PAGES D'ÉCRITURE

N°2 Octobre 2003



TRANCHE DE VIE


Ce que j'ai fait le 17 octobre 1961 ?

Aucun souvenir.

Ce fut pourtant une journée étonnante. Magique. Ce jour-là notre police a réussi non seulement à étouffer dans l'œuf une grande manifestation d'immigrés algériens, mais à rouer de coups des milliers d'entre eux, à en tuer des dizaines, des centaines sans doute, qu'elle balança dans la Seine en plein Paris, et ce dans le silence le plus parfait. Un chef-d'œuvre. La presse ne bougea pas. Personne n'avait rien vu. Le secret a tenu plus de vingt ans ; aujourd'hui encore on ne sait pas tout.

En octobre 1961 je n'avais pas quatorze ans. La politique, c'était trop calé pour moi ; j'avais juste une vague sympathie, par atavisme familial, pour la droite qui régnait alors. La même année, un matin, mon copain Loison est arrivé au lycée tremblant de colère : la veille, chez lui à Issy-les-Moulineaux, il se trouvait dans une boucherie quand trois types étaient entrés, avaient jeté dehors un client qui attendait son tour et l'avaient tabassé là, sur le trottoir, sans même se cacher. Le client, Loison le connaissait : un petit Algérien d'une cinquantaine d'années, humble et inoffensif. Les trois voyous portaient des uniformes de la police nationale.

Moi aussi je suis violent. Depuis ce jour-là, cette scène me donne des idées de meurtre — et ce n'est pas l'Algérien que je foutrais à l'eau. Chaque fois que je le vois, cet uniforme bleu, je dois me raisonner, me répéter qu'après tout il n'habille pas forcément des brutes. J'observe les flics à la dérobée, leurs yeux. J'aimerais entrer dans leur âme. Je souris timidement aux fliquettes, avec un peu d'espoir ; les femmes, souvent, sont moins féroces.

Mais qu'est-ce qui m'a pris alors de m'énerver pour ça ? Ce type de ratonnade, plutôt artisanal, était alors si courant, si banal, qu'on laissait les journaux en parler ; les cognes avaient même fait une grosse tête à un député gaulliste vaguement bronzé, par erreur, et cette lavette n'avait pas porté plainte, craignant sans doute que les bourges ne votent plus pour lui. Rien que pour ça il a mérité sa branlée.

L'année suivante, la paix signée entre-temps, j'étais au lycée, j'allais entrer en classe, quand une violente explosion a retenti dehors. Une heure plus tard on savait tout : l'OAS, pot-pourri de toutes les extrêmes droites, qui refusait l'indépendance algérienne, avait posé une bombe devant la maison de Malraux, alors ministre ; elle avait raté le grand homme et défiguré une petite fille. Bien peu de chose, une fois de plus. De quoi donc avais-je l'air, frémissant de rage ? Marc Olifant, lui, déclara virilement que bien sûr c'était fâcheux, mais que quand on fait la guerre on n'a pas le choix des moyens.

Dans notre classe un petit groupe soutenait l'OAS, et Olifant en était l'âme. Plus âgé que nous, ayant redoublé, il était très beau, avec l'arrogance en rapport. L'année d'avant je l'avais vu cracher en rigolant un gros mollard vert sur le manteau de Lonfeux, sans raison. Lonfeux, au lieu de le lui faire bouffer, avait ravalé sa honte. Fils d'un sous-off mort en Indochine, il faisait maintenant partie des conjurés.

Ils n'ont pas conspiré longtemps. Ils furent convoqués chez le proviseur. Le petit chef Olifant fut exilé dans un lycée voisin ; les autres ont rasé les murs. Je vous l'avais dit, clamait M. Mostalini, prof de maths et communiste, elle sait tout la police, elle a des fiches et des photos sur tout le monde ! Plus tard Olifant s'est lancé dans la politique ; il a même été député — socialiste.

1961, c'est presque le Moyen-Âge. Les petits-neveux des noyés, mes élèves, ouvrent de grands yeux quand je raconte ces histoires ; en parlent-ils en famille ? La France est tellement leur pays, désormais, qu'ils ne comprennent rien au mépris qu'elle leur oppose encore, dans son entêtement sénile. M. Papon, préfet de police en 61, a été rattrapé, jugé, un vrai miracle — mais bien plus tard, pour d'autres crimes, et les victimes de ses paponnades n'ont jamais troublé son sommeil. J'ai honte pour deux.

