PAGES D'ÉCRITURE

N°6 Février 2004



TRANCHE DE VIE


Il y eut d'abord, pendant plusieurs mois, un masseur-kinésithérapeute qui s'usa les doigts deux fois par semaine à triturer le point malade : derrière le genou gauche, côté interne, un mince fil tendineux, deux centimètres. Un médecin à 250 balles me fit dans me même coin vingt petites piqûres d'un coup, puis, des semaines plus tard, une grosse. Effet nul. Un second médecin, à 500 balles, ne m'offrit d'autre salut qu'un coup de bistouri et trois mois sans courir. J'allais me soumettre quand mon podologue m'en dissuada. Il me tailla de nouvelles semelles, muni de quoi j'ai pu courir quarante-cinq minutes au lieu de trente.

Je suis entré avec lui dans une autre phase, plus subtile, où l'on ne soigne plus directement la partie blessée, mais ce qui l'entoure et l'influence. Il m'a indiqué un ostéopathe qui sans même toucher le tendon m'a redressé le bassin, puis piqué dans l'oreille avec une allumette brûlante. Résultat : un nouveau petit mieux. Mais au lieu de m'en tenir à cet homme-là (totalement surbouqué par ailleurs), j'ai voulu continuer la recherche, menant autour du mal un mouvement tournant.

Désormais je consulte à Sèvres, sur le coteau d'en face. Lucile Cachemart est une femme de mon âge, douce et discrète, presque transparente. Elle me masse à travers mes habits, la jambe, l'autre, le bassin, les bras, les épaules, le cou, sans un mot, en de très lents va-et-vient. Les kinés que j'ai connus, bons ou moins bons, me faisaient la conversation comme des coiffeurs ; elle ne peut pas. Trop concentrée. Elle écoute mon corps si intensément que j'écoute aussi. Je ne saisis rien de leurs conciliabules. À moi elle demande seulement si je n'ai pas froid. Non. Tout est bien. Je plane. Je somnole. Cachemart, calme-cauchemars. Ses mains me communiquent un plaisir profond, sans désir. Ma respiration suit la sienne. Mon corps n'est plus un maître ou un esclave, mais un ami. Je l'ai toujours senti si pauvrement. Mme Pecqueux me le disait voilà quarante ans, quand je tenais mon violon comme un manche. Et maintenant, saurai-je l'habiter mieux ? Comprendre sa langue ? Démêler ses mensonges et ses cris du cœur ?

Le prix de la leçon : cent francs pour une heure, une heure et demie. De l'apostolat. Mieux c'est, moins c'est cher.

Mon vieux bout de caoutchouc moisi va peut-être guérir. Je cours une heure dix. Une heure vingt. Je pourrais cesser la thérapie, mais je veux y retourner encore un peu, approfondir. À chaque séance, un pas de plus. Dans la progression de ces mains légères, tout en détours, tâtonnements, reprises, je retrouve le mouvement de ce que j'écris, des pensées que j'amorce : on passe, on repasse, on tourne sans toucher autour d'un centre, comme autour d'un abcès, ou d'un gouffre — on sait qu'on n'y est pas encore, que c'est juste une ébauche, on n'insiste pas, on reviendra.


(Journal infime, 1999)









LECTURES


Non : aujourd'hui, musique. Mais on ne change pas de sujet. L'écriture n'est-elle pas musique, après tout — et avant tout ?


Il y a dans les Entretiens avec Robert Craft une page épatante où Stravinsky définit les divers styles de musique, du grégorien à nos jours, par une série de petits crobards. Webern, par exemple, est une spirale (ouverte ou fermée ?). Je me suis inspiré de ces figurations pour l'un de mes exercices d'écriture, sans doute le plus complet : il s'agit d'écrire des phrases en forme de ligne droite, de sinusoïdale, de courbe ascendante, de cercle, d'étoile... L'idée, c'est qu'un texte vraiment écrit a une certaine forme, au sens le plus visuel (forme intérieure aussi bien qu'extérieure), laquelle nous parle autant que les mots eux-mêmes. Je le sens mieux que partout dans les longues phrases de Proust ou de Claude Simon, dont les embranchements, les entremêlements me racontent l'infinie complexité du monde.

