PAGES D'ÉCRITURE
N°26 Octobre 2005
Concernant le «foulard islamique», dont on nous rebat les oreilles ces temps-ci, j'ai bien du mal à me faire une religion. Ce que ce bout de tissu représente ne me plaît guère, évidemment. Mais faut-il interdire ? Des gens très bien sont contre, d'autres gens très bien pour, leurs arguments également imparables. J'ai longtemps eu, faible que je suis, l'opinion de qui parlait le dernier. Je me demandais ce que je ferais le jour où l'une de mes élèves...
Maintenant je sais. Elle est entrée dans ma classe début septembre, en 1ère STT, ses grands yeux bruns sous la fatale étoffe, et aussitôt j'ai senti, sans raison précise, physiquement senti, une totale absence de danger. Elle me regardait et m'écoutait intensément. Sur sa fiche, elle a écrit : «Hobbies : J'aime parler avec des gens d'autres cultures». Travailleuse, polie, souriante, jouant le jeu scolaire à fond, appréciée de ses camarades, elle s'est fait élire déléguée (en compagnie de notre Coréenne). Je crois bien l'avoir vue rire à mes blagues paillardes. Dans son devoir sur «La religion rend-elle les hommes meilleurs ?», j'ai lu en me frottant les yeux : «Certains non-croyants sont meilleurs que certains croyants.»
Le portrait-reubeu diffusé par la presse en prend un coup...
(En lisant le sujet, tout de même, elle a eu cette question étrange : Il faut dire ce qu'on pense ? — On n'est pas obligé, Fatima, nous sommes en démocratie, mais on peut le faire et c'est vivement souhaité. — Ah bon...)
Je leur donne à traduire un texte de mon cru sur l'affaire Rushdie, en prévenant Fatima que si elle est choquée elle peut me faire un autre devoir. — Non, ça ira. Elle traduit tout, sauf dans le passage où Dieu engueule ses prêtres, où elle remplace les mots «J'aime qu'on se foute de ma gueule» par «J'aime qu'on se moque de moi». Aucune objection quant au fond. Juste un point de bienséance : Dieu ne doit pas dire de gros mots.
(Je ne lui garantis rien si un jour elle le rencontre...)
La proviseure-adjointe, qui refuse d'interdire le foulard, essaie de convaincre Fatima. Échec. Une collègue, une seule, monte sur ses grands chevaux laïques. Fatima ôte le foulard à son cours. Pour ma part, j'informe la petite que quelle que soit mon opinion personnelle sur la question, son couvre-chef ne me gêne pas, que je suis même prêt à la défendre en cas de besoin.
Bref, le problème du foulard est encore plus compliqué que l'image qu'en donnent les gazettes. Et en même temps plus simple, pour moi, sur le plan pratique. Pas question de priver ces filles de l'école, cette passerelle avec le monde moderne, cet antidote au poison puritain. Accueillons-les sans les brusquer. Dans quelques mois, quand je connaîtrai mieux Fatima, je tenterai peut-être un bout de dialogue. Je l'écouterai surtout. Pour la convaincre, les mots seraient vains, je crois. Vains comme la loi que nos Messieurs préparent, qui sera une défaite pour la petite, et pour nous Gaulois plus encore.
Le recours à la force, aveu d'impuissance...
Fichu foulard. En septembre prochain, quand je verrai Fatima «en cheveux», comme on disait jadis, je ne me sentirai pas fier. (Si elle revient.)
L'autre jour, sa grande copine se pointe enfoulardée elle aussi. Le lendemain, tête nue. — Et alors, Zahia, plus de foulard ? — Oh moi, je le mets quand ça m'arrange, c'est commode, pas besoin de se coiffer... Je me tourne vers Fatima : — Hé, hé, je comprends tout !
Elles sourient poliment.
(Journal infime, 2003)
La solitude du traducteur ? Quelle solitude ? Les occasions de voir du monde ne manquent pas. Assises, colloques, réunions associatives, prises de parole dans des bibliothèques ou des librairies, édition d'une revue, participation à des jurys, enseignement, toutes ces activités me semblent nécessaires, enrichissantes pour les autres et avant tout pour soi-même. Elles n'ont qu'un inconvénient : pour peu qu'on s'y adonne avec le sérieux qu'elles méritent, on n'a plus le temps de traduire...
