John Bonham me pardonnent : sur volkovitch.com, la star, c'est François Bon.


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Autre grand homme : Olivier Rolin.

Curieux, non ? Echenoz s'envoie la collection complète du journal L'équipe sur dix ans pour raconter Zatopek, Bon épluche tout ce qui s'est écrit sur Led Zep, et au même instant Rolin mène l'enquête dans les musées, les bibliothèques et les rues des villes d'Europe et d'Amérique du Sud. Aujourd'hui encore, trois de nos meilleurs auteurs, fouillant le passé, se documentent avec la même minutie que notre maître Flaubert jadis.

Trois héros dans Un chasseur de lions :

Un nommé Pertuiset, le chasseur, Tartarin aussi haut en couleurs que bas de plafond ; Edouard Manet, qui fut son ami ; Rolin lui-même, qui voyant le tableau où mon premier est peint par mon second, décide d'écrire un livre autour d'eux. Voyageur éternel, il part sur leurs traces dans le Paris de la Commune et des années qui suivirent et jusqu'en Terre de Feu, qu'explora Pertuiset. Les souvenirs personnels s'entrelacent palimpsestueusement au passé historique, l'Histoire bourgeonne en histoires, tout un roman sort comme par magie d'un tableau — et aussi d'autres tableaux, du même Manet. Refermant le livre, étourdi de bonheur, on fait défiler à l'accéléré ce kaléidoscope de scènes, de personnages, à la fois hétéroclite et solidement construit, passant du grotesque le plus féroce à la plus pure mélancolie, du bariolage extravagant au plus fin camaïeu. Un régal permanent. En vrac : l'exécution du communard Rossel, figure oubliée, inoubliable désormais ; Berthe Morisot, Mallarmé, Villiers de l'Isle-Adam, Baudelaire mourant ; une chiasse collective en Patagonie ; la sauvagesse offrant à Pertuiset son plus beau bijou : un couvercle de boîte de conserves rouillé (page 161, la plus ahurissante sans doute, moment sublime), et derrière tout ça Rolin, conteur fabuleux jouant de tous les registres, à la fois jeune déconneur et vieux sage, entre Tintin et Chateaubriand, Rolin dont le divertissement historico-romancé se révèle méditation sur l'art, la vie, le temps perdu. Le vaste monde est là dans ces pages tourbillonnantes, qui palpite, comme sur les toiles merveilleuses de Manet :

«...le monde c'est un combat de taureaux ou une courtisane nue sur sa couche, un buveur d'absinthe, un bal masqué, une serveuse de bocks, une voie de chemin de fer, un champ de courses, un bouquet de pivoines, tout ça sans distinction, sans hiérarchie, le monde est un pervers polymorphe, un spectacle foisonnant et trivial, une fontaine de formes et de couleurs où la beauté jaillit parfois de la laideur.»

Dommage que le maquettiste du Seuil n'ait pas lu au-delà du titre...


Museu de Arte, Sao Paulo
Edouard Manet, Pertuiset et son lion, 1881.

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Et puisqu'on en est au chapitre des stars, revoici MM. Bouvard et Pécuchet dans le troisième épisode de leurs aventures. Un chapitre trois qui leur fait aborder, par glissements successifs, la chimie, l'anatomie, la médecine, l'alimentation, la géologie, rien qu'avec ça on a déjà le vertige. Toujours aussi ardents et désordonnés, les deux bonshommes dévorent des tonnes de livres (un peu comme leur créateur, lequel ne devait pas non plus toujours tout comprendre de ce qu'il lisait...).

À mesure qu'on avance, on sent mieux la stratégie de Flaubert : maintenir à la fois une certaine lourdeur (la bêtise accablante, les échecs inéluctables) et une certaine légèreté (la naïveté, la curiosité enfantine). Installer la monotonie et en même temps l'éviter — on ne va pas faire fuir le lecteur tout de même. Ici, quelques menues surprises. Les deux héros de cette épopée ont aussi des moments de faiblesse, de découragement, de marasme. Ces esprits positifs sont capables de doutes et de rêveries — voir l'interrogation sur l'origine du monde, aux falaises d'Etretat, où se s'exacerbent vertiges physique et métaphysique. Ces purs esprits ont aussi un corps, ce chapitre y insiste avec ses allusions scatologiques — chose rare chez Flaubert — et sexuelles. On voit les deux zigs à poil. On apprend que Pécuchet est puceau ! La cruauté de Flaubert va jusque là !

Il ne le restera pas, si je me souviens bien, mais cht, patience...