Il se pourrait que je me trompe de cible. Ma colère et celle de quelques autres, c'est drôle, vise uniquement les pauvres bourriques irresponsables, au sens moral anesthésié par l'uniforme, qu'on excita et lâcha comme des chiens, et leurs chefs immédiats du genre Papon, en contournant le vrai coupable : celui qui dirigeait la France, qui sûrement savait tout et qui a laissé faire. Est-ce dû à notre esprit cartésien, pour qui l'homme du 18 juin ne pourrait être aussi celui du 17 octobre ; pour qui on ne saurait en même temps être un grand homme et se conduire en grand salaud ? Ou serions-nous à jamais étouffés par la peur du Père ? Nous qui faisons les farauds tout le temps, serons-nous un jour autre chose que des gamins ?


(Journal infime, 1999)









LECTURES


Ce qui me gêne dans le Vendredi de Tournier dont tant de bons esprits ont fait tout un plat, c'est que cet ouvrage présenté comme roman n'est rien de plus, pendant des pages et des pages, que de la philo carrossée en littérature. On sent qu'il y avait au départ une pensée, qui se trouvant trop nue, ou trop maigre, a cherché à s'habiller d'une histoire. (Un peu justes, les habits : on voit les côtes et les fesses.)

Moi qui n'ai pas le neurone bien agile, je me sens plus proche de livres qui vont en sens inverse, des mots vers la pensée. Qui partent pour raconter une histoire, ou exprimer des sentiments — le reste vient en prime, si ça vient. Ce qui me ravit dans l'écriture, c'est le travail tâtonnant, aveugle, sur les mots, où le sens peu à peu se développe, s'affine, se ramifie, parfois bifurque, si bien que parfois au bout du compte on ne reconnaît même plus son informe embryon de pensée du début. Je ne conçois bien qu'à la fin ; clairement ou non, je dois d'abord énoncer.


*


Les livres, comme la mayonnaise, ne prennent pas toujours. Exemple : Célébrations du même Tournier. Sont rassemblés sous ce titre alléchant de courts essais sur divers sujets, sans aucun souci d'unité ; mais ce qui empêche le tout de faire un livre, ce n'est pas ce tutti-frutti thématique, c'est l'absence d'un souffle, d'un élan qui fasse décoller l'ensemble ; ou d'une obsession cachée qui relierait tout en sous-sol. Ce bouquin n'est pas mauvais, mais plutôt vain, superficiel, écrit avec une aisance un peu convenue par un homme arrivé, pas mécontent de lui. Un livre à la papa, sans urgence ni passion, somnolent.

Je l'ai lu avec délices.

Car cela fait du bien, de temps à autre, un texte pas terrible. Il fait mieux apprécier les chefs-d'œuvre. Il redonne du courage : ce n'est pas tous les jours qu'on peut prendre en défaut un tel cador, de l'équipe Goncourt s'il vous plait, comme un coureur de troisième zone se paye Eddy Merckx au sprint dans le critérium local. Et surtout, quelle meilleure leçon d'écriture ? La perfection endort ; mais tout creux, toute boursouflure chez le confrère fait dresser l'oreille à l'apprenti attentif, qui s'interroge : si je pouvais corriger, là, je mettrais quoi ?

Autre avantage du livre imparfait : il est au monument intouchable ce que le tas de pierres est à la maison achevée. Il part en morceaux. Le confrère échouant à caser tel ou tel bloc, je me sens le droit de le récupérer pour monter ma propre baraque.

Et enfin, et surtout, par contraste, quand arrive le moment génial — car dans tout livre, je veux le croire, il y a un moment génial, conscient ou non — on est frappé comme par la foudre. «6 août, jour de splendeur et de terreur» revient sur une notion fétiche de Tournier, qu'il a évoquée plus haut, celle d'inversion maligne : l'ange devenant démon, la beauté changée en laideur... Le 6 août, c'est la Transfiguration du Christ, où se révèle sa beauté fulgurante ; et c'est aussi la date d'Hiroshima, le feu tombant du ciel. On sent là soudain une angoisse, un vertige, un mystère sacré. La terre frémit enfin sous nos pieds. Plus tard, dans une page sur le Bibendum des pneus Michelin («l'incarnation moderne et automobile de Bouddha»), voici le mouvement inverse, vers le haut :

«Il a la douceur majestueuse et blanche des merveilleux nuages. On l'imagine bien glissant lentement dans le ciel bleu, comme un immense ballon dont l'immarescence brille au soleil. Il y a du dieu dans ce personnage aérien et tutélaire. Il nous protège.»