Les années passant j'ai dû faire des choix, mais s'il fallait ne conserver qu'un seul de ces travaux périphériques, ce serait pour moi l'enseignement. Transmettre son savoir-faire, n'est-ce pas pour l'artisan un instinct vital, visant à propager l'espèce ?
J'entame ces jours-ci ma quinzième (ou seizième ?) année à l'institut d'anglais Charles V de Paris VII et au CETL de Bruxelles. J'y fais la même chose depuis le début avec des jeunes traducteurs : un travail sur le français. C'est là que tout se joue : dans l'habileté du traducteur à manier sa propre langue. Je m'attache à développer cette habileté à force d'exercices d'écriture et de saines lectures. Je crois savoir que certains pros des Belles-Lettres ricanent à propos des ateliers d'écriture ; il me semble qu'une partie au moins de mes apprentis y trouve son compte, ou du moins son plaisir.
Je reprends presque toujours les mêmes exercices, faute de temps mais aussi par choix pédagogique : l'exercice peu à peu s'enrichit des solutions de groupes successifs. Non, je n'en ai pas du tout marre. Pas plus qu'un concertiste qui reprendrait deux fois par an la même sonate de Mozart ou Schubert. Les musiciens et les comédiens — mes saints patrons — le savent : ce n'est jamais deux fois pareil. Et puis cette lecture enfin patiente et profonde apporte une consolation, l'impression de se racheter de nos lectures habituelles, si tristement superficielles, qui sont comme des traversées de ville en voiture à cent à l'heure.
En 1988, dans un groupe informel composé d'amis (Ginette Dugand, Michelle Barbe...), nous avions exhumé le jeu ancien des bouts-rimés. On donne les rimes, reste à écrire le reste. Encore un travail sur le vers, l'un de mes grands dadas : la clef de l'écriture, c'est le rythme, et pour maîtriser les rythmes, rien de tel que la maîtrise du vers.
Ange / laitier / orange / sentier...
Pas facile. Pourtant, ce jour-là, trois ou quatre quatrains savoureux furent pondus ; s'y sont ajoutés depuis, au fil des séances parisiennes et bruxelloises, une bonne cinquantaine d'autres, élaborés plus ou moins en commun, d'une extrême diversité. Je rêve de les publier un jour : leur lecture produit, à la longue, un vertige insidieux.
Parmi tout ce que je dois à ce travail de formation, il y a l'un de mes livres : l'origine du Verbier, ce sont les notes prises au cours de mes lectures pour illustrer mes séances d'écriture. Ce qui m'a le mieux appris à écrire, c'est de l'apprendre aux autres...
C'est à toi, Soudain, que je m'adresse.
À toi, Soudain nourri de rêve,
beau gosse, d'une bravoure folle,
enfant bâtard de causes inconnues,
qui préserves
du Rare la rareté,
montrant une granitique indifférence
pour la passion lascive, douloureuse
que nourrit pour toi la Fréquence.
Étincelle née du frottement têtu
d'une attente contre un renoncement,
que tu abreuves de carafes et de soifs
sans recours aux sources, aux fontaines.
Temps venu de Dieu,
petit corps
qui ta force monstrueuse accumules
en accumulant des lenteurs,
Messie en un seul mot,
séisme qui abat
nos Invariables anti-sismiques,
c'est à toi, Soudain, Intercession portant le monde,
que déchirée je m'adresse
pour que tu viennes délivrer
mon dernier corps ici-haut
délivrer
sa palpitation asservie
au maître le plus dur que j'aie connu
le plus sanguinaire
le plus paranoïaque
son maître assis-debout
assis-debout
assis-debout...
De temps en temps l'avenir se souvient de nous
si loin soit-il,
souvent nous recevons un vague message
écrit à toute allure
car il part sans cesse
encore plus loin.
Que faire avec ça ?
Des écrits que personne ne lit.
Personne parmi nous ne sait lire
ce que l'avenir écrit.
Si ce n'est quelques rares
et savantes espérances.
On peut toujours courir.
(Mon dernier corps)
(réponse sur le numéro de la citation...)