Ça prolifère. Chaque morceau de musique tend désormais à se traduire pour moi en lignes et trajectoires. J'en vois certains monter, d'autres descendre. Dans la Wanderer Fantaisie de Schubert, au finale, la mélodie se hisse de demi-ton en demi-ton, piétinant, tant c'est lourd à charrier toutes ces notes, avec un élan impérieux quasi beethovénien — juste un peu plus doux, plus humble — dans un grand dépassement de soi. La Nuit transfigurée de Schoenberg, à l'inverse, est un fleuve qui descend vers la mer ; dès le début on sent l'estuaire tout proche et l'on n'en finit pas d'y entrer, comme si le temps ralentissait à mesure. Messiaen nous fait le même coup du suspens dans les Vingt regards sur l'enfant Jésus : on y approche éternellement le sommet de la montée, juste avant la vue sur la terre promise.

Poulenc, Dialogues des carmélites : chemin droit, lente marche à la mort (ploum, ploum... oumpah, oumpah...) scandée par les basses implacables.

La musique est faite pour avancer. Je n'en suis que plus troublé par la douzième Étude de Debussy, avec ses accords lourds, fermés, ses marmonnements, ses ressassements, qui réussit par instants ce prodige : aller à reculons. C'est l'époque où le même Debussy, dans Jeux, joue avec le temps, le distend, le retend, l'éparpille dans une débauche de virages et de contre-pieds ; où Le sacre du printemps de Stravinsky trépigne, bondit, trépigne et entrechoque ses blocs. Toutes ces musiques m'entraînent dans leurs mouvements, tandis que Chopin me laisse froid — non pas le vrai, mais celui des pianistes-chochottes qui se pâment, freinent dans les courbes, imitant les ralentis ringards du cinéma ou les sprinters au vélodrome, tantôt presque arrêtés, tantôt moulinant comme des malades.

Bach : on part, on ne s'arrête plus. Je n'ai pas chanté le premier chœur de la Passion selon Saint Jean, dont on sort, paraît-il, crevé comme par un 5000 mètres ; mais je n'oublierai jamais Saint-Mathieu que nous abattîmes en 3 h 10, le temps que je mettais alors au marathon, et qui me laissa presque aussi lessivé. Le flot musical chez Bach est si continu, si régulier, si linéaire et pourtant circulaire — installé dans le temps et dans l'éternité, coulant comme un fleuve et revenant comme une roue grâce aux motifs sans cesse repris du contrepoint, aux refrains des airs et, d'une œuvre à l'autre, au recyclage de mouvements entiers —, qu'on dirait un voyage immobile, un cycliste sur tapis roulant, ou la poursuite par équipes sur piste où ils sont quatre à tourner en rond ensemble vers le paradis du podium, prenant la tête chacun son tour puis s'effaçant comme les voix d'une fugue.

Bach, il faut se laisser aller, s'y perdre. Je l'ai senti mieux que jamais l'hiver dernier dans les Cantates. Je n'écoutais qu'elles, qui me tenaient chaud. Je voulais acheter les dix coffrets (six disques chacun), les connaître toutes. Raté : je les mélangerai toujours. Je ne reconnais que certains passages, dont celui qui résume le mieux cet hiver si long : l'introduction de BWV 8, Mon Dieu quand donc... La note à la flûte infiniment répétée résonne encore en moi, signe d'un temps qui n'avance plus.

(L'album 10, le seul qui me manque, je n'en veux pas. Clore la série serait sacrilège ; il faut qu'elle reste sans fin.)

Ces jours-ci, Bach s'éloigne un peu. Mes oreilles s'ouvrent, étonnées, aux symphonies de Sibelius. J'en écoutais naguère des bouts à travers un mur de préjugés. De la musique mineure et d'arrière-garde, pensais-je. Voilà que j'y trouve des choses inouïes.

Cette musique-là ne chemine pas comme les autres, qui se dévident comme un fil, d'un seul mouvement — même les plus sinueuses, même la sonate de Ravel où violon et piano, se tournant le dos, marchent pourtant côte à côte. Chez Sibelius, le fil est près de s'effilocher ; quelques notes se détachent du groupe, avant qu'il se reforme et vire soudain ; on dirait un cheval qui avance droit en regardant de côté, ou le contraire. Une musique un instant hésitante, égarée entre plusieurs temps simultanés — dans les premiers mouvements surtout — et qui me parle, me guide à sa façon, de biais, sans mots, obscurément.

L'écriture, une fois de plus, boitant derrière la musique...


Pour voir les dessins de Stravinsky, cliquez sur le mot "crobards", § 1.


(Journal infime, 1999)









NOTES DU TRADUCTEUR


La lumière, en grec, se dit φως. Mot d'une force incomparable, par sa simplicité de monosyllabe où éclate son côté élémentaire, absolu ; par son genre, le neutre, qui n'apparaît pas ici inférieur, mais supérieur au masculin et au féminin qu'il dépasse ; par ses sonorités, à la fois étouffantes et fraîches. Mot bref, mais que le sifflement final prolonge sans fin. On dit φως, et plus rien n'existe que ce feu omniprésent, tyrannique, avec toute la terreur et la douceur qu'il rayonne.