Le quotidien transfiguré. Poésie, humour. Alliance du visionnaire et du léger. C'est très fort. Du coup j'oublie les moments d'ennui. C'est ainsi que les livres, parfois, nous retournent comme une crêpe. Que tout s'arrange, miracle ! au dernier moment. De même qu'il nous arrive de quitter une ville étrangère gonflé à bloc, planant, après un séjour sinistre, parce qu'au dernier moment une amie jusque là indifférente, ou depuis peu inaccessible car fiancée, nous a soudain sans prévenir, comme en rêve, roulé une pelle.


(Journal infime, 1999)









NOTES DU TRADUCTEUR


En 1988, l'un de mes auteurs, Còstas Taktsis, est invité à la Revue parlée de Beaubourg. Il a rédigé son intervention en grec et je dois la traduire. À un moment je lui fais dire, «Quelle outrecuidance !» Ce terme savant, prononcé par un étranger, devrait avoir une certaine saveur. En lisant ma V.F., Taktsis fronce le sourcil. Qu'est-ce que ça veut dire? grogne-t-il. Je n'aime pas ce mot. Toi, qu'est-ce que tu dirais, en français courant ?

Quand il lance «Quel culot !» ce soir-là, tout le monde se marre. C'est ce qu'on appelle une bonne leçon.


*


Avant de me lancer dans Je meurs comme un pays de Dimìtris Dimitriàdis, j'envoie à l'auteur ma traduction des deux premières pages. Geste de courtoisie, mais aussi de prudence : D.D. connaît parfaitement le français, il a traduit Genet, Blanchot, Bataille, Beckett, Molière, Koltès ; je le sais exigeant (trouvant mauvaise la précédente traduction, parue jadis dans Les temps modernes, il m'a chargé de la refaire), et je veux m'assurer que nous sommes bien sur la même longueur d'onde.

Réponse immédiate : Pas de problème, je ne vois rien à reprendre, tu peux y aller.

Je traduis les trente pages, laisse reposer, relis mon travail : ça coule bien, comme on dit. Je rectifie deux-trois bricoles, envoie le tout à l'auteur par acquit de conscience et n'y pense plus.

Un mois plus tard, arrive une grosse enveloppe. Treize pages compactes, dactylographiées en petites lettres, mon travail épluché mot par mot, une centaine de points à reprendre. Remarques discrètes enveloppées de précautions oratoires, au début surtout, souvent sous forme de questions — mais aussi, vers la fin, quelques accès d'impatience réprimée, des tournures quasi impératives.

Il s'agit essentiellement de me ramener à la lettre du texte. (Ces auteurs, tous les mêmes.) Seulement voilà : si dans certains cas mon censeur se plante, le reste du temps il tape dans la cible. ll lui arrive de me souffler des mots (au lieu de «très anciens», «immémoriaux» ; de «épuisant», «corrosif» ; de «paroxysme», «apothéose») à la fois plus précis et plus évocateurs. Grâce à lui, la version finale sera en même temps plus fidèle et plus belle.

Je suis rongé de honte. D'accord, on ne m'a trouvé que deux ou trois contresens, et d'une mouture à l'autre le lecteur n'aurait guère senti la différence ; n'empêche que je n'ai pas bien fait mon boulot. Pas assez soigneux, exigeant, audacieux. En passant la première couche, j'ai démissionné trop vite ici ou là. La deuxième, je l'ai faite sans consulter l'original, sauf sur les points qui accrochaient en français. J'ai sans doute simplifié, savonné, affadi.

Cette douche froide tombe à pic : je rentrais d'Arles où l'on m'avait remis, en grande pompe, un prix de traduction. Le lauréat ne s'est guère pavané longtemps.

On retourne à l'école. On n'en sortira jamais.


*


On aimerait que les gens soient enfin sincères, qu'ils vous critiquent sans cruauté mais sans pitié, qu'ils vous disent avec précision ce qu'ils n'aiment pas dans votre travail, et pourquoi. Ce qui ferait mal, ce qui pourrait même nous briser, mais si l'on veut progresser il faut passer par le regard des autres.

Le problème, d'abord, c'est de trouver un lecteur qui nous lise vraiment...

En attendant l'oiseau rare on essaie de trouver soi-même, à tâtons, les défauts de sa propre cuirasse.