J'appelle égoïste celui qui ne pense pas à moi.
Il n'y a que les âmes méconnues et les pauvres qui sachent observer parce que tout les froisse et que l'observation résulte d'une souffrance.
J'ai compris deux choses : la première c'est que si tu as l'air trop fort, on te tue parce qu'on a peur de toi ; la seconde, c'est que si tu as l'air trop faible, on te tue aussi, cette fois simplement pour s'amuser.
Il y a deux sortes d'hommes — ceux qui subissent le destin, et ceux qui choisissent de subir le destin.
Ceux qui serrent trop fort finissent par lâcher.
Des brutes en bleu s'acharnant sur un SDF, un jeune enseignant qui s'interpose, une nuit en garde à vue, un procès : j'avais déjà évoqué cette affaire. Le jugement vient d'être rendu. Brice Petit est acquitté, mais... condamné pour diffamation ! Il avait rendu public le nom d'un de ses bourreaux. L'innocent condamné pour avoir nommé le coupable... Le père Ubu a encore frappé.
Jean-Michel Maulpoix, poète, enseignant à Paris X, directeur de la Maison des écrivains, est conjointement condamné pour avoir diffusé la lettre litigieuse de Brice Petit sur son site.
Une autre lettre envoyée en mars à M. de Villepin, alors patron des cogneurs, rédigée et signée par trois de nos grands poètes, n'a pas reçu de réponse. Tant de mépris ne doit pas surprendre : Villepin et la poésie, aucun rapport.
Dédain ? Futilité ? Lâcheté ? La postérité jugera notre play-boy pour ce silence. Son mépris est déjà retourné à lui comme un boomerang.
Que faire pour ne pas écumer de rage dans son coin ? S'informer sur le site de François Bon (tierslivre.net) ou celui de Maulpoix (maulpoix.net). Envoyer de l'argent au comité de soutien. Et méditer la superbe lettre ouverte du jeune prof persécuté à Villepin, d'où j'extrais cette ligne :
«Un visage battu est un visage qui me regarde.»
Encore faut-il avoir des yeux pour voir. Êtes-vous encore capable, monsieur le marquis, de détacher les vôtres de l'horizon 2007 et de votre miroir pour apercevoir un instant les petits hommes qui grouillent et souffrent à vos pieds ?
Que des juges soutiennent les flics jusqu'à l'injustice, voilà qui dans un sens est naturel. Certains parents, de même, couvrent les pires conneries de leurs enfants — jusqu'au jour où ceux-ci, élevés sans règle, viendront les égorger.
J'allais écrire : revenons à la Littérature. Mais voilà un bien grand mot.
«Cela fait un moment déjà que X. nous donne de beaux romans. N. avait même réussi à susciter enchère sur enchère à la foire de Francfort, avant d'être traduit dans douze pays.»
Je lis ces lignes dans l'un de nos plus sérieux journaux.
Beau roman = roman bien vendu dans les foires. Cette équation pourrait indigner certains. Pour ma part, je choisis d'en sourire. Tant de fraîche naïveté m'enchante, chère Mme Grangeray.
Revoici la rentrée littéraire. En attendant que ça passe, quittons la cohue, les cris des camelots et les bruits de grosses caisses pour un petit coin de silence et d'air pur en compagnie de livres moins neufs.
Des bons livres, il s'en trouve aussi dans le raz-de-marée boueux qui déferle. On verra ça quand tout aura décanté.
Reprise aussi au lycée de Chèvres. À la réunion de rentrée des profs, notre proviseure, Mme Zanaret, annonce les excellents résultats du lycée (nous avons fait un carton au bac), lesquels doivent beaucoup, selon elle, à l'ambiance agréable installée chez nous. La bonne humeur et la décontraction, propices au travail ? Seuls les pisse-froid verront là un paradoxe.
La chef d'établissement évoque ensuite, avec une joie non dissimulée, les succès de nos deux héroïnes : Fatima et Célia.
Fatima, c'est ma fille au foulard (voir ci-dessus). L'an dernier, quand la loi nous est tombée dessus, la modération de chacun a désamorcé les conflits. Fatima enlevait la chose en arrivant au bahut et la remettait en partant. À la fin de l'année elle a eu son bac, mention Très Bien — seule de sa classe.