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Les stars, c'est les écrivains, leurs personnages, leurs livres surtout. Le journaliste Pierre Assouline consacre à ceux-ci, depuis quatre ans quotidiennement, son blog La république des livres, avec une audience exceptionnelle. Chaque jour des dizaines d'habitués passionnés entrecroisent leurs commentaires, dont Assouline publie aujourd'hui un choix précédé d'une longue et excellente préface, pénétrante et claire, raisonnable et chaleureuse, en un mot, assoulinienne. Tout cela est passionnant, à lire absolument, pour tout ce que ces Brèves de blog (Les arènes, 400 pp.) nous apprennent sur l'évolution de nos habitudes culturelles, notre société dans son ensemble et la nature humaine en général.

Assouline, enthousiaste, voit dans son blog l'héritier des salons littéraires d'autrefois ; dans ce cas, l'ambiance a bien changé. Ici, l'hôte est totalement débordé par ses invités qui s'apostrophent et s'invectivent par dessus sa tête, écoutant à peine ce qu'il raconte, l'invectivant parfois lui aussi, le traitant parfois comme une merde. On dirait que la modération, le calme assoulinien ne fait que les exciter. Une volière en folie. Un livre-capharnaüm. Quelques pages d'une acuité, d'une virtuosité extrêmes, à côté de conneries bêtes et méchantes où parano, arrogance, violence et cuistrerie se débondent. Internet est là tout entier, poubelle d'Ali Baba où les trésors se cachent dans l'ordure, salon-chiottes où l'on se soulage, effrayant exutoire aux terribles frustrations qu'on devine. Combien d'entre nous, sans Internet, crèveraient de ne pouvoir parler !

À propos de chiottes, ces textes brefs m'auraient fourni une excellente lecture matinale, quelques pages par jour sur le trône. Hélas, j'ai lu tout cela trop vite, gagné par la passion. Car on a beau parfois se boucher le nez, avoir la nausée de passer ainsi du pire au meilleur et au pire, quelle formidable liberté ! Comme cette pétarade réveille, à côté de notre presse littéraire, de ses discours si souvent tièdes et fades et constipés !


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Bizarre, cet acharnement contre Assouline. Je connais des gens, souvent très bien, qui le haïssent frénétiquement. Sans pouvoir donner de raison valable. L'autre soir à la téloche, face à lui, le petit Bégaudeau écumant de rage est devenu carrément ordurier...

Désolé, encore Bégaudeau, et puisque nous y sommes, parlons d'Entre les murs, le film tiré de son livre homonyme par Laurent Cantet. Un film qui lui aussi divise et fâche. Les jugements que je lis et que j'entends forment une étrange cacophonie. Pour ma part je n'ai vu là ni un chef-d'œuvre, ni un navet ou une infamie, mais l'un des films les plus justes qui soient sur l'école — même si on se trouve très loin du réalisme documentaire. (D'abord, ces élèves-là ne bavardent même pas !). Je suis séduit surtout par ce refus du manichéisme, du prémâché, du pathos. Il n'y a pas ici de héros ou de salauds, les meilleurs ont leurs faiblesses et les pires leurs bons moments. On ne nous dit pas — enfin pas trop — ce qu'il faut penser. Peut-être le corps professoral est-il montré de façon un peu trop gentille ? Disons que c'est pour la bonne cause.

Une source de malentendus concernant ce film est qu'il paraît ce qu'il n'est pas : une improvisation. Ce qu'on voit résulte d'un patient travail où tout est encadré, dirigé, manipulé sans doute, pour aboutir à un naturel, à une grâce parfois, presque constants. Cantet a largement squatté le roman de Bégaudeau, dont il ne reste plus grand-chose. L'auteur, lui, se rattrape en jouant son propre personnage comme s'il n'avait fait que ça toute sa vie. Attachant pour finir, car pas trop sympathique et parfois maladroit. Il devrait laisser tomber l'écriture et faire acteur ! Enfin, si je me réjouis de cette flatteuse palme d'or, plus encore que du nouveau Nobel, c'est que l'excellent film qu'elle fait ainsi mieux connaître est aussi une bonne action — je veux dire une méchante claque aux brutes qui nous gouvernent. Ceux qui ont vu Entre les murs comprendront...