En ce moment j'en tiens un : je suis un traducteur timoré. Face à une tournure dont la correction me paraît douteuse, dont je prévois qu'elle fera grincer des dents, trop souvent je recule, je cherche autre chose. Quand mon auteur violente sa langue, je le suis, mais à distance. Et si je l'accompagne quand même, c'est que je n'ose pas trop non plus m'en écarter. Trouillard dans les deux sens.

Prudence et juste milieu. Va donc, eh, centriste !

Mais justement, cette trouille-là, tout de même, jusqu'à un certain point, c'est aussi un atout... Sans elle, sans ce frein, je me planterais dans les virages... La trouille en elle-même est bonne ; le tout, c'est de savoir quand l'écouter, quand passer outre.

N'empêche : tâchons d'être un peu plus hardi, plus tard, quand on sera plus grand.


*


Il faudrait pouvoir concilier les extrêmes : d'une part un perfectionnisme féroce, une insatisfaction perpétuelle, et d'autre part — sous peine d'étouffement, de blocage — l'humble acceptation de l'imparfait.









LE POÈTE DE L'ANNÉE

Stratis Pascàlis


PRÉHISTOIRE


Ils ont ouvert la porte et nous sommes entrés

comme des anges dans la maison d'Abraham

où des peaux de mouton frisées

et des cornes de bouc pendaient aux murs blanchis.


Près d'un ancien four, volcan éteint

à l'ombre de la treille ils ont apporté

des raisins très noirs du fromage frais et l'agneau

ont déposé le fructueux message à nos pieds

puis ont disparu

comme s'ils étaient les envoyés de Dieu

et nous les desséchés, les désertiques.



MAGES


Bientôt viendrait le jour — nuit de Noël,

tous dormaient comme des souches dans la maison muette, moi seul

sur mon matelas cherchais en vain le repos.

Et quand les chiens aboyèrent dans les cours — questions réponses affreuses —

épuisé je me levai, me traînai jusqu'au salon

m'assis dans la pénombre.


Au milieu la table d'un brun rouge

derrière, les feuilles de l'Arbre semblaient d'argent

un bleu glacé luisait aux rideaux.

Distrait je regardais et c'est alors

que peu à peu des pensées

sont venues

bizarres et noires

pensées d'un homme qui sait que les autres dorment

et que lui seul n'a pu trouver sa mort.


Alors ma pensée voit un mirage :

dans la pièce est entré quelque chose comme un vieux,

moine ou mendiant, qui semblait venir

du désert de la neige, sa barbe et ses cheveux

brouillard lunaire, et ce loqueteux

portant le linceul comme une bure,

un cierge tremblait dans sa main.


Il a dit : «Hier au soir le soleil a touché

les lèvres de l'abîme

et les hommes s'enroulent dans les plis du sommeil

j'apporte la myrrhe et l'or, mais aussi

je fauche les âmes».


Dehors la nuit rayonnait, je me suis levé, suis sorti

dans la froide solitude espérant le voir s'en aller

sur une bête fatiguée ou avec des ailes d'ange.

Et j'ai vu là-haut disparaître (ou naître)

une étoile tombée voilà des milliers d'années

dont mes yeux recevaient la lumière enfin.



ETOILES D'ACIER


Etoiles d'acier

dans l'espace noir

quand l'oiseau de nuit est rentré au nid

et les oliveraies sont parties

accablées.


La création ce soir est nue :

rien qu'un ciel noir

et des étoiles d'acier.


Où sont les arbres les oiseaux

— mémoire assombrie ;

ce soir il n'est rien d'autre

que l'espace noir

où sont tombés les dés ;

immobiles

par delà tristesse ou deuil.



L'OGRE


Écrasé de tristesse,

sa cellule — sa maison ;


une femme chaude et deux enfants

la tambouille qui mijote


alentour le village noir

et les murs des montagnes


le soleil sombre se noie

au fond d'un bain de sang ;


alors telle un éclair

la pensée le traverse


égorger sa femme

étrangler ses enfants.


(Cerisiers dans les ténèbres)









CULTURE GÉNÉRALE

Savez-vous d'où viennent ces phrases ?

(réponse sur le numéro de la citation...)



1


Nous méprisons beaucoup de choses pour ne pas nous mépriser nous-mêmes.



2


Il y a des gens si égoïstes qu'ils traversent la vie sans faire le malheur de personne.



3


Rares sont ceux qui méritent qu'on les contredise.



4


L'offensé pardonne, mais l'offenseur jamais.



5


Il haïssait John comme on hait désespérément tous ceux dont on a désespérément besoin.



6


Il faut être indulgent pour l'homme si l'on songe à l'époque à laquelle il fut créé.