Célia, elle, était venue voici deux ans solliciter une place en hypokhâgne. Infirme moteur cérébral, elle bouge et parle à grand peine. Notre lycée à flanc de coteau n'est pas équipé pour l'accueillir. Elle a été prise malgré tout. Les efforts de tous, personnel, professeurs, camarades ont surmonté les obstacles. En juin dernier Célia a tenu sa partie dans une pièce de théâtre au lycée avant de passer l'oral de Normale sup Lyon. Elle a été l'un de nos deux reçus.
Mme Zanaret cite à ce propos René Char :
«Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. À te regarder, ils s'habitueront.»
C'est ma trente-sixième réunion de rentrée, et la première où j'entends citer un poète. Un bonheur ne vient jamais seul.
Au fait, René Char... Oserai-je l'avouer, je l'ai peu fréquenté depuis mes vingt ans. À vrai dire, sa hauteur, sa raideur me gênent désormais ; son obscurité qui m'impressionnait jadis me semble parfois virer à l'artifice, à la pose.
Un livre n'a pas arrangé son image : Plutôt que d'en pleurer, de Gil Jouanard (Verdier), galerie de portraits où défilent à peine masqués une vingtaine d'écrivains. Un petit bijou doux-amer. Char (le Char de la fin) y est épinglé en deux pages imparables, chef-d'œuvre de vacherie jusque dans l'éloge. On y voit le Grand Homme changé en sa propre statue, crachant mécaniquement de l'Obscur.
Si je relisais le dernier Char, je le trouverais peut-être aussi décevant que le Ponge ultime, devenu bavard et pontifiant ; mais les Matinaux de 1950, que je viens de rouvrir ! Plus vif encore que dans ma jeunesse. Frais comme la foudre.
«L'intensité est silencieuse. Son image ne l'est pas. (J'aime qui m'éblouit puis accentue l'obscur à l'intérieur de moi.)»
«Entre ton plus grand bien et leur moindre mal rougeoie la poésie.»
D'accord, je n'y pige que couic, mais en même temps quel sentiment d'évidence ! D'où vient donc sa force, à cette rougeoyante lumière ?
Je voudrais être l'herbe de cette prairie.
Il y a comme ça des livres qui sentent bon dès le titre. Celui-ci, publié aux éditions de l'Aire, à Vevey en Suisse, est signé Corinne Desarzens. Si je ne connaissais pas encore celle-ci, c'est qu'entre les livres de là-bas et nous se dresse un obstacle plus haut que le Jura : notre arrogance hexagonale.
L'herbe est l'héroïne et le fil conducteur de ce livre vagabond, qui se tisse brin par brin, errant de pays en pays, de prose en poésie, rêveur, imprévisible, dans une langue fine et souple qui restitue toute l'acuité des sensations.
Dans un parc de Bruxelles en été, un homme d'affaires tombe la chemise et se roule dans l'herbe :
«De son plein gré, il tombe momentanément dans l'oubli, un oubli tiède, délicieux, qui arrête les aiguilles des horloges et laisse flotter les phrases comme des bouchons, bribes du monde que congédie, orange, joufflu, glutineux, ogre, dieu, le soleil à travers les paupières.»
Au passage la Desarzens salue d'autres livres, avec de grands écarts là aussi, de Dickens à Claude Simon, de Vian à Cingria.
Ah ! Cingria... Un peu le genre Dhôtel : inconnu du grand public, mais suscitant la ferveur de cercles amicaux où sympathisent des gens très divers, tous parfaitement fréquentables.
Un qui fut proche de Dhôtel, c'est Jean-Pierre Abraham dont j'avais tant aimé Armen (réédité au Tout sur le tout) et dont je lis aujourd'hui La place royale. Recueil posthume, un peu hétéroclite, mais la moindre ligne d'Abraham est à ruminer — même cette description longuette d'une place de Rennes, qui nous touche in extremis en plein cœur. On retrouve dans ces contes et récits les paysages de bout du monde, îles, phares, océans, et l'homme si petit face à la terreur immense de la mer. Lire Abraham, c'est plus que lire, c'est sortir de soi, aller vers ce qui nous dépasse — et en même temps, au milieu du grand tumulte, trouver un coin de silence au fond de soi. L'homme Abraham était admirable. L'écrivain aussi. Dans sa simplicité, son dépouillement, sa prose atteint une densité, une pureté inimitables.