On imagine le désarroi du traducteur français, muni de sa seule «lumière», laquelle n'est pas sans charme, avec sa langueur humide, féminine, faite pour l'Ile-de-France, le Val de Loire — attention, la mièvrerie est proche...

En cas de danger, tous les moyens sont bons. Que le lecteur ne soit pas choqué si la lumière, parfois, se change en éclat, en jour (encore que jour, selon Mallarmé, ait plutôt des couleurs de nuit), voire en feu !


*


Ανάβεις το φως. Σβήνεις το φως.

Traduction mot à mot :

«Tu allumes la lumière. Tu éteins la lumière.»

Apparemment, pas de problème. Sauf qu'une telle traduction, à mon sens, n'est pas vraiment exacte : elle déplace nettement le centre de gravité de la phrase. On a en grec :

Ανάβεις το φως. Σβήνεις το φως.

L'accent tombe sur les verbes : c'est ce qui change qui ressort.

En français, l'accent est le suivant :

«Tu allumes la lumière. Tu éteins la lumière

La variation passe au second plan, la répétition s'impose avec lourdeur. Pour rétablir l'équilibre,

«Tu allumes la lumière. Tu l'éteins»

me paraît plus juste. La répétition (tu + verbe) est toujours là, mais hors l'accent. La variation retrouve sa place au premier plan.


*


7X3, de la poétesse grecque Matsie Hadzilazàrou, se compose de sept poèmes donnés trois fois : dans l'original grec, puis en français, puis en anglais, dans des traductions de l'auteure elle-même.

Ces traductions, sans être des chefs-d'œuvre, montrent de façon exemplaire le travail d'un poète sur les mots. L'auto-traductrice ne se gêne pas pour ajouter, supprimer, modifier — ce qu'un autre à sa place n'oserait jamais faire à ce point. Les «pierres du fond» françaises se réduisent à «on the rocks» ; les «mers et continents» de l'original se développent en «mers îles et continents» chez nous ; la montagne grecque devient «steep path», etc.

Je ne comprends pas toutes les ruses de la poétesse, mais la plupart du temps elles m'éclairent vivement. Le grec dit «Ils se sont mis à danser», phrase qui dans cette langue est souple et vigoureuse, grâce à des consonnes rebondissantes ; le mot à mot français est d'une rare platitude — d'où le choix de traduire par un «martelant des talons» allitéré à souhait, infidèle en surface, fidèle en profondeur.

Et cette «chaleur d'aisselle ou de paume» qui fait place, dans les deux traductions, à «une chaleur d'aisselle ou d'aine»... Pudique, le grec ? Il doit s'agir plutôt d'une question de mots. L'aine grecque ne faisait pas l'affaire. Elle se prononce [vouvònas] : mot lourd, moche, pas bandant pour deux sous.

(Cela dit, «aine» en français, pas réjouissant non plus... J'aurais choisi un autre mot, relayant jusqu'à l'obsession les sons sifflants du mot «aisselle»...)









LE POÈTE DE L'ANNÉE

Stratis Pascàlis


TEMPLE VIDE


C'était le soir et les rues se vidaient

les rideaux de fer descendus à grand bruit

le soleil qui palpite les nuages qui saignent

les bois — la ville — devenaient noirs

et je me trouvai sans savoir comment

devant une grande église

la porte encore entrebaîllée

bouche obscure

qui semblait m'attendre.


Je montai les marches de marbre

me glissai dans le trou

— comme une grotte creusée dans le roc —

un vide énorme une nuit sphérique

où tremblotait au loin l'étincelle des veilleuses,

à l'horizon une foule de lunes ensemble

se levant dans la brume : les vitres étroites,

une armée de saints en peinture

et en face tout en haut, un abîme — la Vierge à l'Enfant.


Et tandis que j'avançais plantant un cierge au chandelier

derrière moi j'entendis chuchoter deux voix,

la sacristine et une vieille,

que je n'avais pas remarquées en entrant.

Mais je les sentais elles aussi s'apprêter

à fermer impatientes que s'accomplisse

mécaniquement le baiser aux icônes, la génuflexion d'usage

le dernier coup d'œil

au sanctuaire, que je ne distinguais pas

(mais quelle apparition triomphale attendais-je

dans les noires profondeurs ?)

et je sortis, restant un peu pour voir

— quelque chose me retenant — la fermeture du Magasin

par les deux femmes.