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Pour oublier notre présent français plutôt lourd, il faudrait un film léger qui nous ferait changer d'air — pourquoi pas la sémillante Barcelone ? Un film où tout le monde ou presque serait beau, intelligent et sensible, une histoire en zigzags, toute en surprises. Ce rêve existe, il s'appelle Vicky Cristina Barcelona, l'un des plus grands films de Woody Allen, où il ne joue avec les clichés que pour mieux les déjouer, où les actions des personnages sont en même temps déroutants et conformes à leur nature profonde, où les scènes dramatiques s'avèrent en même temps les plus drôles. Les mâles américains en prennent un sacré coup, olé ! Les femmes, divines. Même les chieuses. Si Vicky Cristina... était nul, je n'y verrais que du feu. Comment juger lucidement un film où apparaissent, dirigées à la perfection, les chavirantes Rebecca Hall et Scarlett Johansson ?


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Intégrale Michel Deville (suite). 1964, creux de la vague. Après quelques échecs commerciaux, Deville et sa scénariste Nina Companeez doivent accepter des commandes. Ils se retrouvent à faire un film de gangsters humoristique avec bagarres, comme il s'en tournait beaucoup alors avec Eddie Constantine en vedette. Tout en respectant les règles du genre, notre duo les transfigure, gardant l'humour mais l'ombrant de mélancolie, faisant de Lucky Jo une élégie sur l'amitié perdue, qui pourtant perdure. Avec son scénario subtil, l'élégance de sa mise en scène, sa direction d'acteurs inspirée (Pierre et Claude Brasseur s'éclatent, Eddie Constantine sort le grand jeu), ce petit film oublié dégage aujourd'hui encore, malgré les conventions dont il est issu, une émouvante fraîcheur.


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Fin du premier coffret de la quasi intégrale Deville. Entamons le second, qui n'est pas chronologique, avec celui des six films qui se rapproche le plus des comédies du début : L'ours et la poupée, de 1969. Bardot poursuit de ses assiduités Cassel qui lui résiste héroïquement — on se demande pourquoi — jusqu'à la dernière bobine. Un duo de rêve, deux comédiens parfaits, un pétillant délice tout du long, mais on peut préférer à ce clair champagne les saveurs plus sombres d'Adorable menteuse, À cause, à cause d'une femme ou même Lucky Jo, dont la gravité secrète s'insinue en vous pour ne plus vous quitter.


...elle a les plus grosses.
Brigitte heureuse...

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Finie la récré. Retour à l'actualité. Nous avons vécu ce mois-ci des événements d'une gravité exceptionnelle, qui ont fait dégringoler d'un coup le moral des Français.

Notre Marseillaise a été sifflée !

Non, pas au tournoi de foot de Kaboul : dans notre Stade National ! Par des racailles qui crachent sur la France, après tout le bien qu'elle leur a fait ! Qui mériteraient qu'on les fasse gicler d'ici à coups de karcher, jusque là-bas dans leurs bleds, en criant Montjoie Saint-Denis ! comme les chevaliers d'autrefois.

Ces sifflets sont une très ancienne tradition, jusqu'à présent ils ne choquaient personne, mais aujourd'hui, soudain, ça devient grave. Serait-ce l'effet d'une actualité par ailleurs trop tranquille ? Il y a là, semble-t-il, un terrible malentendu. Nos politiques doivent bien mal connaître les supporters de foot. S'ils ont conspué l'Hymne Sacré, ces apôtres de la non-violence, de la fraternité sportive, c'est que les choquait l'outrance et la sottise des paroles. Sans doute suffirait-il, pour calmer les esprits des deux bords, d'une très légère modification du texte ? Par exemple :


Allons z-enfants de la patrie

Le jour de gloire il peut crever

La violence est notre ennemie

Évitons de nous énerver

Éviton-ons de nous énerver tagada tsoin tsoin

Détendez-vous à la campagne etc.


Cahiers de morales, éditions Les Arènes.
Amour sacré de la Patrie.

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À part ça quoi de neuf ? Du côté de la chasse aux immigrés, rien apparemment. Nos maîtres et leurs valets continuent d'expulser, de briser des vies et des familles entières pour conserver le soutien des partisans de feu Le Pen.

Rien de neuf — sauf un minuscule détail : Le Réseau Education Sans Frontières invite désormais ses membres à écrire aux préfets violents de façon courtoise. Motif : ces derniers, de plus en plus, portent plainte quand on leur dit leurs vérités avec la plus naturelle des franchises.

Eh bien voilà une consolante nouvelle. Ainsi donc, ils l'avouent : nos invectives, dont on pouvait penser qu'ils s'en foutaient impérialement, eh bien elles leur font mal ! Les piqûres de moustique gênent l'éléphant ! Voilà une petite victoire qui peut-être deviendra grande. Pauvre grosse bête, tu n'as pas fini d'avoir les oreilles qui bourdonnent. Et de te gratter jusqu'au sang.