BRÈVES


J'avais lu La chartreuse de Parme à dix-sept ans, l'âge de Fabrice à Waterloo. J'en ai cinquante-six, comme le comte Mosca à la fin du livre, il était donc temps de revenir à Parme. Je craignais d'être déçu, pas du tout ! Phrases et pensées galopent autant que dans mon souvenir. Un livre d'une jeunesse incroyable — l'invraisemblance de l'histoire et de son personnage principal n'étant pas le moindre de ses charmes.


*


L'aphorisme, genre difficile. Parmi les plus beaux que j'aie jamais lus, il y a désormais ceux de Jean-Yves Masson dans Le chemin de ronde, paru chez Voix d'encre ce printemps. Cent cinquante brèves pensées — clignotements d'étoiles dans la nuit, pastilles de sagesse — qui rendent ces soixante pages plus riches que bien des lourds traités.

Noté plusieurs phrases dans mon bréviaire de citations à savourer, à ruminer :

«Un aphorisme réussi épargne un livre à son auteur.»

«L'espérance, au contraire de l'espoir tourné vers l'obtention d'un bonheur trop précis, porte en elle-même sa récompense ; et c'est pourquoi il ne faut rien tant espérer que l'impossible.»

«En traduisant Pétrarque, certitude soudaine qu'il fut un temps où l'amour n'était pas un sentiment, mais la racine même de l'être...»

«Ce que tu ne peux dire, chante-le.»

Et puis ceci, qui semble aller contre mon approche très auditive des textes, mais qui surtout m'incite à la préciser, la prolonger :

«Ce qu'il y a de musical dans la poésie ne saurait tenir au pur cliquetis verbal, qui relève pour ainsi dire d'une forme de percussion et qui n'en est qu'un élément, mais au fait que tout vers est en même temps une certaine perception et une certaine organisation du temps.»

Voilà dans quelle direction il faut maintenant chercher.


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J'ai été sans doute un peu rude avec Buffon dans mon dernier «Coup de langue» (Quinzaine littéraire du 15.9.03). Pour me faire pardonner — gentil, trop gentil, on ne se change pas —, je recommande la lecture d'un petit livre de et sur Buffon paru aux éditions Climats où après s'être farci le célèbre Discours sur le style du maître, dissertation un peu empesée, on sera récompensé par une savoureuse Visite à Buffon signée Hérault de Séchelles. Un homme passionnant, ce Buffon. On dit que son Histoire naturelle est restée fort lisible...


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Claude Gagnière vient de mourir. Son nom est inconnu des foules, mais nous autres qui aimons les mots lui devons un livre indispensable : Pour tout l'or des mots, chez Bouquins. En mille pages, sous forme de dictionnaire, une fabuleuse collection de jeux littéraires (acrostiches, anagrammes, calembours, charades, contrepèteries, devinettes, énigmes, rébus...), de textes divers (comptines, dictées, épigrammes, épitaphes, fables, holorimes, pastiches, palindromes, tautogrammes, virelangues...), de coquilles et de pataquès, d'anecdotes et citations en tous genres. L'érudition de Claude Gagnière n'avait d'égal que son humour. Voilà le bouquin idéal pour faire rigoler les copains ou se poiler tout seul, ainsi qu'une fameuse incitation à la lecture et l'écriture.


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Le vendredi 10 octobre, à Grenoble (Grenoble International, 24, place Paul Vallier, 18h30), je présenterai et lirai quelques poètes grecs présents dans l'anthologie Poésie/Gallimard.

Le vendredi 17 octobre, près de Bordeaux (bibliothèque municipale du Haillan, 20h30), je présenterai un panorama de la littérature grecque d'aujourd'hui, accompagné de lectures, avant d'animer une rencontre avec la romancière Ersi Sotiropoulos autour de son livre Zigzags dans les orangers (Maurice Nadeau, 2003, traduit par Clio Mavroeidakos-Muller et Michel Volkovitch).


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Rencontres avec les dieux suivi de Malou en mai. Dans un grand lycée parisien, l'hypokhâgne et la khâgne juste avant et pendant 68. Tout sur l'enfer préparationnaire. Portraits de profs. Portraits d'élèves. La philosophie, avantages et inconvénients. Les joies de l'internat. Le concours de la rue d'Ulm. Les «événements» de mai — le peu qu'on en a vu. Un témoignage de première main, en feuilleton sur ce même site à partir du 1er novembre 2003. Surfez, khâgneux anciens, présents et futurs !


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