Elles déposèrent sur le muret leurs baluchons

et les grands cierges tordus éteints.

Puis elles tirèrent, poussèrent la lourde porte

et juste avant que les deux battants de bois se rejoignent

l'une se pencha (la sacristine sans doute) et dans la mince ouverture

se courbant plus encore, cria, la voix perçante :

«Il y a quelqu'un ?»

et à voix plus basse, étouffée : «Je ferme !»


On entendit sa voix se briser en cris sans nombre

affreusement dans la nuit infinie

et retomber en miettes


«Il y a quelqu'un ?» — comme si quelqu'un perdu dans le fond

allait sûrement être enfermé là

comme si l'absence, le vide absolu

était précisément ce qui pouvait convaincre

que quelqu'un sûrement était là.


(Cerisiers dans les ténèbres)









CULTURE GÉNÉRALE

Savez-vous d'où viennent ces phrases ?

(réponse sur le numéro de la citation...)



1


Un solide égoïsme préserve de la maladie, mais à la fin on doit se mettre à aimer pour ne pas tomber malade.



2


Les champs, tout bien compté, ne sont pas aussi verts pour ceux qui sont aimés que pour ceux qui ne le sont pas.



3


On nomme amoureux celui qui, en courant sur la neige, ne laisse pas de trace de ses pas.



4


L'amour est spirituel jusque dans la chair et charnel jusque dans l'esprit.



5


Cette chose plus compliquée et plus confondante que l'harmonie des sphères : un couple.









BRÈVES


Je croyais, en ouvrant ce foutu site, être celui qui inciterait les autres à lire. Or je me retrouve, arroseur arrosé, sous un bombardement d'idées de lectures lancées par des volkonautes persuasifs. Comment résister ?


*


Tu as lu Grozdanovitch ? demande Martine de Nantes.

Jamais entendu ce nom. Denis G., sauf erreur, n'a publié qu'un livre (quelle sagesse !), chez Corti (bravo !). Ce Petit traité de désinvolture me réjouit fort. Plaisir un peu narcissique, il est vrai : nos écrits riment autant que nos noms. Si l'on n'aime pas mes histoires infimes et mes ambiances ténues, si l'on préfère les cris aux chuchotements, on fera mieux d'aller voir ailleurs. Mais il serait dommage de ne pas lire au moins le chapitre intitulé «Titi» : une merveille.


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Et Adélaïde Blasquez, tu la connais ? C'est quelque chose ! (Martine encore.)

En effet : Le bel exil (Grasset) raconte avec fougue, rage, tendresse, humour, passion, le parcours entre Espagne et France d'une femme blessée par toutes sortes d'exils, mais indomptable. Ecriture dense, expressive, superbe. Merci Adelaida Blásquez. Merci Martine.


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Michel, il faut que tu lises Armen de Jean-Pierre Abraham !

D'accord, cher Alain. Cet Abraham, qui vient de mourir, je le connais un peu. Le guet, chez Gallimard, m'a laissé un souvenir très fort. Voilà des lectures qui lavent le regard et agrandissent l'horizon. L'ennui, c'est que Armen, autre livre-phare, est pour l'instant épuisé. Cher Seuil, qu'attends-tu pour lui donner une seconde vie en poche ?

Pour me consoler, Le quêteur de mémoire, autobiographie de Pierre Jakez Hélias, collection Terre humaine, qu'Alain me recommande aussi. Les pages sur la khâgne de Rennes dans les années 30 sont bien brèves, mais le reste m'a subjugué. Dans un beau français classique d'instituteur d'autrefois, Hélias raconte comment il a découvert, puis travaillé à sauver un trésor méprisé, au bord de disparaître : la tradition orale bretonne.

(Et nous, aujourd'hui ? Quel est le trésor menacé qu'il faut sauver, là, sous nos yeux, et que nous ne voyons même pas ?)


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Je n'aurais pas eu l'idée d'entrer dans les deux livres de Jean Hatzfeld sur le Rwanda, dont le second vient de faire parler de lui, si un autre ami de bon conseil ne m'y avait poussé. Ce génocide impensable, je croyais que lire la presse nous en faisait faire le tour. Erreur ! Pour prendre la mesure de l'atrocité, ou plutôt la découvrir immesurable, il faut se plonger dans les témoignages.

Commencé par ceux des victimes tutsies, rassemblés sous le titre Dans le nu de la vie (Points Seuil). Le livre suivant, Une saison de machettes (Seuil), qui donne la parole aux bourreaux hutus, nous mène plus loin encore, me dit-on, dans l'horreur et le questionnement : comment des hommes peuvent-ils ainsi, sans raison, sans émotion, sans remords, tuer d'autres hommes — et du même coup l'humain en eux ? Et continuer de vivre, apparemment ?