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La France est menacée, la civilisation vacille. Pendant ce temps, à Chèvres, où les clameurs du monde n'arrivent qu'assourdies, plus de cent personnes sont réunies un samedi, dans la grande bibliothèque du Centre International d'Études Pédagogiques, pour sacrifier à ce rituel français entre tous : la Dictée.

Je suis venu participer, curieux d'observer les pratiquants de ce culte étrange. Par nostalgie aussi. Ma relation à l'orthographe est plus amicale qu'amoureuse, mais j'adorais les dictées jadis, le cérémonial, les énigmes, le dévoilement final... Et me voilà devant ma copie, dévot pèlerinage, régression voluptueuse, dans ce même bâtiment où voilà cinquante ans, deux étages plus bas, Mme Clocheau nous enseignait les mystères de la langue.

Mes deux voisins, à peine moins chenus que moi, révisent fébrilement dans leur manuel. Dans la salle, tous les âges, de onze a quatre-vingt-onze ans, les grands-parents plus nombreux tout de même que les bambins ; de nombreux participants sont venus de loin, certains d'entre eux sillonnant tout l'hexagone de semaine en semaine, de dictée en dictée. On a prévu un classement à part pour ces champions ; ils seront cinq à faire moins de deux fautes. (Moi, neuf et demie.)

Curieux de savoir si leur entraînement intensif leur laisse le temps de lire.

Le maître des cérémonies, heureusement, c'est Jean-Pierre Colignon, ancien correcteur en chef du Monde. Sa rondeur malicieuse, sa fine bonhomie et le texte qu'il a rédigé pour nous, délectable, farci de calembours (cette apothéose de la langue), tirent du côté du jeu et de la bonne humeur ce qui, dans d'autres mains, aurait pu devenir sinistre.


Ancienne École normale supérieure de jeunes filles (1881-1940)
Centre International d'Études Pédagogiques, à Chèvres.

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Les 13, 14 et 15 novembre, au Musée d'art moderne de Saint-Etienne, à l'initiative du vaillant CIEREC, un colloque intitulé L'imaginaire spectral soumettra la production littéraire francophone contemporaine à l'analyse fantomologique. Les chasseurs d'ombres les plus en vue du moment (Dominique Viart, Claude Burgelin, Dominique Rabaté, Christine Jérusalem...) iront traquer les revenants, spectres et autres ectoplasmes dans les pages de Simon, Roubaud, Michon, Volodine, Viel et quelques autres. Alain Fleischer et Jean-Christophe Bailly seront là en chair et en os.


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En décembre, comme d'hab, un joyeux mélange : nouveautés (Xavier Hanotte, Michèle Sales), classiques (va-t-on enfin relire Tartuffe ? ou se replonger dans Saint-Simon ?) politique (Mariette Darrigrand), poésie (pas encore choisi qui), peut-être un peu d'horreur (Shirley Jackson). Et puis des films, Deville toujours, Pascal Thomas, d'autres encore, sans oublier l'étrange Séraphine bien sûr.

On reparlera aussi de publie.net, les éditions en ligne de François Bon, dont la Collection grecque s'enrichit ces jours-ci de trois nouveaux titres, avec les poètes Mihàlis Ganas, Christòphoros Liondàkis et Stratis Pascàlis.









SITATIONS

Savez-vous de qui sont ces phrases ?

(réponse sur le numéro de la citation...)


1


On ne voyage pas pour voyager mais pour avoir voyagé.



2


Ce n'est pas d'aller loin qui compte, mais de comprendre que nous sommes loin toujours dans un pays curieux et inexplicable, où que nous soyons...



3


Comme un volcan grondant au fond de la forêt, il faut que, quelque part dans la ville, il y ait un endroit d'où sourd l'inconnu.









L'HORROSCOPE


SAGITTAIRE du 23 novembre au 21 décembre


What ? Sagittaires, pauvres petits, les films d'horreur ne vous inspirent que de la répulsion ? Vous avez peur d'avoir peur ? Chacun son cinéma, d'accord, mais sans vouloir jouer les vieilles lunes, et sans excès de fiel, à ceux d'entre vous qui refusent d'écouter les sorcières écossaises, de danser avec les vampires ou de bercer le bébé de Rose-Marie, je prédis un triste automne et un hiver sinistre comme un cul-de-sac. À moins qu'un des locataires, devenu frénétique, ne vous zigouille en viTess ?


...de Roman Polanski.
Catherine Deneuve dans Répulsion...

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