Un autre homme essentiel nous quitte : Jacques Lacarrière, parti vadrouiller dans l'autre monde. Plusieurs de ses livres ont ouvert pour moi des portes et des routes : pas seulement le célèbre Été grec, mais Chemin faisant, récit d'un voyage à pied ; Les hommes ivres de Dieu sur les anciens ermites ; Ce bel aujourd'hui, où ce grand fréquenteur des temps passés posait sur le monde moderne un regard amical... Grâce à lui je vois et je comprends un peu mieux ce qui m'entoure. Le monde est devenu plus riche et plus beau.
Peu d'hommes ont été aussi libres que lui, aussi rayonnants.
J'ai écrit mon premier livre pour cinq ou six personnes, dont lui, qui ne l'a jamais su.
Adieu, Jacques. Les grains que tu as semés ne seront pas perdus.
Le monde ? Inépuisable. Trottinant comme un vieux dans la banlieue proche de chez moi, je découvre encore des coins nouveaux. Le coteau de Bellevue, entre la maison de Céline et l'atelier secret de Michaux juste au-dessus, renferme des trésors, sentiers perdus, jardins de rêve.
La banlieue coule dans mes veines. Ou c'est moi qui coule dans les siennes. Le bout du monde à Neuilly-Plaisance fut une tentative pour écrire ces lieux-là, un exercice à la Ponge : construire un livre en forme de banlieue.
J'ai deux autres projets banlieusards, utopiques.
D'abord, un dictionnaire où seraient répertoriées, commune par commune, les apparitions de la banlieue dans les livres et les films. Travail évidemment gigantesque, et qui voudrait lire ça ?
Ensuite, une série de polars situés chacun dans une banlieue différente, à l'image des Mystères de Paris de Léo Malet. Mais moi je n'écrirai jamais de roman, et quel fou voudrait se lancer dans ce chantier géant ? Combien sont-ils, ceux pour qui la banlieue existe, qui voient en elle un pays, une patrie ?
Ébauche possible de ces Mystères de banlieue : Hirondelles sur le web, de Serge Abiteboul et Luc Blanchard (Editions Studio graph). Un polar astucieux et prenant qui se déroule à Sèvres : j'y retrouve non seulement des lieux, mais des personnages familiers, l'intrigue mêle de façon séduisante un futur tout proche (le Web est l'un des personnages principaux) et un passé plus lointain, l'Occupation, d'où émergent deux grandes figures locales : Roger et Yvonne Hagnauer, qui recueillirent et sauvèrent de nombreux enfants juifs. Le grand format du volume permet un dialogue entre récit, textes annexes et illustrations, et les dessins sont de Seb James, qui couvre en ce moment nos murs sévriens de très belles fresques. On pourra trouver que les méchants de l'histoire sont vraiment très méchants et les bons très bons, mais c'est la loi du genre et tout cela vous a un côté anar-écolo qui réchauffe le cœur : non, Sèvres n'est pas seulement une réserve à bourges ! Sèvres a une partie de son cœur à gauche !
Les auteurs d'Hirondelles sur le web animent également, dans le même esprit, un site local citoyen exemplaire : sevres-pratique.com (cf. Liens).
Toujours dans les nouveaux Liens, une autre association locale irremplaçable : Espaces.
Les polars peignant un monde de bruit et de fureur, Hirondelles ne mentionne pas l'un des hauts-lieux sévriens : la pagode, qui pourrait servir d'emblème à notre petite ville. Oui, Sèvres est plutôt sereine, plutôt zen...
Photo Michel Lamoureux |
J'ai rarement autant jubilé au cinéma qu'en voyant Toutes les nuits et Le monde vivant, les deux premiers films d'Eugene Green. Travaux d'artisan, auteur inconnu, budget ridicule. Une façon neuve de raconter l'histoire, de filmer, de dire le texte. Un dédain tranquille des modes, une solitude superbe, et sous l'apparente froideur une intensité brûlante. Green s'est fait remarquer, on lui a confié de l'argent, des acteurs connus, il a tourné Le Pont des Arts qui s'est taillé un beau succès. On s'accorde à y voir son meilleur film. J'ai d'abord joint ma voix au chœur, par conformisme. En fait le proclamé chef-d'œuvre me laissait un petit arrière-goût saumâtre, qui depuis n'a fait que se développer.