Heureusement, il y a la langue, ce français africain que je découvre (fidèlement restitué, ou recréé ?), dont la saveur étrange, l'invention, la vigueur, en un violent contraste avec la noirceur de l'histoire, nous aide à l'affronter, tant il résonne d'un bout à l'autre comme une affirmation obstinée de la vie.


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François Bon, pas besoin qu'on me le conseille. Je le pratique depuis des années. Je prends chez lui des leçons de regard et de maniement de la langue. Il la rudoie, faut voir comme, mais c'est pour notre bien à tous, elle, lui et nous. Mécanique est pour moi l'un de ses livres les plus mémorables. La mort du père, ancien garagiste, l'afflux des souvenirs, enfance vendéenne, petites villes, garages et maisons, lieux humbles, décors enchantés. Comment, pas encore consacré de Coup de langue à Bon ? C'est pour bientôt.


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Pas lu le dernier pavé d'Umberto Eco, mais trouvé ceci dans la recension de la Quinzaine :

«[Eco] déplore (...) cette façon de (...) faire de la lecture "une partie de campagne où on cueille presque au hasard, de-ci, de-là, les renoncules ou les aubépines de la poésie". Parler de littérature implique la maîtrise d'un certain nombre de concepts et la possession d'une érudition en épaisseur.»

Je me sens tout petit... Accès réglementé. Fais voir tes diplômes. Où sont tes concepts ? Gare-toi piéton, place aux Théoriciens, laisse passer les bulldozers.

Heureusement toutes les théorisations ne sont pas nuisibles (j'apprécie souvent les vôtres, dottore Eco), et même les plus desséchantes s'effacent par magie après leur passage, laissant indemnes les sentiers fleuris qu'après elles je parcours joyeusement, lecteur du dimanche, ramasseur de brindilles, en sifflotant faux.


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Pas le temps d'aller au cinéma, j'enrage ! Vu pourtant le dernier Resnais, Pas sur la bouche. Une opérette genre bulle de savon, tirée du plus noir oubli. Certains font la fine bouche : Oui, c'est très bien fait, c'est charmant, mais qu'est-ce que ça apporte ?

Comme si un film, un livre, un tableau, devait avoir un grand sujet. Il les a pratiqués, Resnais, les grands sujets, d'Hiroshima à L'amour à mort en passant par Muriel ou La guerre est finie... Mais voilà qu'avec l'âge il donne dans le futile. Il s'empare de vieux machins démodés, qu'il remonte sans second degré, sans ironie facile, en jouant le jeu à fond. Et là, miracle : ces vieilleries, les voici fraîches et rutilantes, à la fois pleinement elles-mêmes et totalement transfigurées, riches de leur beauté propre et en même temps chargées en douce d'une mystérieuse cargaison. Je repense à Smoking / No smoking, à sa perfection quasi chorégraphique, hypnotique, au fin vertige de folie qui l'imprègne. Dans Pas sur la bouche aussi, le divertissement léger cache la plus pure ascèse et les trésors les plus précieux.

Combien sont-ils, dans l'histoire du cinéma, à être allés aussi loin ?


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Certains de mes anciens élèves devenus pirates du Net ont mis en ligne les phrases que je leur faisais traduire naguère, où ils ont cru déceler, à ma grande surprise, des calembours parfois déshonnêtes... C'est un scandale ! Je suis innocent ! Que ceux qui souhaiteraient connaître Gertrude, Germaine et compagnie ne comptent pas sur moi pour leur dire que lesdites «Phrases de M. Volkovitch» sont sur miahoo.net, entre les histoires belges et les blagues de blondes.

D'autres élèves, actuellement en 2de 10 — précoces, les petits salopards — ont débusqué volkovitch.com. Mickaël, Alex, Delphine, Estelle, vous croyez que c'est l'heure de lire mes conneries ? Allez plutôt réviser votre anglais, bande de filous, il y a une interro surprise demain !


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En décembre, 220 connexions.


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L'index de Fanny Bruidelles a été mis en image au lycée de Chèvres (bâtiment D, salle 305) par Vincent Hammond. Merci à Caroline Valériane et Juliette Coparady.


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Dans la prochaine livraison, le 1er mars, d'autres jeunes visages agréables, ainsi qu'un texte tiré de mes Transports solitaires, «Superman en banlieue», autobiographique sur les bords, en hommage aux jeunes filles en fleurs du légendaire lycée de Brimeil-Lévannes.


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