Je commence à comprendre ce qui cloche. Green, pour la première fois, se moque longuement et lourdement de certains de ses personnages, derrière lesquels on devine des personnes réelles. Comme si un saint descendait de son extase pour lancer aux voisins des insultes grasses. Green le pur trempe dans le parisianisme et la mesquinerie. Le fric et la gloire vont-elles perdre son âme ?
Denis Podalydès et Olivier Gourmet font là l'un de leurs numéros les plus virtuoses — dans des scènes brillantes et d'une tragique nullité. Vedettes surajoutées, greffe ratée. Triomphe apparent, désastre secret.
C'est l'obsédant Irma Vep d'Assayas qui m'a fait repenser au Pont des arts. Assayas caricature le monde du cinéma et le journalisme aussi violemment que Green les milieux de la musique et du théâtre. Pourquoi donc son attaque à lui ne me gêne-t-elle pas ?
Sans doute Assayas ne divise pas le monde en deux parties, bons et méchants, il ne s'épargne pas, tandis que Green fait sous nos yeux son entrée au club des donneurs de leçons, des méprisants, des sûrs de leur talent, qui partout et toujours m'emmerdent et me font fuir.
Minuit, le téléphone sonne. Un numéro de portable grec. Prudence. Je ne décroche pas. Une voix mâle, rauque, inquiète, Micel ?... Micel ?... Micel ?...
Encore un qui ne sait pas laisser un message.
Foutue curiosité : je rappelle. Un total inconnu qui me tutoie d'entrée. Bourré sans doute. Micel, tu veux traduire mes poèmes ? Je les ai montrés au critique X, il m'a dit qu'on n'a rien écrit de plus beau ces vingt dernières années. Je t'envoie le manuscrit ou j'attends que ce soit publié ?
Je ne sais si une scène pareille serait possible ailleurs qu'en Grèce.
Je repense à ce que dit un ami de là-bas : un Grec sur dix est poète, et les neuf autres croient qu'ils le sont.
(Comme quoi certains d'entre eux, malgré tout, savent se moquer d'eux-mêmes.)
Il n'y avait pas la grande foule dans les caves de la librairie le Rameau d'or, à Genève, le samedi matin 24 septembre, pour écouter .......... et moi-même causer jardins en compagnie de Karelle Ménine, mais le lieu est chaleureux, la librairie accueillante et bien fournie. Qu'on se le dise : le Rameau d'or, c'est 17 boulevard Georges Favon 1201 Genève, tél. 22 310 26 33.
En novembre, on ne chômera pas ! Il faudra se fâcher contre les grands de ce monde ; prendre en pleine gueule des colères de profs ; faire la tournée des bibliothèques et des librairies de province ; scruter la prose de Pierre Autin-Grenier et celle de Mènis Koumandarèas ; et surtout, grimper en courant la terrible côte qui part des étangs d'Ursine jusqu'à la tour hertzienne, vous voyez laquelle ?
À l'arrivée, pour toute récompense, deux pubs ! Aussi nulles que les précédentes ! Aaaaargh !
SCORPION du 24 octobre au 22 novembre
Pas envie de vous lever à l'aurore, ce dimanche matin, pour aller rouler ? Allez-y quand même. Si on commence comme ça on ne se lève plus jamais, non mais alors.
Quand votre motivation baisse dangereusement, lisez Fottorino. Oui, Eric Fottorino, journaliste au Monde, qui à quarante ans reprit l'entraînement pour un pari gonflé : couvrir la distance d'une course par étapes difficile, le Grand prix du Midi-Libre, en léger différé par rapport aux pros. Le récit de sa préparation, Je pars demain (Stock), drôlement bien torché, est un concentré d'énergie. Quel dommage que le récit de sa course, paru dans le journal, n'ait pas été lui aussi repris en volume !